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Le modèle texan menace les États-Unis


The backward state of Texas

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1.

INCARNÉ PAR LE CANDIDAT RÉPUBLICAIN À LA PRÉSIDENCE

1.

GEORGE W. BUSH DOWN HOME

2.

C’est l’État des records. Le plus grand après l’Alaska, le plus peuplé après la Californie. Premier pour les exécutions capitales et les incarcérations, dernier pour la part de dépenses publiques en proportion du revenu. Et presque toujours à la traîne quand il s’agit de santé, de protection sociale, d’égalité raciale, de défense de l’environnement. Le Texas a donné aux États-Unis deux de ses anciens présidents, Lyndon Johnson et M. George H. Bush. C’est à présent M. George W. Bush qui s’élance vers la Maison Blanche.Son programme ? Faire aussi bien à Washington que dans l’État dont il est gouverneur depuis janvier 1995. Promesse ou menace ?

2.

Texas breaks all the records. It rates first for capital punishment, second for size and population, last for public spending, and it is nearly always behind in health care, racial equality and protection of the environment. Two former presidents, Lyndon Johnson and George H. Bush, come from Texas. Now it is George W. Bush’s turn to run for the White House.

3.

La plupart des Américains croient que l’État dont M. George W. Bush est gouverneur depuis 1995 a hérité son caractère politique singulier de ses cow-boys, de ses grands espaces sauvages et d’une longue histoire de luttes violentes contre toutes sortes d’ennemis, du Mexique aux Indiens Comanches, sans oublier les armées nordistes au moment de la guerre de Sécession. Après tout, quand les Indiens sont sur le sentier de la guerre et que le plus proche voisin susceptible de vous secourir se trouve à des kilomètres, l’homme n’a d’autre allié fidèle que son revolver à six coups. C’est ce qui expliquerait que les Texans aient longtemps placé l’individualisme et l’indépendance au-dessus de toutes les vertus.

3.

Most Americans, including most Texans, assume that Texas, home to George W. Bush, gets its distinct political character from its cowboy heritage, its wide open spaces, and its long history of violent struggle with everyone from Mexico and the Comanche Indians to the Civil War armies of the American North. When the Indians are on the warpath and the nearest neighbour is miles away, a man has nothing to fall back on except his trusty six-gun - which explains why Texans have long prized individualism and self-reliance above all other virtues.

4.

Avec la candidature de M. Bush, l’élection présidentielle américaine tourne au référendum sur le Texas et sur les valeurs qu’incarne cet État, le plus peuplé des États-Unis après la Californie. Si les armes et la géographie ont certainement joué un rôle dans sa genèse, des explications de ce genre sous-estiment à quel point le Texas d’aujourd’hui fut construit " en 1875, consciemment, par un groupe de 90 parlementaires, tous blancs et anciens soldats des armées confédérées (sudistes). Pendant les six années précédentes, un gouvernement progressiste soutenu par le Nord s’était employé à faire entrer le Texas dans le monde moderne en construisant des écoles publiques, en développant l’industrie et en luttant contre les mauvais traitements infligés aux Mexicains et aux Noirs (1).

4.

Thanks to Bush, the United States presidential election is fast turning into a referendum on Texas and all it stands for. But while guns and geography have certainly played a part, explanations like these tend to understate the degree to which Texas was consciously put together during a brief period in 1875 by a group of 90 or so lawmakers, all of them white and many of them ex-Confederate (Southern) army officers. Over the previous half-dozen years, a Northern-sponsored radical state government had struggled to bring Texas into the modern world by building public schools, encouraging industry and putting an end to some of the worst abuses of Mexicans and blacks (1).

5.

Ces réformes avaient tellement traumatisé les propriétaires terriens que, quand le Nord abandonna le projet de transformer les États confédérés et que la brève embellie démocratique se termina, ils s’empressèrent de restaurer l’ancien régime. Ils décrétèrent la ségrégation raciale dans les écoles publiques, taillèrent dans les budgets de l’éducation, abolirent le financement public des établissements noirs et démantelèrent l’appareil gouvernemental si douloureusement mis en place par le précédent gouverneur, Edmund J. Davis. De ces contre-réformes émergea un nouvel État qui devint tout à la fois synonyme d’opposition à l’intervention publique, au changement politique, et disposé à fermer les yeux sur l’utilisation de la violence contre les minorités raciales, les ouvriers et les pauvres.

