"Ai-je des limites ?

Battre un record est-ce dans mes possibilités ?

Pourquoi pas ? " me répond Bill Kaiser, un spécialiste des sports nautiques auprès de l’équipe américaine de natation.

Il m’attache un harnais autour du torse.

Je descends dans le couloir n°1 de la piscine de 50 m du Centre d’entraînement olympique de Colorado Springs, et prends mon départ d’une poussée des pieds contre le mur d’extrémité.

Tout à coup, j’ai l’impression que mon corps est une balle filant dans l’eau.

Jamais mes bras et mes épaules n’ont mouliné avec une telle puissance.

Chaque brassée semble me faire parcourir deux fois la distance habituelle.

Je me sens sur le coup euphorique, comme si mon cerveau était imprégné d’endorphines.

Kaiser a accroché mon harnais à un système de poulies appelé " remorque " - un appareil qui entraîne un nageur de compétition 5 % plus vite que sa vitesse habituelle.

Ce dispositif lui permet de ressentir pleinement l’accélération, d’ajuster le mouvement de ses brassées, et les rotations de son corps en conséquence, et finalement de nager plus vite une fois seul.

Dans mon cas, la " remorque " va près de 50 % plus vite que ma vitesse normale.

Vingt-trois secondes plus tard, je touche le mur de virage.

" Bravo, lance Kaiser.

Vous venez de battre la championne des États-Unis du 50 m nage libre, Amy Van Dyken."

Il parle du record de cette athlète, aux Jeux olympiques d’Atlanta, en 1996, sur cette distance en 24 s 87.

Avec cet exploit - et trois autres victoires-, Amy Van Dyken est devenue la première championne américaine à avoir remporté quatre médailles d’or au cours des mêmes olympiades.

Je ne suis pas un sportif de niveau olympique.

Je suis un nageur senior participant de temps en temps à des compétitions, et j’ai remporté deux ou trois trophées dans ma catégorie.

Le corps humain, je le sais, n’a pas été fait pour parcourir à la nage des longueurs, ou pour shooter dans un ballon de football, ou encore pour effectuer des sauts périlleux à partir d’une plate-forme haute de 10 m.

Mais depuis qu’ils pratiquent le sport et la compétition, les humains ont inventé toutes sortes de manières de repousser les limites de leurs capacités physiques.

Quelles sont ces limites ? En cette année olympique, je me suis intéressé à certains hommes et femmes entraînés pour faire comme si elles n’existaient pas.

De nombreux facteurs - génétiques, psychologiques, culturels, financiers - interviennent dans la " fabrication " d’un sportif d’élite, mais des gènes adéquats constituent peut-être l’élément le plus déterminant.

Dans un certain sens, ces athlètes sont des phénomènes de la nature.

Prenons leurs muscles, par exemple.

Les fibres à l’intérieur de la plupart des muscles squelettiques sont à peu près également réparties entre fibres à contraction rapide et fibres à contraction lente, ces dernières produisant de l’énergie de manière beaucoup plus efficace.

Les haltérophiles en compétition aux Jeux olympiques disposent d’une quantité inhabituelle de fibres rapides ; celles-ci leur confèrent la capacité de soulever plus de 200 kg du sol au-dessus de leur tête en un quart de seconde.

Les jambes des plus grands coureurs de marathon, en revanche, peuvent comporter jusqu’à 90 % de fibres lentes, ce qui leur confère de grandes capacités d’endurance pour des activités aérobies plus soutenues.

Cependant, qu’ils aient des muscles rapides ou lents, les athlètes de compétition haussent les performances humaines jusqu’à un degré que le commun des mortels ne peut qu’imaginer.

Afin que je puisse comprendre pourquoi je compte parmi ceux qui ne peuvent qu’" imaginer ", on me conduit à un engin appelé piscine à contre-courant.

Celle-ci est l’équivalent aquatique du tapis d’entraînement - un bassin de 5 m de long équipé de moteurs générant des courants dont l’intensité est contrôlée avec précision.

Plus le courant est rapide, plus le nageur intensifie ses efforts pour ne pas toucher l’arrière du bassin.

