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Biens publics globaux, un concept révolutionnaire


Global public goods : the fairness revolution

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1.

PERSPECTIVES POUR LA COOPÉRATION INTERNATIONALE

1.

GLOBAL PUBLIC GOODS : A NEW WAY TO BALANCE THE WORLD’S BOOKS

2.

Début mai, un rapport de la CIA identifiait, pour la première fois, l’épidémie mondiale de sida comme une menace pour la sécurité nationale des États-Unis. La présidence décidait en conséquence de consacrer 254 millions de dollars à l’aide internationale pour la lutte contre ce fléau. Cynisme, diront certains : ne s’agit-il pas, avant tout, d’une menace pour les pays les plus touchés ? Si l’on admet toutefois que les décisions des États répondent à leur intérêt bien compris, cet exemple invite à réfléchir sur les incitations économiques qui peuvent les conduire à coopérer pour le bien de l’humanité.

2.

A report published by the CIA in early May broke new ground in identifying the world AIDS epidemic as a threat to the United States’ national security. As a result, President Clinton has devoted $254 million to international aid designed to fight it. This could be seen as cynicism, or alternatively as enlightened self-interest — an example of economic logic that could encourage the world’s statesmen to cooperate for the greater good of humanity.

3.

Dans le vocabulaire de la mondialisation, "défis", "enjeux" et "problèmes" sont omniprésents. Si ce registre fait appel à la bonne volonté des acteurs —États, entreprises, organisations non gouvernementales (ONG), individus— pour "gérer", "prendre en compte", interpeller les consciences ", et se comporter de manière "civique", il évacue l’analyse de la nature économique des "défis" et des mécanismes qui permettraient d’y répondre de manière structurée et efficace.

3.

The vocabulary of globalisation is full of words like "challenge", "issues", "problems" etc. The terminology implies an appeal to the goodwill of the protagonists in the field - countries, companies, NGOs and individuals - to "deal with" things, to take things on board", examine their "consciences", and generally to behave in a civilised fashion. But at the same time it sidesteps analysis of the economic nature of these "challenges" and the kind of structured and effective mechanisms that might be created to respond to them.

4.

Deux axes de réflexion commencent toutefois à émerger, jusque dans les cénacles les plus néolibéraux :

4.

However, two interesting lines of thought are beginning to emerge, even in the heartlands of neo-liberalism :

5.

- le fait qu’une réglementation laxiste dans un pays fasse supporter ses coûts (sociaux, économiques ou écologiques) par les autres pays est non seulement inéquitable, mais également inefficace ;

5.

- it is increasingly seen as inefficient —and unfair— for the costs of lax regulation (whether social, economic or ecological) in one country to be borne by others.

6.

- les inégalités croissantes comportent ce que les économistes appellent d’importantes "externalités négatives" : la pauvreté des uns sape la prospérité des autres.

6.

- growing inequity can also entail significant "negative externalities" : i.e., the poverty of some undermines the prosperity of others.

7.

Cette analyse s’applique notamment aux pollutions transfrontalières, ou aux épidémies ; aux privations humaines (la misère ou les violations des droits fondamentaux peuvent pousser à l’émigration) ; ou encore au droit des affaires (les investisseurs cherchent des garanties dans un régime de propriété intellectuelle, une réglementation bancaire, etc.).

7.

This analysis is being applied to cross- border pollution, careless handling of outbreaks of contagious diseases, and to allowing human deprivation, such as poverty or human rights violations, to create migration pressures. It is also being applied in areas of business law (with investors looking for guarantees in regard to intellectual property rights, banking regulation etc.).

8.

Il faut donc repenser l’équilibre entre "privé" et "public", entre les activités des "acteurs privés" dans le cadre global (qui comporte aussi bien les États que les grandes entreprises, les ONG ou les individus) et le domaine public mondial. Comment amener les différents acteurs à être plus responsables de leurs actes —et spécialement des nuisances que ceux-ci peuvent causer ?

8.

So we need greater balance between "private" and "public" - between the activities of private actors, whether individual states, corporations, NGOs or individuals, and the world public domain. It is a call for individual actors to assume more responsibility for the consequences of their actions, in particular for negative consequences from which others will suffer.

9.

Un nouvel outil théorique

9.

A new theoretical tool

10.