5.

The results were so traumatic for Texas’s large-scale landowners that, when the North abandoned reconstruction and the state’s brief experiment with democratic reform was allowed to collapse, they seized the first opportunity to restore the ancien régime. They decreed racial segregation in state schools, slashed education, banned the use of general revenues to fund black colleges, and all but dismantled the governing apparatus that the former governor, Edmund J. Davis, had worked so hard to create. The upshot was the deliberate reinvention of a state whose name would become synonymous with hostility to government, opposition to political change, and violence towards racial minorities, workers and the poor.

6.

Ce visage du Texas subsiste dans tout ce que l’État fait ou dit, dans ses villes quasiment invivables, sa structure de classes, ses yoyos économiques entre prospérité et faillite, sa passion pour la peine de mort. Le Texas est, comme disent les brochures touristiques, une terre de contrastes ". Ce que ne les dépliants ne précisent pas, c’est que ces contrastes " sont le produit de contradictions enracinées dans la structure politique de l’État. Les Texans méprisent la politique, mais ils ont offert à la superpuissance américaine quelques-uns de ses politiciens les plus roués. L’État regorge de milliardaires du pétrole et du gaz qui prêchent avec fanatisme le capitalisme et la libre entreprise, mais sans jamais oublier de quémander une exemption fiscale ou une subvention de Washington.

6.

This side of Texas is apparent in virtually everything the state says and does - in its abysmal urban conditions, its class structure, its boom-or-bust economy, and its love affair with capital punishment. Texas, as the tourist brochures say, is a land of contrasts. What they don’t say is that many of those contrasts are the result of deep-rooted contradictions in its political structure. Texans are contemptuous of politics, yet they have produced some of the canniest politicians in the country. They abound in oil and gas millionaires who preach the gospel of free-market capitalism while milking Washington for tax breaks and subsidies.

7.

Les Texans sont imbus de leur esprit volontaire et de leur optimisme à toute épreuve, même si, à cause de la désorganisation chronique de leur État, ils ont essuyé un échec après l’autre. Célébrée comme l’une des pages les plus glorieuses de leur histoire, la bataille d’Alamo - cette forteresse espagnole de San Antonio où, en 1836, 187 Texans indépendantistes furent tués par les forces mexicaines - représenta surtout un désastre militaire entièrement évitable. Plus tard, presque infailliblement, la population blanche choisit le camp des perdants, d’abord lors de la guerre de Sécession (1861-1865), puis en s’accommodant de politiciens qui s’acharneraient à préserver le caractère retardataire de l’État en sacrifiant l’éducation et en interdisant, de fait, l’exercice du droit syndical.

7.

Texans are imbued with a can-do spirit, an irrepressible frontier optimism, yet, thanks to chronic political disorganisation, their history is a record of one failure after another. The battle of the Alamo, the famous Spanish fortress in San Antonio in which 187 Texas independistas were killed by Mexican forces in 1836, was a wholly preventable military disaster. With unerring accuracy, the state’s white population chose the losing side in the US Civil War of 1861-65. Then, in subsequent decades, local politicians did everything in their power to make sure the state stayed an economic backwater by cutting schools and all but outlawing trade unions.

8.

Même la découverte de gisements pétroliers, en 1901, n’empêcha pas le Texas de croupir dans un état de sous-développement jusqu’aux années 50. Si la hausse des prix du pétrole dans les années 70 permit enfin à l’État de prendre son envol, il perdit assez vite une partie de sa richesse avec la faillite frauduleuse des caisses d’épargne dans les années 80 : le revenu moyen par habitant chuta de plus de 10 % par rapport à la moyenne nationale.

8.

