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1. UNE DÉMOCRATIE EN VOIE DE FOSSILISATION |
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1. DEMOCRACY IN A STRAITJACKET |
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2. En quelques semaines, les élections primaires américaines auront éliminé la plupart des concurrents à la présidence. Mais c’est plus l’argent et la notoriété des candidats que leurs prises de position qui feront la différence. Alors que l’économie entre dans la plus longue période de croissance de son histoire —au prix d’un déficit commercial tout aussi historique—, les problèmes de fond (corruption politique, nombre record d’incarcérations et d’éxécutions, creusement des inégalités) semblent interdits de débat. Immuable et sacralisée, la Constitution contribue à cette apathie. |
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2. In a few weeks the US primaries will have eliminated most of the presidential hopefuls. But money and fame count more than statements of policy. The economy is experiencing the longest period of growth in its history —at the price of an equally historic trade deficit. Yet the basic problems (political corruption, record number of prison sentences and executions, deepening of inequality) are absent from the debate. The constitution, seen as sacred and unchangeable, contributes to the general apathy. |
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3. Au cours de la campagne présidentielle américaine, les candidats vont aborder les sujets les plus divers, d’une éventuelle baisse des impôts à la nécessité d’abolir la discrimination frappant les homosexuels membres des forces armées. Il y a un sujet dont ils ne débattront pas : la Constitution américaine. |
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3. As Al Gore, Bill Bradley, George W. Bush, and numerous other presidential candidates take to the campaign trail they will debate everything from taxes to gays in the military. One thing they will not debate, however, is the US constitution. |
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4. C’est à la fois étrange et compréhensible. Etrange : ce document qui a deux cent douze ans est la plus vieille loi fondamentale écrite de la planète et la plus résistante au changement. Il semblerait donc urgent de remédier aux nombreux anachronismes qui l’encombrent. Et à quoi sert donc une élection si elle s’interdit de discuter les questions clés relatives à la modernisation politique ? |
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4. This is both strange and understandable. It is strange because, at 212 years of age, the US constitution is the oldest such document on earth, and among the most resistant to change. It is therefore seemingly most in need of a democratic overhaul to bring it in line with the needs of modern society. |
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5. L’étrangeté s’estompe un peu quand on comprend que l’ancienneté de la Constitution, son aversion pour le changement, et la domination qu’elle exerce sur la société américaine la rendent presque invisible dans le débat politique. Elle est simultanément le cadre légal à l’intérieur duquel la citoyenneté s’inscrit et un cadre en place depuis tellement longtemps que les Américains ont cessé de remarquer son existence. |
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5. [...] |
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6. Si, dans les autres pays, une Constitution est le produit d’un combat accouchant d’un nouveau rapport à la vie politique, aux États-Unis le peuple est une entité que la Constitution a créée et façonnée à son image pour mieux perpétuer une République jeffersonnienne héritée du XVIIIe siècle. Il serait donc à peine plus naturel pour un Américain de mettre en cause la Constitution qu’il l’était pour un vassal du Moyen Age de réprimander son suzerain. |
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6. In other nations a constitution is something the people fashion in order to create a new framework for democratic politics. In America the people are something that the constitution has created, shaped, and moulded in its own image in order to maintain the outlines of an 18th-century Jeffersonian republic. It is no more natural under such circumstances for an American to question the constitution than it is for a medieval vassal to criticise his sovereign lord. |
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7. Et c’est d’abord cela qu’on appelle l’exceptionnalisme américain. A l’origine, ce concept, qui date des années 20, cherchait à expliquer la puissance insolite du capitalisme américain, qui le prémunissait contre le cycle des expansions et des récessions frappant les autres nations. L’idée, reprise par les thuriféraires de la "nouvelle économie" (lire le dossier pages 1, 18 et 19), fut brutalement contredite par le crash de 1929. Depuis, les universitaires modérés et conservateurs se sont réapproprié le concept pour décrire une vie politique et une société fondamentalement différentes (en particulier à cause de la faiblesse aux États-Unis d’une tradition contestataire et socialiste) de celles des autres nations démocratiques. De fait, si la politique américaine est "exceptionnelle", elle le doit beaucoup à la Constitution qui lui sert de socle. |