" Vous allez nager pendant trois minutes, puis vous reposer pendant deux minutes le temps que nous prenions quelques mesures, dit Larry Herr, un physiologiste de l’effort.

Puis nous augmenterons la vitesse du courant, et vous nagerez encore pendant trois minutes.

Nous ferons cela cinq fois, plus vite à chaque reprise."

Le technicien m’introduit dans la bouche un embout relié par deux tuyaux à un appareil qui mesurera les flux d’air entrant et sortant de mes poumons.

Ceci permettra d’évaluer mon " VO2 max ", ou " volume maximal d’oxygène ", que j’utilise par minute pendant que je fournis l’effort le plus intense possible.

Le VO2 max est fortement déterminé génétiquement, mais l’entraînement peut le faire augmenter dans la mesure où le corps fournit l’oxygène aux muscles, et l’utilise plus efficacement.

Ensuite, on me pique le lobe de l’oreille pour en extraire une goutte de sang.

L’opération sera renouvelée après chaque effort pour mesurer mon taux de lactate.

La production de lactate est la conséquence du métabolisme énergétique au début d’un exercice intense, lorsque l’apport d’oxygène au muscle est insuffisant.

Ce processus est anaérobie - il n’utilise pas d’oxygène.

Peu après le début de l’exercice, le corps adopte un mode de fonctionnement énergétique en aérobie - qui consomme de l’oxygène -, ce qui lui permet d’être plus endurant.

En temps normal, les vaisseaux sanguins fournissent assez d’oxygène aux muscles et en évacuent le lactate en quantité suffisante pour l’empêcher de s’accumuler.

Mais, pendant un effort intensif, le mécanisme peut s’enrayer et le taux de lactate augmenter.

Le milieu cellulaire devient alors plus acide, diminuant la contraction musculaire et causant de la fatigue.

L’entraînement augmente les capacités cardiaques et étend le réseau de vaisseaux sanguins dans le corps.

La circulation sanguine ainsi stimulée permet et une meilleure alimentation en oxygène et une meilleure élimination du lactate.

Les muscles travaillent plus longtemps et plus fort.

Pour les entraîneurs, la mesure du taux de lactate est un moyen d’évaluer le niveau d’un athlète.

Lors de mon premier passage dans le bassin, cela ressemble à un simple échauffement.

Au deuxième, je respire déjà plus fort.

Au troisième, mon corps fonctionne à plein régime, mon cœur bat à tout rompre, mais je récupère correctement pendant la pause de deux minutes.

À la moitié du quatrième passage, mes poumons commencent à me faire souffrir.

Ma résistance faiblit.

Au cours de l’exercice final, je me sens perdu dans une quatrième dimension où tout n’est que douleur.

L’eau paraît aussi épaisse que de la boue.

Je n’arrive pas à terminer.

" Votre corps est devenu acide, constate Herr après avoir examiné mes résultats biochimiques.

Dans le troisième exercice, vous avez franchi votre seuil de lactate - quand vous ne pouvez plus éliminer tout le lactate que vos muscles produisent. "

L’acidité a alors fortement augmenté au cours des exercices suivants, et mes muscles se sont bloqués.

J’ai atteint mon seuil à environ 75 % de mon VO2 max.

Les personnes non entraînées, explique Herr, atteignent en général le même seuil à environ 60 % de leur VO2 max, alors que des athlètes ne le franchissent qu’à 80 ou 85 %.

Les sportifs riches en fibres musculaires à contraction lente semblent afficher des seuils de lactate plus hauts.

Les nageurs de compétition approchent régulièrement le seuil critique du lactate au-delà duquel la douleur est trop forte.

Justin Ewers, un jeune espoir des prochaines olympiades, issu de l’université de Stanford, le décrit à mon intention.

" C’est comme si on avait la chair de poule avec de l’acide sur toute la peau ; avec ça, les poumons vous brûlent, et on l’impression de tirer derrière soi des poids en plomb à la place des jambes."

L’une des différences entre les nageurs de compétition et les autres est la rapidité avec laquelle la douleur apparaît.

" Un nageur de haut niveau ne la ressentira peut-être pas avant les trois ou quatre dernières secondes de la course.

Notre entraînement nous permet de la supporter plus longtemps."