Cette réflexion impose l’invention de nouveaux outils intellectuels —de termes et de concepts montrant que, à l’ère de la mondialisation, la réponse aux besoins "privés" (y compris les intérêts nationaux) passe de plus en plus par la réalisation de buts communs et par la coopération internationale. A cet effet, le concept de biens publics globaux " est particulièrement utile.

10.

This analysis requires the invention of new intellectual tools - terms and concepts that will show that, in the era of globalisation, the meeting of "private" needs (and this includes national interests) increasingly involves the achievement of mutual objectives, and international cooperation. The concept of global public goods" is key in this regard.

11.

Il existe une première catégorie, traditionnelle, de biens publics globaux. Ceux-ci se trouvent "en dehors" des États, ou à leurs frontières, et leur régulation constitue ce qu’il est convenu d’appeler les affaires étrangères ". Ainsi l’espace et les océans, qui existaient avant toute activité humaine, sont-ils régis par des réglementations internationales. Au XVIIe siècle furent signés les premiers traités internationaux garantissant le libre accès à la haute mer. Des accords de ce type vont se multiplier avec l’intensification des activités économiques internationales pendant tout le XIXe siècle et le début du XXe : transport des marchandises et du courrier, télécommunications, aviation civile. Quand ils sont multilatéraux et d’envergure planétaire, ces accords en eux-mêmes composent un bien public global —car ils créent un cadre réglementaire commun. Ce premier type de biens publics globaux est plus important que jamais, en raison de la croissance des activités économiques internationales et de la mondialisation de la technique et des communications (Internet).

11.

There is a first, traditional class of global public goods. They are located "externally" to countries and their borders, and their regulation involves what is conventionally called "foreign affairs". As one example, space and the oceans, which pre-date all human activity, are governed by international systems of regulation. Agreements such as those on the free access of nations to the high seas date back into the 17th century. They began to proliferate as international economic activity intensified in the 19th century and early 20th century - shipping, telecommunication, civil aviation, transmitting mail. If they are of a multilateral nature and global in scope, these agreements themselves have a global- public- good character because they establish international orders and regulations whose benefits tend to be available to all. This first type of global public good is probably more important than ever before, because of the growth of international economic activity and the globalisation of technology and communications (internet).

12.

Cependant, les questions mondiales qui figurent en tête des préoccupations politiques constituent un second type de biens publics, qui ne sont plus simplement "en dehors", à l’extérieur des États, mais en traversent les frontières, sortant ainsi du simple champ des affaires étrangères ". Pendant longtemps nous avons considéré les biens publics naturels (la couche d’ozone) comme des biens gratuits, et nous les avons surconsommés. Des mesures correctives, comme une réduction de l’usage des chlorofluorocarbones (CFC) et des énergies non renouvelables, doivent maintenant être appliquées partout sur le plan national.

12.

Yet the global challenges that figure most prominently on today’s policy agendas represent a new, quite different class of global public goods. They are not "out there" and external to states, but cut across borders and therefore go beyond foreign affairs" For a long time we thought of natural public goods, such as the ozone layer, as free goods, and we over-consumed them. Corrective measures, such as a reduction in the use of chlorofluorocarbons (CFCs) and of non-renewable energy sources, are now expected to be applied in every country in the world.

13.

Dans un sens, ces biens publics globaux, que nous croyions se trouver "en dehors", sont devenus des enjeux de politique nationale. A l’inverse, des biens publics traditionnellement considérés comme nationaux (la santé, la gestion des connaissances, l’efficacité du marché, la stabilité financière... ou même la loi, l’ordre, les droits humains ou la justice économique) dépassent la seule souveraineté nationale. Si, par exemple, la surveillance des épidémies constitue, depuis plus de cent ans, l’un des pivots de la coopération internationale, son fonctionnement ne peut plus reposer sur la simple coordination de systèmes nationaux d’alerte. Car des États peuvent être tentés de s’en dispenser pour placer leurs budgets sur d’autres priorités (ou pour masquer leurs difficultés sanitaires), fragilisant par là même l’ensemble du dispositif. Autrement dit, ces questions de politique mondiale exigent, plus que des accords de principe (comme ceux qui garantissent la liberté de circulation des navires étrangers en haute mer), une harmonisation des politiques nationales et des changements effectifs sur le terrain.

13.