Despite the discovery of oil in 1901, the state remained undeveloped well into the 1950s. Although Texas’s fortunes took flight in the 1970s when Opec forced up energy prices, it lost much of its wealth in the savings-and-loan financial disaster of the 1980s when, relative to the nation as a whole, its per-capita personal income fell nearly 10%.

9.

C’est très logiquement que le Texas, habitué aux échecs, a choisi un perdant comme gouverneur. Cherchant à réussir dans le pétrole après un parcours universitaire sans relief, M. George W. Bush se lança dans les affaires dans les années 80, parvint à réunir 4,7 millions de dollars grâce à des proches de la famille et à des républicains fortunés, ne tarda pas à provoquer la quasi-faillite de deux compagnies et ne finit par réa liser un profit que près de dix ans plus tard, quand, à la veille de la guerre du Golfe, une troisième entreprise dans laquelle il détenait un intérêt décrocha un contrat d’exploration pétrolière lucratif à Bahreïn. Le fait que son père était alors président des États-Unis ne dissuada vraisemblablement pas l’émirat de lui attribuer la concession. M. Bush eut plus de succès comme propriétaire d’une équipe de base-ball professionnelle, mais seulement après avoir persuadé la ville d’Arlington, dans la banlieue de Houston, de payer la majeure partie des 191 millions de dollars nécessaires à la construction d’un nouveau stade, exemple supplémentaire de la manière dont la bourgeoisie texane sait compter sur les largesses publiques (2).

9.

It has a loser as governor. George W. Bush managed to go through $4.7m, put up by family friends and wealthy Republicans, in the oil business in the 1980s. He nearly ran two energy companies into the ground and only turned a profit in 1990 when, on the eve of the Gulf war, a third company in which he was involved won a lucrative oil-exploration contract from Bahrain - helped by the fact that his his father was president at the time. George W. Bush did well as the owner of a professional baseball team, but only after persuading the town of Arlington, a Houston suburb, to pick up much of the tab for a new $191m stadium - another example of the Texas bourgeoisie’s reliance on public largesse (2).

10.

C’est dans sa quête du poste de gouverneur que M. Bush se réalisa vraiment, remportant l’élection de 1994, puis, très largement, celle de 1998. S’il triomphe de M. Albert Gore en novembre 2000, il aura réussi à imposer le modèle du Texas à la nation tout entière. Il est difficile de croire que le monde ait besoin d’un milliardaire du pétrole et d’un conservateur sudiste à la barre de la seule superpuissance qui reste, mais c’est ce vers quoi un système politique américain de plus en plus pétrifié pourrait bien se diriger.

10.

George W. Bush did better in his bid to become governor, winning the election in 1996 and again in 1998, and, of course, he may also do well in his bid to become president. If he does, however, he will merely succeed in imposing Texas’s losing policies on the nation as a whole. It’s hard to think of anything the world needs less than a right-wing Texas oil man at the helm of the sole remaining superpower, but that may be where America’s political system is now heading.

11.

Au moment où le Texas renaquit de ses cendres en 1875, on aurait pu imaginer qu’une classe de propriétaires fonciers déterminée à réprimer les anciens esclaves et les petits fermiers ruinés aurait utilisé sans faiblir son monopole du pouvoir politique. L’élite texane fit un autre choix, plus complexe. Puisque le régime précédent avait mis en place un État centralisé capable d’entreprendre des réformes, elle s’employa à le démanteler.

11.

The Texas that rose from the ashes in 1875 was very much an American creation. In other circumstances, a land-owning class intent on putting down ex-slaves and impoverished tenant farmers might have been expected to monopolise political power and wield it with ruthless force. But Texas’s neo-Confederate elite did something more complicated. Because the previous regime had tried to create a centralised governing apparatus that would be a force for change, it instinctively set about dismantling it.

12.