Hormis le seuil de lactate, Herr me donne de nombreuses autres raisons pour lesquelles je ne serai jamais un nageur de compétition - en dehors du fait que j’ai au moins vingt-cinq ans de trop.

Avec mes 1,75 m, je suis trop petit.

La plupart des champions masculins mesurent plus de 1,80 m - un corps plus long et élancé permet des mouvements plus amples et plus productifs.

Et une trop grande partie de ma masse corporelle est située en dessous de ma poitrine, ce qui crée un excès de traînée.

Enfin, je ne termine pas mes brassées.

Tout cela est certes déprimant, mais il n’y a pas que la natation dans la vie.

Non loin de la piscine se trouve la salle des haltères, où des sportifs aux patrimoines génétiques entièrement différents repoussent eux aussi leurs limites.

On a l’impression, en tendant l’oreille, d’approcher d’un chantier de démolition. Des hommes et des femmes intensément concentrés y soulèvent des barres à disques pesant jusqu’à 230 kg, avant de les laisser retomber sur des plates-formes capitonnées.

L’HALTÉROPHILE OLYMPIQUE comporte deux types d’épreuves : l’arraché et l’épaulé-jeté.

Pour pratiquer cette discipline, il vaut mieux avoir des cuisses larges et puissantes.

En fait, ce sont les muscles du haut des jambes qui initient le mouvement en exerçant d’abord une poussée vers le sol.

Puis l’haltérophile utilise les muscles de ses hanches, de ses cuisses et de son dos pour propulser la barre vers le haut.

" Ce sport est différent de ce que les gens croient, souligne Matt Rue, un athlète présent ce jour-là.

La force n’y entre que pour 60 %.

Le type le plus fort du monde ne peut faire ce que nous faisons.

Ce dont on a besoin, ce sont la vitesse, l’agilité et l’équilibre.

Bondir et loger un ballon de basket dans le panier en se plaçant initialement à l’arrêt sous l’anneau, nous pouvons tous le faire."

Paradoxalement, un physique de culturiste n’est pas nécessaire pour exceller dans ce sport.

Il vaut mieux avoir des muscles à contraction rapide, lesquels créent la force qui permet de propulser plus de 100 kg à bout de bras.

Jodi Wilhite, une adolescente de 48 kg originaire de Florence (Texas), était championne de 100 m quand l’entraîneur de l’équipe de football de son collège lui a suggéré d’essayer l’haltérophilie.

J’observe Jodi lors du championnat de Tacoma, dans l’État de Washington - une compétition comptant pour la qualification aux Jeux olympiques.

Elle monte sur l’estrade et, le visage défiguré par l’effort, soulève 80 kg - un record pour une junior de son poids aux États-Unis.

Jodi me confie qu’elle rêve des J.O. de 2004.

" Mais vouloir y être et y être effectivement sont deux choses différentes ", ajoute-t-elle.

Les haltérophiles perfectionnent leurs talents en répétant les mêmes mouvements inlassablement, jusqu’à ce qu’ils deviennent presque des réflexes, explique Jodi.

" En un an, m’a confié Dragomir Cioroslan, l’entraîneur en chef de l’équipe d’haltérophilie américaine à Colorado Springs, l’athlète masculin moyen soulèvera environ trois millions de kilos en 20 000 mouvements."

Jodi soulèvera quatre millions de kilos en 80 000 mouvements d’ici 2004.

D’après Greg Louganis, titulaire de quatre médailles d’or olympiques de plongeon, les plongeurs doivent s’entraîner de la même manière : " Comme on dispose de moins de trois secondes entre le tremplin et le contact de l’eau, ça doit être un réflexe.

On doit répéter les plongeons des centaines, voire des milliers de fois. "

Pour Louganis, c’est à ses cuisses - qui, selon les résultats d’une biopsie, seraient particulièrement riches en fibres rapides - qu’il doit certains de ses succès les plus spectaculaires.

Mais, en plus des atouts physiques et de l’entraînement, un mental fort est requis.

Greg Louganis reconnaît que ses motivations avaient incontestablement un aspect compulsif. Il explique : " Pour moi, conquérir une médaille équivalait à rechercher l’amour.