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7. This is at the root of what is known as "American exceptionalism", a phrase that originated in the US Communist Party in the 1920s, but which has since been adopted by sociologists and political theorists across the political spectrum. Initially, it referred to the theory that US capitalism was so strong that it was exempt from the usual cycle of booms and busts —an idea that proved spectacularly wrong in 1929. Since then bourgeois academics have seized on it to describe a view of American politics and society as intrinsically different from those of other countries because of some essential difference in American character or structure. If it is indeed the case that American politics are altogether unique, it is because they are largely based on the framework of the constitution. |
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8. L’étude de ce socle s’impose d’autant plus que la démocratie américaine semble en voie de décomposition. A l’exception peut-être du Japon, aucun pays industriel ne connaît un tel niveau de corruption politique institutionnalisée. Au point que l’un des principaux candidats républicains, M. John McCain, a récemment estimé que la politique américaine n’était plus rien d’autre qu’ un système élaboré de trafic d’influence dans lequel les deux partis s’accordent pour rester au pouvoir en vendant le pays à l’enchérisseur le plus "généreux". Résultat : l’électeur américain est sans doute l’un des plus apathiques de la terre. En 1996, pour la première fois lors d’une élection présidentielle, une majorité de la population en âge de voter est restée chez elle ; deux ans plus tard, 64 % se sont abstenus d’arbitrer les élections législatives, ce qui n’allait pas empêcher des milliers de commentateurs de gloser sur la signification prodigieuse dudit scrutin. |
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8. This framework also deserves more careful scrutiny because of the exceptional breakdown in American democracy. With the possible exception of Japan, American politics are now the most corrupt in the advanced industrial world. To quote Republican presidential candidate John McCain, they are nothing less than an elaborate influence peddling scheme in which both parties conspire to stay in office by selling the country to the highest "bidder". Not surprisingly, American voters are perhaps the most demoralised and apathetic in the world. The 1996 presidential election was the first in which a majority of eligible Americans did not vote —which did not stop thousands of commentators speaking of its great significance. |
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9. Or si, comme on l’affirme aux États-Unis, la Constitution est responsable de tout ce que le pays a de merveilleux —Nous faisons envie au "monde entier", estimait l’ancien vice-président républicain Dan Quayle ; nous sommes "la nation indispensable du monde" , confirma le président démocrate William Clinton— ne doit-on pas aussi lui imputer ce qui va mal : la corruption politique, le poids écrasant de la religion, la fragilité des libertés publiques et des protections sociales ? |
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9. If the constitution is responsible for all the good things that happen in America (which President Clinton terms "the indispensable nation"), is it also responsible for the bad — political corruption, crushing weight of religion, fragility of public liberties and social protection ? |
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10. Dans un pays qui croit que sa Constitution est presque d’inspiration divine, une telle question est quasi hérétique. La poser permettrait pourtant de comprendre que ce vieux texte, loin d’être l’instrument d’un gouvernement représentatif et souverain, représente un mélange inextricable de croyances démocratiques et prédémocratiques, de compromis boiteux et de contradictions aveuglantes. |
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10. This, of course, is heretical in a society that views its constitution as hardly less than divinely inspired. Yet a more rigorous and unsentimental analysis than the constitution is usually accorded suggests something quite different : rather than an instrument of democratic self-government, it is a melange of democratic and pre-democratic beliefs, a document filled with awkward compromises and glaring contradictions. |