In a sense these global public goods, which were once viewed as "external", have now become issues of national policy. Conversely, public goods traditionally seen as "national" (health, financial stability, market efficiency and knowledge management —and even law and order, human rights and economic equity) can no longer be produced through domestic action alone. For instance, for more than 100 years the control of epidemics has been one of the pivots of international cooperation. But its functioning can no longer be left to the simple coordination of national warning systems. For instance, individual countries might be tempted to run them down as a way of meeting other budget priorities (or in order to mask local health problems), and this would weaken the successful functioning of the system as a whole. In other words, these questions of world policy require more than just agreements on principles (such as those guaranteeing the free circulation of foreign ships on the high seas) ; they need a harmonisation of national policies, and effective changes on the ground.

14.

Plusieurs facteurs expliquent l’émergence de ce nouveau type de biens publics globaux. Tout d’abord, la plus grande ouverture des frontières a facilité l’extension de "maux globaux" : dumping social, dévaluation compétitive, voire même comportements à risque (la consommation de tabac). En deuxième lieu, la mondialisation véhicule un risque systémique global : volatilité inhérente aux marchés financiers internationaux, changement climatique planétaire, explosions politiques provoquées par l’accroissement des inégalités... Un troisième facteur est le pouvoir croissant des acteurs non étatiques du secteur privé et des firmes transnationales, mais aussi de la société civile et des ONG. Avec leurs objectifs propres, ces acteurs transnationaux pressent les gouvernements d’adhérer à des normes politiques communes, qu’il s’agisse de standards techniques ou du respect des droits humains.

14.

Several factors are behind this new type of global public goods. Among them is the increasing openness of countries —which facilitates the spread of global "bads", such as "social dumping", competitive devaluation, and risky consumer behaviour (such as cigarette smoking). Another is that globalisation brings with it a growing number of global systemic risks : such as volatility risks inherent in international financial markets, the risk of global climate change, or the political risks arising from explosive global inequity. A third factor is the growing strength of non-state actors, such as the private sector, notably transnational corporations, and civil society/NGOs. Both these actor groups have stepped up the pressure on governments to adhere to common policy norms, from basic human rights to technical standards.

15.

Mais les experts et responsables politiques manquent d’outils en matière d’orientation publique, et n’ont donc pas encore développé une approche satisfaisante de ces nouvelles réalités. Le concept même de biens publics globaux est méconnu —la terminologie pour les décrire et les analyser n’est pas suffisamment répandue. En conséquence, le vocabulaire utilisé est vague, et les techniques qui permettraient de faire émerger les biens publics globaux sont trop peu connues.

15.

But policy analysts and political leaders lack the tools for creating a public awareness, and as a result have not developed a satisfactory approach to these new realities. The problem starts with the unfamiliarity of the concept of global public goods itself —we still lack the necessary terms and concepts to describe and analyse them. Hence, the vocabulary currently in use is vague, as is the precise production technology that would need to be followed to make them emerge.

16.

Comment assurer la production d’un bien ? S’agissant de biens privés, investissement et production sont en principe motivés par la demande ; et les firmes privées planifient attentivement leur production pour assurer efficacité et compétitivité. Par contraste, la demande de biens publics, et particulièrement la demande de biens publics globaux, est tempérée par la crainte que tous ne paient pas leur part : c’est le problème du "passager clandestin" (free rider ; lire ci-dessous).

16.

How is the production of a good to be assured ? In the case of private goods, demand creates incentives for investment and production ; firms carefully plan their production in order to ensure efficiency and competition. Demand for public goods, however, and particularly demand for global public goods, is muted by the fear that everyone will not pay his or her fair share ("free riders").

17.

Les bonnes intentions ne suffisent pas pour produire des biens publics globaux. Le protocole de Montréal, signé en 1987 et qui vise à réduire les émissions de CFC pour lutter contre la destruction de la couche d’ozone, est une rare exception. Ses objectifs sont simples et il définit des incitations claires, comme une aide additionnelle pour que les pays les plus pauvres puissent respecter leurs engagements internationaux, et des pénalités (sous la forme de sanctions commerciales) pour ceux qui ne les respecteraient pas. A l’exemple de ce protocole, il existe donc des stratégies de production des biens publics globaux.

17.