Si j’avais été psychologiquement et émotionnellement plus équilibré, je n’aurais pas été dans cet état d’esprit. Ce n’était pas très sain. "

Les psychologues du sport estiment que la plupart des athlètes qui réussissent sont psychologiquement sains.

" Ils n’ont pas le choix, précise Sean McCann, un psychologue du sport du Centre d’entraînement olympique.

Ils doivent savoir se fixer des objectifs, produire de l’énergie au bon moment et contrôler leur anxiété. "

Compulsif ou pas, Louganis a trouvé le moyen de gérer sa propre anxiété.

" La plupart des plongeurs travaillent beaucoup trop avec leur tête, dit-il.

J’ai toujours essayé de neutraliser le côté logique de mon cerveau.

Ce qui marchait bien avec moi, c’était l’humour.

Je pensais généralement à ce que ma mère aurait dit en me voyant faire une bombe à la place d’un beau plongeon.

Elle se serait probablement contentée de me complimenter pour ce beau plat."

Le revers de la médaille du travail physique et mental intense auquel les athlètes de haut niveau sont astreints est le danger toujours présent du surentraînement.

Ils se donnent tellement qu’ils finissent par épuiser leur corps.

" Le problème affecte environ les deux tiers des athlètes de compétition à un moment ou à un autre de leur carrière, précise Jack Raglin, un psychologue du sport de l’université de l’Indiana.

Ils s’éreintent et deviennent vulnérables aux infections.

Assez souvent, ils font des dépressions."

Aujourd’hui, la plupart des entraîneurs guettent attentivement les signes avant-coureurs d’un épuisement physique et mental.

Et peu de pays consacrent plus d’énergie à maintenir leurs athlètes en bonne santé que l’Australie, hôte des J.O. de l’an 2000 et l’un des endroits au monde où le sport tourne de plus en plus à l’obsession.

Certains athlètes australiens de niveau olympique vivent et s’entraînent à l’Institut du sport australien (AIS) de Canberra, un organisme financé par l’État.

Ils disposent des installations les plus sophistiquées, dorment dans des foyers, mangent des plats spécialement adaptés à leurs besoins nutritifs.

Une équipe de spécialistes veille particulièrement sur leur développement, comme le feraient des parents, leur prodiguant soins et moyens technologiques sans compter.

Les psychologues du sport travaillent avec les athlètes, leur enseignant des techniques pour faire face au stress, visualiser une performance réussie et se fixer des objectifs spécifiques, tels que battre son meilleur temps avant une certaine date.

Les physiologistes mesurent fréquemment les taux de lactate pour aider les entraîneurs à amener les athlètes au sommet de leurs performances physiques, juste au moment de la compétition.

Des spécialistes de biomécanique analysent les mouvements du corps dans leurs plus infimes détails.

Pour les rameurs, ils utilisent des instruments tels que des bateaux bardés d’appareils permettant de mesurer l’intensité de chaque coup d’aviron.

" Un athlète de haut niveau est le résultat d’une rencontre - de la bonne personne avec le bon sport, soutient Deborah Hoare, directrice du programme de "détection de talents" de l’AIS.

Dans un pays à forte population, les probabilités qu’une telle rencontre ait lieu sont beaucoup plus fortes qu’elles ne le sont ici en Australie.

Nous devons forcer les choses."

" Nous avons modélisé les atouts idéaux pour chaque sport - vitesse, puissance, particularités physiques.

Puis nous faisons la tournée des collèges pour trouver des athlètes potentiels ", explique Mrs Hoare.

Les " têtes chercheuses " de l’AIS font passer aux étudiants une série d’épreuves et de tests - saut, sprint, équilibre - et prennent des mesures.

Les rameurs doivent avoir de longs bras et de longues jambes pour un effet de levier maximal, ainsi que des capacités d’endurance naturelles.

Les basketteurs doivent être de grande taille, rapides, agiles, avoir de longs bras, et pouvoir sauter très haut à la verticale.

Avec seulement dix-neuf millions d’habitants en Australie, l’institut est résolu à ne pas rater un seul champion olympique potentiel.

Traditionnellement fort en natation et en aviron, ce pays espère remporter des médailles dans d’autres disciplines, telles que le plongeon, lors de ces olympiades.