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11. Le préambule du texte, c’est-à-dire le fameux paragraphe d’introduction qui commence par "Nous, le peuple des États-Unis", laisse d’emblée apparaître une ambiguïté significative. Les trois premiers mots semblent en effet placer la nouvelle charte à l’avant-garde du nouvel âge de souveraineté qui a surgi à partir des années 1770 et 1780. Mais le pouvoir du peuple suscitait l‘ambivalence des pères fondateurs. D’une part, ils admettaient que celui-ci serait bien la source d’autorité légitime dans la nouvelle République (d’où la généralisation de l’élection à la plupart des offices publics). Mais, d’autre part, la nouvelle force qu’ils laissaient maîtresse de la décision publique leur inspirait tant d’effroi qu’ils veillèrent à la contrôler de très près en généralisant un système de restrictions et de limitations. Face à une Chambre des représentants, plus plébéienne, ils créèrent un Sénat quasi aristocratique destiné à l’équilibrer ("Le Sénat tue les mauvaises lois, la Chambre des représentants, les bonnes" ). Puis les pères fondateurs conçurent une présidence bonapartiste qui contrebalancerait le Congrès et un corps de magistrats nommés à vie pour équilibrer à la fois la Maison Blanche et le Capitole. Enfin, comme si tout cela ne suffisait pas, ils déléguèrent aux États nombre de pouvoirs essentiels (dont l’éducation et la justice), ce qui leur permettrait d’amoindrir un peu plus le pouvoir fédéral. |
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11. Perhaps the most basic concerns the preamble, the famous introductory paragraph beginning with the phrase, "We the People...". These three words alone would seem to place the constitution at the forefront of a new age of popular sovereignty that was beginning to unfold in the 1770s and 1780s. Yet the founding fathers were actually of two minds concerning popular power. On the one hand, they recognised that the people were the only possible source of authority in a new republic. On the other, they were so frightened by the new force they were calling into being that they felt obliged tie it down, Gulliver-style, with numerous restrictions and limitations. They were so leery of a plebeian House of Representatives, for instance, that they created a quasi-aristocratic Senate to more or less cancel it out. (As the modern saying has it, "The Senate kills the bad bills, the House kills the good.") The founders created a proto-Bonapartist presidency to offset the legislature and a lifetime judiciary to offset both Congress and the president. As if this was not enough, they left huge powers (including education and justice) in the hands of the individual state governments so that they would serve as a further check on federal power. |
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12. Car, pour les pères fondateurs, face à la dangerosité inhérente à tout pouvoir politique, la préservation de la liberté imposait que l’autorité soit fragmentée, qu’elle se dévore elle-même. Dans les années 1720, deux des précurseurs de la Constitution, John Trenchard et Thomas Gordon, auteurs des Lettres de Caton, expliquaient : "Le pouvoir et la souveraineté doivent être précisément délimités, divisés entre divers organes et confiés à un nombre important d’hommes différents de manière à ce que leurs rivalités, jalousies, craintes ou intérêts transforment chacun d’eux en espion des autres". Et, dans une lettre de 1787 à Thomas Jefferson, James Madison, "le père de la Constitution", ne dit pas autre chose : "Diviser pour régner, cette règle corrompue propre à la tyrannie est, sous certaines conditions, la seule politique qui permettra à une République d’être administrée par de justes principes". |
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12. Because political power was inherently dangerous, the only way to preserve liberty was to fragment authority and somehow turn it against itself. As John Trenchard and Thomas Gordon, authors of the highly influential "Cato’s Letters", put it in the 1720s, "Power and sovereignty ... [must be] so qualified, and so divided into different channels, and committed to the discretion of so many different men ... [that] their emulation, envy, fear, or interest ... [make] them spies or checks upon one another". Or, as James Madison, the Father of the Constitution", put it in a letter to Thomas Jefferson in 1787 : Divide et impera [divide and conquer], the reprobate axiom of tyranny, is under certain conditions, the only policy, by which a republic can be administered on just principles". |
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13. C’est là le postulat central de la Constitution des États-Unis et donc de la politique américaine. En voulant empêcher la souveraineté de s’exprimer, James Madison ne pouvait que tourner le peuple contre lui-même avec l’espoir qu’il ne cesserait de se contredire. Au lieu de la République du juste milieu escomptée pour décourager l’extrémisme et promouvoir la modération, cette architecture a édifié une forme de politique profondément névrosée, oscillant en permanence de la stagnation à l’hystérie. |
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13. This is the central principle of the US constitution and hence of American politics. The problem is that sovereignty is by definition whole and unlimited. Thus Madison was attempting to divide the indivisible, to turn the people against themselves so that they would nullify their own power at every turn. The result was supposed to be a republic of the Golden Mean, one that would discourage extremism and promote moderation and compromise. But the reality has been the opposite, a deeply neurotic form of politics constantly veering back and forth between periods of stagnation and hysteria. |