Lors d’une convention spéciale, réunie pour rédiger une nouvelle Constitution, un groupe de délégués pourtant dépourvus de légitimité démocratique choisit de paralyser l’exécutif en l’éclatant entre cinq postes distincts, dont chacun des titulaires serait élu séparément. Puis, ils le fragmentèrent un peu plus en éparpillant ses charges entre (à l’heure actuelle) près de deux cents commissions administratives, dont les membres, nommés par le gouverneur après avis et consentement du Sénat du Texas, ne doivent répondre de leurs actes devant aucun de ceux qui les ont désignés. Déterminés à ne pas s’arrêter en si bon chemin, les délégués paralysèrent également l’Assemblée locale en limitant la durée des mandats (à deux ans), celle des sessions, sans oublier les salaires des parlementaires (ce qui garantissait qu’ils seraient soit des hommes fortunés, soit des oiseaux de passage).

12.

In a special convention called to draft a new state constitution, a group of hand-picked delegates voted to cripple the executive branch by dividing it up into five different posts, each one separately elected. They further fragmented executive power by dividing it up among what are, by now, some 200 administrative boards, whose members are chosen by the governor with the advice and consent of the Senate and are largely unaccountable to either. The delegates also crippled the local legislature by restricting its members to two-year terms, and limiting their salaries and the times they could meet, so as to ensure a high turnover of members.

13.

Restait le judiciaire : tous les juges et procureurs de l’État seraient élus avec l’espoir de les rendre ainsi moins susceptibles de s’opposer aux deux autres branches. Pour parachever l’édifice, on n’oublia pas de mitonner la composition de l’électorat : non seulement l’écrasante majorité des Noirs ne voteraient pas (une pratique qui allait survivre dans les États du Sud jusqu’au Voting Rights Act de 1965), mais les Blancs pauvres guère davantage, dissuadés à la fois par un impôt électoral et par l’obligation de se réinscrire avant chaque nouveau scrutin.

13.

On the assumption that a judge immediately dependent on the voters would be less likely to challenge the other two branches, they then hamstrung the judiciary by requiring that every last member be popularly elected. As a final measure, they decided to hamstring the electorate as well, by disenfranchising blacks en masse, and by requiring even white voters to pay a poll tax and register in person nearly a year prior to each election. A $1.50 poll tax may not sound like much, but in the days when subsistence farmers rarely saw money from one season to the next, it was enough to keep thousands of people away from the polls.

14.

Comprises comme un retour à la situation d’avant la guerre de Sécession, ces réformes " créaient en fait un système pire encore : plus fragmenté, plus décentralisé et moins responsable devant l’électeur. Plutôt qu’une dictature, il s’agissait d’une forme de république oligarchique et expéditive, largement manipulée en sous-main par les grands propriétaires terriens.

14.

Although often described as a return to loose forms of government that had existed prior to the Civil War, the new system was actually worse - more fragmented, more decentralised, less responsible to the voters at large. Rather than a dictatorship, it was a kind of oligarchic frontier republic that large-scale landowners had no trouble manipulating behind the scenes.

15.

En créant leur pseudo-démocratie, les membres de la Convention texane s’étaient inspirés des valeurs et des principes de la Constitution américaine. Les Américains ont beau se considérer comme le peuple le plus avancé de la Terre, leur Constitution de 1787 était - et demeure - pré-moderne " dans son principe, qui subordonne à une loi fondamentale quasiment impossible à amender tous les actes du gouvernement. Parce que la Constitution est forte, le gouvernement peut rester faible. Mieux : dans la mesure où la Constitution garantirait les libertés, plus le gouvernement est faible, plus ces libertés seraient assurées (3).

15.

In creating their pseudo-democracy, members of the 1875 Texas convention were able to draw on a sizeable body of US constitutional beliefs and structures. Although Americans like to think of themselves as the most modern people on earth, the US constitution of 1787 was (and is) curiously pre-modern in its elevation of what medieval jurists described as jurisdictio (law) over gubernaculum (government). Because law is the closest thing to a sovereign power, the law is always right. Because it is strong, government can afford to be weak. Indeed, since Americans have traditionally regarded their constitution as a charter of liberties, the weaker the government, the stronger and more undiluted those liberties will be.

16.