Je me rends au Centre aquatique du tout nouveau Parc olympique de Sydney pour une compétition de la Coupe du monde de plongeon, considérée comme un banc d’essai pour les J.O.

Plusieurs dizaines de plongeuses de 30 pays s’échauffent.

Dans un silence tendu, les juges prennent leur place le long du bassin.

L’une après l’autre, les athlètes s’avancent jusqu’au bord de la plate-forme et marquent un temps d’arrêt pour se concentrer.

Elles soulèvent ensuite leurs bras lentement et gracieusement, bondissent vers le ciel et, décrivant dans l’air un enchaînement de vrilles et de sauts périlleux, se livrent à une danse défiant la gravité.

Moins de trois secondes plus tard, telle une flèche, chacune d’elles transperce la surface de l’eau en n’y laissant que quelques ridules comme traces de leur passage.

" Les gens aiment regarder cette discipline à la télévision, dit Valérie Beddoe, chef de l’équipe australienne.

En revanche, il y en a peu à vouloir la pratiquer.

C’est difficile et très technique.

Ca fait peur.

Et il faut des années pour atteindre un niveau de compétition."

En outre, pour gracieux que puisse paraître le plongeon, heurter l’eau de manière répétée à près de 70 km/h, finit par être éprouvant pour le corps.

L’entraînement intensif, les blessures fréquentes et la pression de la compétition - pour les athlètes de haut niveau - peuvent conduire à un autre problème largement répandu : la tentation d’améliorer l’entraînement avec des produits dopants tels que les stéroïdes anabolisants, qui accroissent la masse et la puissance musculaires de façon artificielle.

" Pour la plupart des substances, nos tests de dépistage sont extrêmement sensibles, précise David Gerrard, le médecin supervisant les contrôles antidopage de la Coupe du monde de plongeon à Sydney.

Si vous jetiez deux morceaux de sucre dans ce bassin, nous serions capables de le détecter. "

Les responsables pratiquent des contrôles-surprises, et les athlètes affichant des résultats positifs se voient imposer de lourdes amendes et sont exclus des compétitions.

Mais deux des produits les plus couramment utilisés par les sportifs sont difficiles à détecter.

On les trouve tous les deux dans le corps à l’état naturel, mais lorsque des taux artificiels sont obtenus, leurs effets peuvent devenir nocifs.

Des compléments d’hormone de croissance humaine (hGH) augmentent la masse et la puissance musculaires.

Quant à l’érythropoïétine (EPO), sécrétée en plus grandes quantités par les reins quand une personne monte en altitude, elle commande au corps d’accroître sa production de globules rouges, porteurs d’oxygène.

Quand elle est injectée avant une compétition, l’EPO améliore la performance en aérobie.

Des produits tels que l’hGH et l’EPO peuvent causer de sérieuses complications sur le plan médical - des arthrites aux maladies hépatiques et cardio-vasculaires, mais, dans des sports où de grosses sommes sont en jeu et où la différence entre l’argent et l’or peut être mesurée en centièmes de secondes, les athlètes paraissent disposés à prendre des risques.

Comme lors du Tour de France 1998, où un dopage qui sévit à l’EPO a jeté un voile de scandale sur la course.

Les Australiens sont bien décidés à empêcher de tels abus lors des Jeux de Sydney.

" Le sport est très important dans ce pays, affirme Nicki Vance, directrice du programme de contrôle antidopage. Et je ne veux pas que le dopage ternisse la compétition.

Les olympiades ne reviendront pas ici avant plusieurs décennies, et nous devons montrer au monde notre savoir-faire."

En avril dernier, les douanes australiennes ont saisi une hormone pour culturistes, commandée aux États-Unis par un spécialiste de la médecine du sport, John Pryor, qui travaille avec des athlètes olympiques à l’Académie du sport de la Nouvelle-Galles-du-Sud.

Scandale dans le pays ! Le produit, appelé DHEA, est proscrit par bon nombre d’instances, y compris le Comité international olympique, mais est disponible en vente libre aux États-Unis.

LA CHIMIE DU CORPS de certains athlètes est naturellement stimulée par leur environnement.