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14. Ainsi, parce qu’elle avait enveloppé l’esclavage de garanties légales presque impossibles à défaire, la Constitution favorisa la guerre de Sécession de 1861-1865. Les Américains se flattent d’avoir évité une période de terreur jacobine au XVIIIe siècle. Ils oublient qu’ils n’ont fait que la décaler d’un siècle quand 600 000 d’entre eux sont morts au combat et que les armées de l’Union ont envahi le territoire du Sud, c’est-à-dire de la Vendée américaine. |
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14. By surrounding slavery with legal guarantees that were all but impossible to remove, the constitution led directly to a civil war between New England Puritans and Virginia Cavaliers in 1861- 65 that was in many ways a replay of the English civil war of the 1640s. The Americans may have avoided a period of Jacobin terror in the 18th century. In fact all they did was put it off for a century, when 600,000 died as Union forces tore through the South. |
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15. Sitôt la guerre conclue, l’État central retrouva cependant sa fonction de gouvernement croupion, "les barons voleurs" (les grands groupes capitalistes de l’époque) s’empressant d’occuper le vide. Les grèves furent écrasées sans pitié et les Noirs retrouvèrent un régime de servitude presque aussi terrible que l’esclavage auquel ils venaient d’échapper. Confronté à un état d’urgence dans les années 30 et 40, Franklin Roosevelt parvint bien à renforcer pour un temps l’autorité du pouvoir fédéral, mais il ne la rendit pas plus cohérente pour autant. |
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15. Once the war was over, the federal government returned to its original lassitude, capitalist robber barons rushed to fill the vacuum, strikes were crushed, and Southern blacks were forced into a form of serfdom in some respects worse than the slavery they had just escaped. If Franklin D. Roosevelt succeeded in expanding federal authority during the unparalleled emergency of the 1930s and 1940s, he did not succeed in making it more efficient or comprehensible. |
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16. Depuis, la politique nationale est marquée par la confusion et par la récurrence des paralysies. La désintégration du système des partis interdit à une formation politique d’espérer contrôler tous les leviers de commande du pouvoir fédéral. Avec un président démocrate (M. William Clinton) affrontant pendant l’essentiel de son mandat un Congrès à majorité républicaine alors que ses prédécesseurs républicains (Richard Nixon, MM. Gerald Ford, Ronald Reagan, George Bush) avaient eux-mêmes fait face à des Congrès à majorité démocrate, une forme de guerre de tranchées s’est institutionnalisée, dans laquelle deux pouvoirs rivaux se disputent le contrôle d’un troisième, la Cour suprême. |
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16. Since then federal politics have grown ever more incoherent due to the crippling problem of gridlock". As the party system has disintegrated, the days are long gone when a single party could control the entire federal government. Instead, with the Democrats controlling one branch and the Republicans controlling another, politics since the 1970s have degenerated into a form of long-term trench warfare in which the two sides grapple for control of the third, i.e. the Supreme Court. |
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17. Dans les années 80, cela a conduit au scandale de l’Irangate, qui vit l’administration Reagan chercher à court-circuiter le Congrès (à majorité démocrate) en finançant, illégalement, grâce au produit de la vente de missiles à l’Iran, la fourniture, tout aussi illégale, d’armes aux miliciens anticommunistes du Nicaragua. Et, en 1995-1996, le gouvernement fédéral dut fermer — ses fonctions non essentielles ne furent plus assurées et la paie des fonctionnaires gelée— quand les deux partis ne parvinrent pas à s’accorder sur un budget. Enfin, au moment de l’affaire Lewinsky, la révélation par le procureur Starr du parjure du président Clinton allait procurer aux républicains, défaits à l’issue de "la bataille du budget", une sorte de revanche. |
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17. In the 1980s this led to the Iran-Contra (Irangate) scandal in which the Reagan administration, seeking to bypass a Democratic-controlled Congress, set up a secret office in the White House basement under the control of Colonel Oliver North to sell missiles to Iran and funnel arms to right-wing guerrillas in Nicaragua. In 1995-96 the federal government briefly shut down when the two parties were unable to agree on a budget. A few years later Republicans got their revenge for Irangate when the special prosecutor Kenneth Starr, a US-style grand inquisitor, caught Clinton in a lie about his sexual relations with Monica Lewinsky. |