C’est ce que Richard Coke, premier gouverneur du Texas après la guerre de Sécession, voulut signifier quand il expliqua en 1875 : La théorie admise du gouvernement américain est que les Constitutions des États fédérés, loin d’aboutir à des délégations supplémentaires d’autorité entre les mains de la puissance publique, doivent permettre de limiter cette autorité (4) . " La Constitution fédérale contraignait déjà la capacité du peuple de se gouverner comme il l’entendait. Les Constitutions des États ajoutèrent à ces contraintes.

16.

This is what Richard Coke, Texas’s first governor after the Civil War, meant when he told the state convention in 1875 : The accepted theory of American constitutional government is that State Constitutions are limitations upon, rather than grants of power...." (3). Even though the US constitution already put permanent limits on the people’s ability to govern themselves, the purpose of a state constitution was to limit it even more. Constraint was piled on constraint.

17.

Depuis, l’inébranlable Constitution texane - la tentative d’en élaborer une nouvelle échoua en 1975 - n’a cessé de peser sur la politique locale, gelant un certain nombre de croyances et interdisant la plupart des réformes. Le conservatisme populaire à la texane est devenu loi ordinaire, un peu au même titre que la conduite à droite ou l’arrêt au feu rouge. Une culture politique de propriétaires fonciers avait accouché de la Constitution de l’État dans les années 1870, celle-ci allait garantir l’hégémonie sociale et politique des possédants pendant l’essentiel des cent vingt-cinq années suivantes.

17.

Texas’s unshakeable state constitution - the state legislature attempted to create a new one in 1975 but failed - has distorted state politics ever since. Texas has a brand of folk conservatism that has become the law nearly as much as driving on the right or stopping at red lights. If the political culture of the Texas land-owning class helped shape the Texas state constitution in the 1870s, the constitution has, in return, served to ensure its hegemony over the ensuing 125 years.

18.

A loi fondamentale rigide, politique rigide et morale rigide. Vers la fin du XIXe siècle, une brève révolte populiste éclata, conduite par des fermiers appauvris. Elle fut écrasée sans difficulté (5). Ensuite, toute une panoplie de politiciens hauts en couleur se succédèrent dans la résidence officielle du gouverneur, chacun promettant le changement avant de devenir le garant du statu quo. Destitué par la législature, un gouverneur s’arrangea aussitôt pour que sa femme dirige à sa place pendant qu’il tirerait les ficelles en coulisse. Dans les années 30, un autre fit campagne en traversant l’État avec son groupe de musique country et un programme limité aux Dix commandements et à la promesse d’une pension pour chaque retraité (laquelle, est-il nécessaire de le préciser, ne vit jamais le jour). D’autres se firent connaître en vitupérant le communisme (qui ne comptait guère de défenseurs au Texas...), mais aussi le gouvernement fédéral et les professeurs de lettres coupables d’enseigner des oeuvres obscènes ".

18.

A rigid constitution has led to rigid politics, morality and much else besides. In the 1890s Texas saw a brief populist revolt by impoverished farmers, which was all too easily crushed and co-opted by the state’s Jeffersonian elite (4). Thereafter it saw a collection of colourful politicians go trooping through the governor’s mansion, each one promising change while doing his best to preserve the status quo. When one governor found himself impeached by the state legislature, he arranged for his wife to run in his place so he could continue governing from behind the throne. Another governor travelled the state in the 1930s with his own country-and-western band, campaigning on a platform consisting of the Ten Commandments, the Golden Rule, and a promise to provide each retired citizen with a pension. (The pension, needless to say, never came to pass.) Others made names for themselves by railing against communism, the federal government, or literature professors who assigned obscene" books at the University of Texas.

19.

Pourtant, question moralité, le Texas laissait à désirer. Si le Comanche aimait empiler du charbon sur les parties génitales de l’homme blanc ", raconta le grand historien de l’État, le Blanc, tout aussi allégrement, pouvait défoncer contre un arbre le crâne d’un nourrisson indien ou abattre un hispano-américain qui aurait cligné des yeux de façon inappropriée (6) ". Entre 1900 et 1930, le Texas vit d’ailleurs plus de lynchages de Noirs que les autres États du Sud. Et la milice locale, alors baptisée Texas Rangers - nom d’une équipe de base-ball dont M. George W. Bush devint propriétaire avant d’être élu gouverneur -, terrorisa la population mexicano-américaine de l’État, exécutant sommairement quelque trois cents personnes rien qu’entre 1915 et 1919.