Good intentions alone are not sufficient to produce global public goods. The Montreal Protocol on reduction of CFC emissions with a view to preventing the destruction of the ozone layer, was a rare exception. Its objectives are simple and it sets out clear incentives, such as additional aid to help poor countries meet their international commitments, and penalties (in the shape of trade sanctions) for those who do not respect them. Following the example of this protocol, there are also strategies for the production of global public goods. But not enough people know about them.

18.

Trois classes de biens commandent des démarches spécifiques :

18.

There are three classes of goods requiring specific approaches :

19.

- certains biens publics globaux, comme l’air pur (ou, plus modestement, la réduction des gaz à effet de serre), relèvent d’une démarche "additive". Ils ne peuvent être obtenus qu’en additionnant un grand nombre de contributions d’importance égale. Autrement dit, 1 tonne de gaz à effet de serre économisée au Bangladesh est égale à la même quantité économisée au Brésil ou au Pérou, aux États-Unis ou en Allemagne. Bien entendu, le but ne sera atteint que si tous les acteurs acceptent les mêmes règles, en apportant une contribution conforme aux limitations globales, soit en nature (en réduisant effectivement leurs émissions), soit en espèces (en achetant à d’autres pays des droits d’émission), si l’on suit la démarche préconisée par les États-Unis à Kyoto en 1998 ;

19.

- Some global public goods, such as "clean air", or more modestly, "reduction of greenhouse gases", follow a summation process : they are supplied by adding up many contributions of equal importance. In other words, a ton of greenhouse gases not emitted in Bangladesh is equal to the same amount not emitted in Brazil or Peru, or in Germany or the United States. Obviously, the goal will only be achieved, if all actors agree to play by the rules - to make a fair contribution to staying within global limits, either in kind (by actually reducing emissions), or in cash (by buying other countries’ emission rights), as for example foreseen under the measures proposed by the US at the 1998 Kyoto conference on climate change.

20.

- pour d’autres biens publics, c’est en revanche l’aide au maillon le plus faible qui constitue la bonne stratégie. Pour, par exemple, prévenir l’extension des maladies contagieuses ou pour empêcher des actes de terrorisme international, tous les pays doivent prendre conjointement des mesures prophylactiques. Si tel ou tel pays rompt la chaîne de prévention, les efforts des autres seront vains. Le coût du mal global qui résulterait de l’absence d’aide étant beaucoup plus élevé que le coût de l’aide, il est efficace (et pas seulement nécessaire) d’apporter un soutien à l’acteur le plus faible ;

20.

- Other global public goods may require a strategy of helping the "weakest link". For example, prophylactic measures by countries to prevent the spread of diseases or avoid international terrorism fit this strategy. If one country breaks the chain of prevention, the efforts of the others are rendered futile. So it is often necessary to enable the weakest actor —e.g. through aid— to actually produce the desired good. The costs of not doing so and having to cope with the resultant bad might be much higher.

21.

- quelques biens publics globaux, surtout dans le domaine des connaissances, reposent enfin sur une percée décisive. Ainsi, il suffit d’inventer le vaccin contre la poliomyélite en un seul lieu pour pouvoir l’utiliser partout dans le monde —à condition, toutefois, que les brevets n’empêchent pas l’accès des populations les plus pauvres aux applications de ces découvertes. Mais la transformation des maux publics en biens exige un effort conjoint et soutenu, de la base au sommet, de la part d’innombrables acteurs.

21.

- A few global public goods, especially the production of knowledge, also rely on a "best shot" approach. For example, it is sufficient to discover the polio vaccine once in order for it to be able to be used everywhere in the world —although this would require patents not to restrict the access of the world’s poorest peoples to such inventions. But in most instances, turning global public bads into goods requires a joint, bottom-up approach by a myriad of actors.

22.

Dans tous les cas, une concertation intégrée entre différents acteurs, tant à l’échelon national que sur le plan international, est indispensable. Or les orientations décidées dans la plupart des pays portent l’empreinte d’une distinction trop nette entre "intérieur" et "extérieur". Tout ce qui ne relève pas des relations extérieures - politiques ou commerciales - est considéré comme une affaire intérieure. Et presque tout ce qui relève des affaires étrangères est traité par l’exécutif, notamment par l’appareil diplomatique.

22.

In all cases, an integrated, concerted production process of multiple actors, nationally and abroad is indispensable. However policy- making in most countries is still marked by a sharp divide between foreign" and domestic". All that does not involve external relations — political relations and trade— is considered domestic. And almost everything to do with foreign affairs is, in large measure, handled by the executive branch of government, notably the conventional diplomatic corps.