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18. Cette obstruction permanente a mis en cause l’idée même d’un gouvernement représentatif. A mesure que les réalisations législatives sont devenues plus rares, les échanges et marchandages ont cessé en effet d’opérer à la lumière du débat public et se sont déroulés dans le cadre des centaines de commissions et de sous-commissions, souvent arbitrées par des lobbyistes et par de gros contributeurs de fonds électoraux. La généralisation de la corruption s’est accompagnée d’une opacification du processus politique, laquelle a découragé un peu plus des millions d’Américains d’y prendre part. Pourtant, au nom de la liberté d’expression (premier amendement de la Constitution), la Cour suprême s’est opposée à toute réglementation contraignante des financements électoraux. |
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18. The results have helped undermine the very notion of democratic self-government. As the normal legislative process has ground to a halt, deal making has moved off-stage into hundreds of committees and subcommittees in which lobbyists and wealthy political contributors hold sway. As corruption has mushroomed, the political process has grown more and more opaque, which is why tens of millions of American voters have essentially dropped out of the political system. Yet in the name of freedom of expression (the First Amendment), the Supreme Court has opposed any constraint on electoral funding. |
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19. La situation n’est guère meilleure dans le domaine des libertés publiques. Les constituants, qui redoutaient la prédisposition tyrannique du pouvoir politique, ont voulu préserver les droits de la personne en les protégeant des contingences parlementaires et présidentielles. Ainsi, la déclaration des droits (Bill of Rights), c’est-à-dire les dix premiers amendements de la Constitution adoptés en 1791, est jugée plus sacrée encore que le reste du document dans lequel ils se trouvent. Mais, avec le déclin démocratique, les libertés civiques ont elles aussi été mises en cause. L’offensive conservatrice, quasi ininterrompue depuis les années 70, a en effet facilité l’interprétation de plus en plus restrictive de la déclaration des droits par la Cour suprême. Et l’on ne compte plus les politiciens qui ont construit leur carrière politique en persuadant les classes moyennes que la lutte contre le crime imposait la mise en cause de certaines libertés civiques. |
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19. The situation is not much better in the area of civil liberties. Because political power is seen as inherently tyrannical, US constitutional theory holds that civil liberties can be safeguarded only by elevating them above ordinary politics. Thus the Bill of Rights (as the first ten amendments to the constitution have been known since their adoption in 1791) is regarded as even more sacred and untouchable than the original document of which the amendments are nominally a part. Yet as democracy has decayed, so has the basis for civil liberties. As a rightwing offensive has intensified, the Supreme Court has grown increasingly cautious in interpreting the Bill of Rights, while politicians have learned to win election by persuading the middle class that civil liberties must be narrowed if crime is to be reduced. |
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20. A New York, une ville qui était fière de son côté irrespectueux et tapageur, le résultat en est une atmosphère de plus en plus répressive où la moindre des manifestations affronte des cordons de policiers en tenue antiémeute. Quand, en octobre 1999, "Sensation", une exposition d’oeuvres d’art provocantes a ouvert dans un musée de la ville, le maire, M. Rudolph Giuliani, l’a aussitôt dénoncée comme anticatholique et a annoncé qu’il supprimerait les crédits municipaux versés au musée. Résultat : la cote de popularité du maire a grimpé un peu plus. |
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20. In New York, a city that once prided itself on being abrasive and outspoken, the result is an increasingly repressive atmosphere in which even the mildest demonstrations now meet with lines of helmeted, riot-clad police. When "Sensation", a collection of provocative art works owned by the British advertising mogul Charles Saatchi, opened at a local museum in October 1999, Mayor Rudolph Giuliani, a classic 1930s-style strong man, assailed it as anti-Catholic and moved to punish the museum by cutting off city funds. As a result Giuliani’s approval rating rose even higher. |
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21. "Je suis disposé à sacrifier 10 % de mes libertés civiques en échange d’une baisse de la criminalité de 5 %" , expliquait un jour un habitant de Greenwich Village, le quartier autrefois bohème de New York que des caméras de surveillance observent désormais vingt-quatre heures sur vingt-quatre afin d’y traquer les revendeurs de drogue et les ivrognes. Mais pourquoi s’arrêter à 10 % ? Pourquoi ne pas renoncer à la totalité de ses libertés en échange de la paix totale des cimetières ? |