19.

While politics degenerated into little more than empty theatrics, morality remained almost tribal. If a Comanche enjoyed heaping live coals on a staked-out white man’s genitals," wrote T. R. Fehrenbach, then a white Texan would, just a blithely, bash an Indian infant’s head against a tree, or gut-shoot a ‘greaser’ [a Mexican-American] if he blinked" (5). Texas probably saw more lynchings of blacks between 1900 and 1930 than other states in the deep south. Meanwhile the state militia known as the Texas Rangers - also the name of the baseball team that George W. Bush owned before becoming governor - conducted a reign of terror against the state’s Mexican-American population, executing, without trial, an estimated 300 in the years 1915-19 alone.

20.

L’appauvrissement politique a vite trouvé sa correspondance au plan intellectuel : Les Texans se méfiaient des théories. Pour eux, la pratique l’emportait sur le concept ; les choses sur les idées ; l’éducation visait à ajuster les enfants à la société, non à les changer (7) . " Et, alors que le système politique réfléchissait et perpétuait une conception antisociale de l’individualisme, les Texans fuyaient également la société des femmes, un peu comme ils cherchaient à échapper à la société en général. Au fond, les protagonistes de la culture cow-boy se sentaient surtout à l’aise entre eux.

20.

Political impoverishment has also led to intellectual impoverishment. According to Fehrenbach, The Texan’s ... distrust for theories [was] profound. ... The practical outweighed the conceptual ; things were more important than ideas ; education was to fit children to society, not change them or produce inherent confusion by educating too many students beyond their station" (6). If, traditionally, Texans were not antisocial but asocial", this perhaps explains the deep sexual unease that Texas’s most famous novelist, Larry McMurtry - author of The Last Picture Show (1966), Terms of Endearment (1975), and Lonesome Dove (1985) - argues underlies much of West Texas cowboy culture.

21.

L’économie texane s’ancre, elle aussi, dans le passé. Depuis vingt ans, grâce aux énormes investissements publics de la puissance fédérale (dans le militaire et l’aérospatial), l’État a réussi à se diversifier et à percer dans l’informatique et la haute technologie. Mais l’économie locale demeure attachée à la terre. La richesse n’est perçue comme réelle que sous la forme de propriété foncière. Un Texan fortuné se croit tenu d’acheter quelques milliers d’hectares dans l’arrière-pays, de revêtir des jeans et des bottes et de jouer à l’éleveur comme M. George W. Bush, qui a acheté un ranch près de Crawford, dans l’ouest du Texas (8).

21.

The Texan economy is also anchored in the past. Thanks to massive federal investment in military installations and aerospace, Texas has been successful since the 1980s in its efforts to diversity into computers and other forms of high tech. Yet it remains an essentially land-based economy. Regardless of how they make their money, wealthy Texans consider it de rigueur to buy a few thousand acres out in the hinterlands, put on jeans and cowboy boots, and set themselves up as ranchers - as George W. Bush has done with 1,500 of desolate scrubland that he recently purchased near the remote West Texas town of Crawford (7). Wealth is not really wealth apparently, unless it takes the form of property.

22.

L’État n’est pas plus progressiste en matière de politique sociale. Si le Texas occupe, pour le revenu par habitant, une position moyenne dans les listes des États formant la Fédération, en revanche, la répartition des richesses y est tellement inégale qu’il arrive parmi les premiers pour la proportion de la population vivant en dessous du seuil de pauvreté. Toujours proportionnellement, le Texas apparaît aussi à la traîne pour le nombre de ses médecins, étudiants, et pour son taux de mortalité infantile (9). Les coupes budgétaires, qui n’ont pas cessé depuis que M. Bush est devenu gouverneur, n’ont rien arrangé : elles placent l’État bon dernier en matière de dépenses publiques par habitant, ce qui ne peut qu’aggraver l’inégale distribution des revenus (10).