23.

Si, depuis peu, certains pays affectent à leurs ambassades des spécialistes n’appartenant pas aux services extérieurs (notamment dans les domaines de l’environnement, du commerce, de la finance ou de la lutte contre le trafic des stupéfiants et le terrorisme), cette évolution ne modifie en rien le caractère essentiellement technocratique de la gestion des relations internationales.

23.

In the case of some countries, a growing number of non-foreign service staff is now joining embassies abroad, notably specialists in areas such as the environment, trade, finance, or control of drug trafficking and terrorism. However, these trends do not change the nature of the management of international relations, which is essentially technocratic.

24.

Malgré l’importance croissante des biens publics globaux, les États continuent de se comporter sur la scène internationale comme des acteurs "privés" : ils se soucient avant tout de leur "intérêt national" et considèrent souvent que le choix le meilleur, le plus rationnel pour eux, est d’attendre que d’autres se décident à pourvoir à tel bien public, puis d’en bénéficier gratuitement — de se comporter en passager clandestin ".

24.

And despite the growing importance of global public goods, states continue to act internationally as "private" actors : they are concerned mainly with their "national interest" and still perceive it frequently as the best and most rational choice to "free ride" —to wait for others to step forward, ensure the provision of a global public good, and then, when it exists, enjoy its benefits, for free.

25.

Reflétant ce désintérêt structurel, le travail des législateurs nationaux demeure essentiellement réservé au domaine intérieur. Dans les délégations aux conférences et aux congrès internationaux, à de rares exceptions près, les parlementaires brillent par leur absence. Ils n’ont souvent à connaître des accords internationaux qu’une fois ceux-ci mis au point et prêts à être traduits en droit intérieur. Et ils peuvent ignorer jusqu’à l’existence de certains accords internationaux.

25.

Reflecting this structural lack of interest, the work of national legislators, on the other hand, is essentially domestic in focus and scope. With a few exceptions only, they are conspicuously absent from country delegations at international meetings and conferences. Often, they come into contact with international agreements only once they have been finalised and the time comes to translate them into national law. And they may even be entirely ignorant of the existence of some international accords.

26.

D’autre part, les décideurs nationaux ne prennent souvent pas en compte les effets transfrontaliers de leurs décisions. Il n’y a guère que pour l’environnement que ces "externalités" et leur "internalisation" (la prise en compte de leur coût) entrent dans les débats d’orientation nationale.

26.

It can also not be taken for granted that national policy-makers always consider the cross-border effects of national policy actions. It is really only on environmental issues that awareness of such "externalities" exists, and their "internalisation" (i.e. the costs involved) is being considered in domestic policy debates.

27.

Principe de justice

27.

A principle of justice

28.

Rien d’étonnant donc à ce que la coopération internationale fasse si souvent l’objet d’allocations budgétaires insuffisantes. Dans les pays les plus riches, les fonds destinés aux travaux d’entretien de la planète, comme les interventions en temps de crise financière, la protection de la couche d’ozone ou la lutte contre le réchauffement planétaire, sont souvent prélevés sur l’aide au développement ou sur les fonds d’urgence destinés aux pays pauvres. Selon certaines estimations, c’est près d’un quart des quelque 50 milliards de dollars alloués chaque année à l’aide internationale au développement qui sert en fait aux perspectives globales, c’est-à-dire à des activités destinées à maintenir un équilibre du monde plus qu’à permettre aux plus pauvres de répondre à leurs besoins et intérêts nationaux ( "privés"). Une réforme urgente, qui permettrait de donner une lisibilité aux arbitrages qui sont faits entre ces deux types d’aide extérieure, serait de les séparer dans la comptabilité publique.

28.

Not surprisingly, the costs of international cooperation are in many instances not properly budgeted for. In the richer countries, funds for global house-keeping, such as international financial-crisis rescue packages, protecting the ozone shield or averting the risks of global warming, are often siphoned off from aid budgets or from emergency funds, squeezing assistance to the poor. According to some estimates, almost a quarter of the $50bn allocated for international development aid each year is destined for global issues - in other words, for activities designed to maintain the world’s equilibrium, rather than for enabling the poorest people to meet their national ("private") needs and interests. One reform that is urgently required is to separate these two aspects in public accounting, so that the choices that are made between these two kinds of foreign aid become more transparent.