Ceux qui ont grandi à de hautes altitudes dans des pays tels que le Maroc, le Kenya ou l’Éthiopie ont un sang particulièrement riche en hémoglobine, le vecteur de l’oxygène - tant qu’ils s’entraînent en altitude.

D’autres facteurs entrent également en jeu : " Je devais courir 10 km par jour pour aller à l’école, se souvient Tegla Loroupe, une jeune femme issue d’une tribu de bergers du nord du Kenya, les Pokot.

J’étais punie si j’arrivais en retard."

Tegla, qui a remporté de nombreux marathons, notamment celui de New York (elle l’a gagné deux fois), m’a donné rendez-vous dans les environs de Kapenguria, une petite ville située près de sa région natale.

Elle vit maintenant près de Hanovre, en Allemagne, mais elle est retournée au Kenya pour préparer la saison européenne (printemps-été).

Tegla attribue, pour une part, son succès à l’altitude de son lieu de naissance (environ 2 400 m), ainsi qu’à son mode de vie.

" Nous donnons les meilleurs coureurs.

Nous sommes des nomades, menant sans cesse nos animaux d’un endroit à l’autre.

Quand j’étais petite fille, j’étais chargée de transporter des fagots de bois et d’aller chercher l’eau à la rivière. "

Aujourd’hui, Tegla - toute menue avec ses 1,48 m et ses 35 kg - court près de 200 km par semaine.

"C’est difficile de se maintenir à ce niveau, reconnaît-elle, mais je suis obstinée.

Quand je veux quelque chose, je l’obtiens. "

Elle a apporté la preuve de son obstination à un âge précoce, quand son père s’est opposé à ce qu’elle coure, parce que, selon ses termes, ce n’était pas " une affaire de femmes ".

Elle lui a promis que s’il l’envoyait en pension avec SOII frère, elle arrêterait, mais les professeurs d’éducation physique de l’établissement l’ont incitée, bien au contraire, à faire de la compétition.

Sa mère et sa sœur l’ont elles aussi, mais en secret, poussée dans cette voie.

Aujourd’hui, Tegla est devenue une héroïne nationale, et l’argent qu’elle gagne lui permet d’entretenir une famille très nombreuse.

À quelques centaines de kilomètres de là, sur les pentes du mont Kenya, alors que l’aube se lève sur la terre africaine, je suis en voiture une cinquantaine de coureurs du camp d’entraînement de Nyahururu.

Leur foulée souple et délice est aussi vieille que cette terre où les premiers humains sont apparus, mais leurs rêves appartiennent bel et bien au monde moderne.

Ils veulent être les meilleurs - pour le Kenya, pour leurs coéquipiers et pour tout l’argent que les Kenyans récoltent aujourd’hui dans les compétitions européennes.

LE CAMP N’EST RIEN de plus qu’un simple dortoir en béton à deux étages, situé à l’entrée d’un bourg agricole.

"La plupart des athlètes européens refuseraient de s’entraîner ici ", avance Moses Kiptanui, le créateur de ce lieu.

Il n’y a pas les installations sophistiquées que l’on trouve généralement dans les centres des pays riches, et l’emploi du temps est éreintant.

Chaque journée commence aux aurores avec une course qui dure entre 45 minutes et une heure, suivie presque toujours d’un travail intensif sur la vitesse vers midi et d’une autre course d’endurance dans l’après-midi - soit un total de 25 km sur l’ensemble de la journée.

Mais les plaintes sont rares.

Les muscles de leurs jambes comportant une proportion particulièrement élevée de fibres à contraction lente, les coureurs kenyans font les meilleurs marathoniens du monde.

C’est en revanche un taux exceptionnel en fibres à contraction rapide qui explique la suprématie des gymnastes russes depuis les années 50.

Leur équipe s’entraîne la plus grande partie de l’année en pleine nature - près du lac Krougloié, à une quarantaine de kilomètres au nord de Moscou.

Entouré de fermes enfouies sous la neige en hiver, le camp est un complexe en brique d’anciens bâtiments administratifs délabrés.

Mais le gymnase spacieux, doté des équipements les plus modernes, est aussi accueillant et chaud qu’une serre.