22.

Texas’s economy is also rooted in the past in terms of its social policies. Although it ranks dead centre among the 50 states in terms of personal income, its distribution of wealth is so lopsided that by 1998 it was among the 10 worst in terms of the portion of the population living below the poverty level. Proportional to its population, Texas is also in the bottom fourth in terms of such social indicators as the number of physicians, full-time college enrolment and infant mortality (8). Thanks to relentless budget cutting under George W. Bush, it now ranks last in terms of state spending per capita, an indication that the distribution of income is continuing to worsen (9).

23.

Encombré d’une élite foncière hostile aux villes - et à la dépense publique -, le Texas se soucie peu des transports en commun, logements collectifs, espaces verts et autres équipements urbains. L’absence de réglementation écologique ajoute à la pollution de l’eau et de l’air, laquelle dépasse les niveaux enregistrés dans n’importe quel autre État américain ou province canadienne. Avec l’intensification du trafic routier, Houston, capitale pétrochimique de l’État, a dépassé Los Angeles dans le classement des villes américaines les plus polluées par l’ozone : et pourtant des centaines d’équipements vieillissants, usines chimiques et raffineries pétrolières, restent exemptés des normes antipollution. L’un des responsables de l’environnement nommés par M. Bush a assuré Washington que l’ozone était une substance bénigne (11)...

23.

Because landed wealth is intrinsically anti-urban, Texas has little by way of mass transit, multi-family housing, neighbourhood playgrounds or other urban amenities. Because government is so undeveloped, the people have no means with which to create effective environmental policies. As a result, Texas is responsible for more water and air pollution than any other American state or Canadian province. Hundreds of ageing utilities, chemical plants and oil refineries are exempt from pollution regulations while, thanks to rising traffic levels, Houston, the state’s petro-chemical capital, beat Los Angeles in 1998 as the city with the worst ozone levels in the US. Not that George W. Bush seems to mind, though ; one of his top environmental appointees once testified in Washington that ozone is actually a benign substance (10).

24.

Aussi bénigne sans doute que le fléau des villes sans fin, des centres commerciaux omniprésents, lieux de restauration rapide et autres magasins de vente au rabais qui ont envahi la majeure partie du territoire (12). Voile de brouillard et chaleur étouffante, avec une population inférieure de 20 % à celle de Paris, Houston s’étend sur une superficie treize fois plus importante. On n’y rencontre ni piétons ni cyclistes, mais une pléthore de véhicules bloqués sur des autoroutes à huit voies qui, tels des spaghettis emmêlés, partent dans toutes les directions.

24.

Texas has emerged in the late 1990s as the nation’s leader in sprawl," a term that Americans use to describe a cancerous blight of shopping malls, fast-food outlets, and discount stores that now covers much of the landscape (11). Imagine a smog-shrouded, stiflingly hot (36 degrees centigrade) city with about 20% fewer people than Paris but spread out over an area more than 13 times greater, where there are virtually no pedestrians or cyclists but an abundance of traffic-clogged eight-lane highways going every which way like strands of spaghetti - that is pretty much what Houston is like today.

25.

Aucun État américain n’égale le taux d’emprisonnement texan. Un système de gouvernement rudimentaire et une moralité presque tribale ont produit le système pénal le plus punitif du monde industrialisé. Avec à peine plus de vingt millions d’habitants, l’État de M. Bush compte davantage de prisonniers que la France, l’Allemagne et l’Italie réunies. Son univers pénitentiaire ressemble à un archipel parcellisé entre 250 shérifs de comtés, 500 polices municipales et deux douzaines d’agences et commissions, toutes plus ou moins autonomes. Même si elle cherchait un jour à réorganiser ce bric-à-brac, l’assemblée locale ne disposerait pas de l’autorité constitutionnelle nécessaire. Et, compte tenu des milliers d’avocats qui profitent du statu quo, toute réforme paraît improbable.