29.

Quant aux pays en voie de développement, il est rare qu’ils allouent des budjets pour participer à des projets internationaux, même lorsqu’ils pourraient se permettre une contribution. La dépense totale annuelle dans la coopération internationale est donc de l’ordre de 12 à 15 milliards de dollars, quand la dépense publique totale avoisine 8 000 milliards de dollars.

29.

As for poorer developing countries, there are often no funds whatsoever to support international collaboration, even if the country could, with sufficient planning, be counted on to contribute. The annual spending in the field of international cooperation is thus of the order of $12 to $15bn, whereas total public spending approaches $8,000bn.

30.

De plus, même si, demain, venait à exister une vraie volonté politique, les décideurs se retrouveraient les mains vides, faute d’outils adéquats : quelques analyses, de rares études, peu de statistiques concernant les incidences transfrontalières, une foule de conflits entre ministères, peu de ressources disponibles pour concrétiser leurs intentions.

30.

Moreover, even if tomorrow there were sufficient political will seriously to address global public goods issues, policy-makers would find that their present tool-kit leaves them rather empty- handed. They would have few analyses and studies to consult, few statistics on spill-ins into their country or spill-overs from it to lean on, most probably a host of conflicts among existing ministries to contend with, and few resources to back up their good intentions.

31.

Que proposer ?

31.

Clearly, new policy mechanisms are required to help today’s —and tomorrow’s— policymakers tackle these new tasks effectively and efficiently.

32.

D’abord une étude systématique du concept, l’analyse des effets des biens publics globaux sur la vie quotidienne. Quelles sont, par exemple, les répercussions de la stabilité financière sur la situation de l’emploi et sur la sécurité des retraites ? Quelles sont les conséquences de la croissance des inégalités sur les migrations internationales et sur la paix ? Ce n’est que lorsque l’opinion publique réalisera que le bien-être dépend des biens publics globaux et de la coopération internationale que les responsables politiques sentiront que leur mandat est de se confronter à ces besoins, d’amener l’ "extérieur" (la couche d’ozone) dans les problématiques nationales et de repenser l’ intérieur " (la santé, les retraites) comme un enjeu de politique internationale.

32.

First, there should be a systematic study of the concept of global public goods would be a sine qua non. This should include analyses showing how these goods affect people’s daily lives - how, for example, financial stability matters to their employment, the security of their savings, and notably, the security of their pensions. What are the consequences of growing levels of inequality on international migration patterns, and the possibility of peace ? It is only when public opinion realises that the general well-being depends on global public goods and international cooperation that political leaders will feel that their mandate is to deal with such issues —to bring "external" issues such as the preservation of the ozone layer into domestic politics, and to rethink internal" issues such as health and pensions as issues of international policy.

33.

Dans cette perspective, l’implication des parlementaires nationaux dans toutes les décisions concernant la coopération internationale est une priorité, ne serait-ce que pour sortir ces enjeux de l’"en dehors" habituellement confié aux technocrates et les ramener vers le citoyen (lire l’encadré).

33.

In this perspective, the involvement of national parliamentarians in all decisions concerned with international cooperation is a priority, if only to get these decisions out of the "external" frame in which they are habitually entrusted to technocrats, and bring them closer within reach of the voter..

34.

Pour autant, un préalable à toute réflexion sur les biens publics globaux est de la fonder sur le principe de la justice mondiale. Un bien global a beau, en effet, revêtir un caractère public, tous ne lui accordent pas nécessairement la même valeur. Le banquier d’investissement occidental accordera une priorité élevée à la stabilité financière, tout en appréciant le contrôle du paludisme lors de ses voyages.

34.

A precondition for any serious thinking about global public goods is to base it on the principle of world justice. A global good may well assume a public character, but not everybody is necessarily going to accord it the same value. The western investment banker will give greater priority to financial stability, for all that he appreciates the control of malaria when he is away on his travels.

35.

A l’inverse, le paysan du Sud préférera qu’on se penche sur la maladie, la volatilité de sa monnaie l’affectant moins directement. De même des priorités différentes peuvent être placées, d’un côté, sur la protection de la propriété intellectuelle pour favoriser les investissements de recherche privés et, de l’autre, sur la dissémination des connaissances. Une réflexion en termes de justice globale devrait permettre de concilier ces deux exigences.