Leonid Arkaiev, l’un des meilleurs et des plus exigeants entraîneurs que je connaisse, observe les évolutions d’une dizaine de gymnastes torse-nu des barres parallèles aux anneaux, en passant par la barre fixe et le cheval-d’arçons.

"Leur vie est ici, dit-il.

Nous nous entraînons trois fois par jour, entre six et sept heures, quoi qu’il advienne.

Une discipline rigide et sévère.

C’est l’une des clés de notre succès."

Pendant que je les regarde, Arkaiev crie à l’adresse de son protégé Evguéni Podgorny, qui vient d’achever une série de figures sur les barres parallèles.

"C’est très bien ! Attention à tes jambes ! N’attrape pas la barre trop tôt ! "

Podgorny s’agrippe à la barre fixe et s’arcboute autour d’elle, avant de conclure son mouvement de balancement par un saut périlleux vrillé.

Malheureusement, il rate sa réception et tombe à plat ventre sur le tapis de sol.

Arkaiev hurle quelques mots en russe.

"C’était une figure particulièrement difficile, précise Arkaiev.

Je lui ai dit d’arrêter.

Il est mentalement fatigué.

On recommencera plus tard."

Il me montre ensuite l’un des plus brillants espoirs de l’équipe russe, une véritable " pile électrique ", âgé de 22 ans et mesurant 1,58 m, nommé Alexei Bondarenko.

Pendant que ce dernier se balance sur la barre fixe, je demande à Arkaiev quels sont ses atouts.

"Regardez ses muscles ! Ce sont des muscles d’acier ", dit-il - extrêmement forts, déployant une puissance explosive, mais peu volumineux.

Bondarenko pèse environ 54 kg, et cette légèreté lui confère un grand avantage : plus le corps est grand, plus il est difficile de lui imprimer accélérations et décélérations.

De plus, avec son poids, Bondarenko est moins susceptible de souffrir de problèmes de tendons et d’articulations qu’un gymnaste plus lourd lorsqu’il atterrit sur le tapis après un saut de 4,50 m.

Le destin n’a pas comblé Jason Wening des mêmes dons que les gymnastes russes.

Mais en l’observant, calé sur son plot de départ au bord de la piscine, prêt à entamer un 100 yards (91 m) nage libre, je réalise clairement que plus qu’aucun des autres athlètes rencontrés, ce jeune garçon hirsute d’Ann Arbor (Michigan) sait ce que veut dire conquérir l’impossible.

Détenteur de six records mondiaux de natation dans la catégorie handicapés, Wening est né avec plusieurs malformations congénitales, et les médecins l’ont amputé de ses pieds déformés alors qu’il était enfant, le laissant avec des moignons juste en dessous des genoux.

Et l’une de ses mains n’a que trois doigts.

"J’ai découvert la natation pour handicapés, dit-il, et j’ai fait le choix de devenir un grand champion dans cette discipline.

J’ai même décidé de battre le record du monde."

Wening a établi son premier record du 400 m nage libre en 1991, à l’âge de 16 ans.

Pour compenser le handicap de ses membres inférieurs, il se concentre sur les détails les plus infimes de ses mouvements - jusqu’à la position de son petit doigt au moment où il entre dans l’eau.

Il nage au moins trois heures par jour.

Au début de notre course, j’ai l’avantage de la poussée initiale de mes jambes sur le plot de départ - Wening, en revanche, doit se jeter en avant en position agenouillée.

Mais j’ai beau nager de toutes mes forces, mon adversaire, qui ne dispose pour l’essentiel que de ses bras et de son torse pour se propulser dans l’eau, me dépasse rapidement et me bat de 9 m.

Je lui dis qu’il est un exemple, mais il s’interroge.

"Pourquoi serais-je davantage un exemple que tous les athlètes que vous avez rencontrés ?

Pourquoi faites-vous cela ?

Pour le simple plaisir de pousser le corps et le mental qui m’ont été donnés jusqu’aux extrémités absolues de mes possibilités, dit-il après un temps de réflexion.

Tenter d’aller toujours plus vite me fascine.

Et quand j’y parviens, j’entrevois, l’espace d’un instant, les potentialités illimitées de l’homme. "