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21. "I would trade any day 10% of my civil liberties for a 5% decrease in crime", one resident told a reporter a couple of years ago in Washington Square, a once-rowdy park in Greenwich Village where video surveillance cameras now keep watch 24 hours a day for drug dealers and drunks. But why stop at 10% ? Why not surrender all your civil liberties in exchange for perfect peace ? |
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22. Un autre signe du recul démocratique ne trompe pas : l’histoire d’amour entre les États- Unis, l’incarcération et la peine de mort s’approfondit. L’essentiel de l’inflation carcérale (qui se traduit par un taux extravagant de 668 détenus pour 100 000 habitants) est imputable aux arrestations et emprisonnements pour fait de drogue. Or 80 % des personnes appréhendées le sont pour simple possession ; plus de la moitié d’entre elles (44 %) pour possession de marijuana. En d’autres termes, les prisons américaines débordent de détenus dont le seul crime est l’ingestion d’une substance moins nocive que le tabac. |
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22. [...] |
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23. En 1999, les autorités pénales ont procédé à l’exécution de 98 condamnés à mort, un chiffre sans précédent depuis 1976 et le rétablissement de cette procédure par la Cour suprême (qui jugea qu’il ne s’agissait pas —ou plus— d’une peine cruelle et inhabituelle " proscrite par le huitième amendement de la Constitution). Le précédent "record" datait de... 1998 (68 exécutions) ; celui de 1999 sera vraisemblablement battu dès cette année. |
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23. In 1999 the US prison authorities executed 98 people, a third more than the year before, and all indications are that the tally this year will be even higher. |
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24. Comme gouverneur du Texas depuis 1995, M. George W. Bush, l’un des favoris dans la course à la Maison Blanche, a entériné 112 exécutions. Et son frère, M. John Ellis ("Jeb"), se dépense sans compter pour accélérer le rythme des supplices en Floride, État dont il est le gouverneur. Trois mineurs (au moment du crime) vont être exécutés au Texas et en Virginie. |
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24. George W. Bush has personally presided over 112 executions since becoming governor of Texas in 1995, while his brother, John Ellis (Jeb), governor of Florida, has pledged to speed up executions there as well. |
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25. Loin d’être la substance permettant de souder la démocratie, la Constitution des États- Unis s’apparente à une foi qui la menace. Plus elle est suspendue au-dessus de la politique et des choix démocratiques, plus elle abaisse la portée de ces derniers. Plus elle vieillit, plus elle pèse sur la société. Or la procédure de révision est tellement complexe (vote de chacune des deux Chambres à la majorité des deux tiers, puis ratification par les trois quarts des États) qu’il suffit de treize États ne représentant que 5 % de la population pour bloquer toute modification susceptible d’être désirée par 95 % des Américains. |
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25. Rather than the glue holding democracy together, the US constitution seems a hollow faith tearing it apart. The more it is elevated above the reach of ordinary politics, the more democratic politics are lowered. And the older it grows, the more heavily it weighs on society. Thanks to an arcane amending process, as few as 13 states representing just 5% of the population can veto any constitutional change desired by the other 95%. And the problem threatens to get worse as the gap widens between demographic giants such as California (population 33 million) and depopulated Rocky Mountain states such as Wyoming (population 481,000). |
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26. Tant que les valeurs d’Internet s’envolent et que des cyber-entrepreneurs de trente ans se réveillent milliardaires, les Américains continueront sans doute de croire qu’ils ont découvert le saint Graal, qu’ils font envie au reste du monde, qu’ils éclairent la planète de leur culture. Si demain la bulle boursière se dégonfle, ils découvriront peut-être qu’ils ne vivent pas dans la société la plus moderne de la terre. Mais, constitutionnellement au moins, dans l’une des plus retardataires. |
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26. As long as internet stocks keep rising and 30-year-old cyber-entrepreneurs find themselves worth hundreds of millions of dollars, Americans believe they have found the economic Holy Grail. They see themselves as the envy of the world, a light unto the nations. But if the Wall Street bubble deflates, they may find that they are not the most modern society on earth —but constitutionally among the more backward. |
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