35.

Conversely, a southern country might prefer priority to be given to controlling diseases, since the instability of its currency affects it less directly. Or countries might have different views of the priority to give protection of intellectual property rights on the one hand, in order to foster private research investment, and the dissemination of knowledge, on the other. An analysis undertaken in terms of global justice should make it possible to reconcile these two sets of needs.

36.

Un programme de biens publics globaux doit tenir compte de façon équitable des priorités des différentes populations concernées. Et il faut évidemment que ces nouveaux biens publics n’aggravent pas les inégalités existantes. Internet est l’exemple le plus éclatant de ce dilemme, avec, d’un côté, le savoir qu’il permet de diffuser au moindre coût et, de l’autre, la fracture que son développement creuse entre "inforiches" et "infopauvres".

36.

A programme of global public goods ought to take equitabe account of the priorities of the different populations involved. And obviously these new public goods should not increase already existing inequalities. The internet is the most striking example of this dilemma : on the one hand you have the fact that it enables a distribution of knowledge at very low costs, and the other, the gulf which its development is causing between the "info-rich" and the "info-poor".

37.

De même, l’existence d’un système de libre-échange —en soi un bien public global— favorise, dans un monde inégalitaire, les plus forts, et suscite en retour une défiance à l’égard de la politique mondiale. La plupart des négociations internationales portent sur les biens publics globaux qui intéressent le plus les pays riches et négligent les intérêts des autres pays. Les priorités accordées à tel ou tel bien public global sont donc formulées en fonction des préférences d’un club de pays riches. L’équité est une dimension importante de la promotion des biens publics globaux, et nul ne s’étonnera que l’inégalité de représen tation des intérêts dans les instances internationales ait été dénoncée lors des manifestations de Seattle et de Washington.

37.

Similarly, the existence of a system of free trade —in itself a global public good— in a world of inequalities favours the strongest, and in return leads to a degree of distrust of global politics. Most international negotiations are concerned with global public goods which are of interest to the richest countries, and ignore the interests of other countries. The priority accorded to any given global public good is thus based on the preferences of a club of rich countries. Equity is an important dimension in the promotion of global public goods, and nobody will have been surprised by the way in which the inequality of representation in international organisations was denounced during the demonstrations in Washington and Seattle.

38.

Au-delà de sa valeur instrumentale, la justice est en soi un bien public global. C’est un bien inépuisable —le fait pour un individu d’être traité équitablement ne diminue en rien les chances pour un autre d’être traité de même. Plus largement seront admis et encouragés le principe et la pratique de l’équité, plus sera grande la confiance de tous de pouvoir en bénéficier un jour. Sans une justice qui, par définition, doit s’appliquer à tous les peuples et dans toutes les régions, ainsi qu’entre les générations, il est vain de prétendre défendre l’intérêt général.

38.

Leaving aside its instrumental value, justice is in itself a global public good. It is an inexhaustible good —the fact of one individual being treated equitably in no sense diminishes the chances of someone else being treated similarly. The broader the application of the principle and practice of equity, the more people are going to feel confident of themselves enjoying it one day. Without a form of justice that, by definition, applies to all people and in all regions of the world, as well as between generations, there is no real defence of the general interest.

39.

La notion de priorités globales partagées " existe depuis longtemps. Elle a certainement servi d’inspiration après les guerres dévastatrices du XXe siècle. La création des Nations unies fut motivée par cette perspective. De même le plan Marshall de reconstruction de l’Europe et, sur le même modèle, le système international d’aide au développement pour les pays les plus pauvres. Les temps mûrissent pour la renaissance de cette idée sous la forme, plus actuelle, des "biens publics globaux". Cette notion pourrait jouer un rôle décisif dans la transformation en réalité politique d’une gestion de la mondialisation encore à l’état de vision utopique ou d’incantation rituelle.

39.

The notion of shared global priorities" has been with us for a long time. It certainly inspired the efforts of political leaders and others following the devastating world wars of the 20th century. The creation of the United Nations was motivated by this perspective. So was the Marshall Plan for the rebuilding of Europe and, on the same model, the system of international development aid for poor countries. The time is ripe for reclaiming this notion in its new, contemporary form —as the notion of global public goods. This could be critical to turning the vision of managing globalisation into political reality— a vision which, for the moment, is with us only as utopian fantasy or ritual incantation.

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