25.

Texas incarcerates more people per capita than any other state in the nation : indeed, it has a system of law enforcement that is now the most punitive in the industrial world. Though it only has one-tenth of the population, it hosts a prison population that is now greater than that of France, Germany and Italy combined. Its criminal justice system is an uncontrolled Gulag consisting of some 250 county sheriffs, 500-plus municipal police departments, more judges than in the whole of Great Britain, and some two dozen state boards and agencies, all more or less autonomous. The state legislature lacks the constitutional authority to reorganise this hideous mess even if it wanted to. Given the thousands of defence attorneys who also have a stake in the status quo, serious change is unlikely.

26.

Le Texas a récemment attiré l’attention de l’opinion publique mondiale en accélérant le rythme des exécutions capitales (près de 140 depuis que M. Bush est gouverneur). Mais, de l’image de leur État à l’étranger, les élus n’ont cure : Je trouve qu’on vit dans un endroit agréable et je pense que c’est pour des raisons de basse politique que le Texas est montré du doigt ", a ainsi déclaré le bras droit de M. Bush, en guise de réponse aux protestations qui ont suivi l’exécution en juin 2000, menottes au poignets, de Gary Graham, un condamné noir clamant son innocence jusqu’au bout. Le supplicié n’avait pas dix-huit ans au moment des faits, mais les États-Unis sont - avec l’Iran, le Nigeria, le Pakistan, l’Arabie saoudite et le Yémen - l’un des six pays qui continuent d’exécuter les mineurs et les malades mentaux.

26.

Texas’s criminal justice system is drawing international attention because of the more than 200 prisoners executed since the 1970s. Predictably, state officials have responded to the protests with resentment and hurt. I happen to think we live in a rather fine place, and I think that Texas is being showcased by some for political reasons as not such a fine place," declared Bush right-hand man Lieutenant-Governor Rick Perry on the eve of the execution of Gary Graham on 22 June. Graham, a black, protested his innocence to the end, and the press failed to mention that he was under the age of 18. The US is one of only six countries still to carry out the death penalty on minors and the mentally ill - along with Iran, Nigeria, Pakistan, Saudi Arabia and Yemen.

27.

Outre qu’elle invite à la (nécessaire) intrusion des agences fédérales (13), l’arriération institutionnelle et sociale de l’État se double d’une dépendance jamais démentie à l’égard des subventions et exonérations de Washington. C’est peut-être ce qui explique le nombre important d’élus texans qui ont - comme le gouverneur Bush souhaite le faire - prolongé leur carrière au plan national. Car, outre les ex-présidents des États-Unis Lyndon Johnson et M. George Bush père, un président de la Chambre des représentants (M. Sam Rayburn), un secrétaire d’État au Trésor et candidat à la vice-présidence des États-Unis (M. Lloyd Bentsen Jr), un secrétaire d’État (M. James Baker) ont tous fait leurs premières armes politiques au Texas.

27.

Incompetent state government not only invites criticism, it fairly thrives on it. Rather than protecting state autonomy, the Texas state constitution consistently undermines it by leaving the federal courts and other US agencies (12) no choice but to step in and clean up state abuses. Texas’s consequent reliance on the federal government serves to thrust it deep into federal politics, which is why the state has turned into such a prolific breeding ground for national politicians since the turn of the century - not only ex-President Lyndon Johnson and the Bushes, father and son, but also long-time Speaker of the House Sam Rayburn, Clinton Treasury Secretary Lloyd Bentsen Jr., Bush Secretary of State James Baker and numerous other Washington power brokers.

28.

La classe dirigeante locale est au demeurant très unie. République oligarchique, le Texas n’oblige pas ses citoyens les plus aisés et ses firmes les plus opulentes à tirer en coulisses les ficelles des politiques, mais il les incite presque à le faire. En découle le haut niveau d’implication politique des très riches, souvent très réactionnaires, qui se sont constitués en une force redoutable qui, face à des masses largement dépolitisées, gagne plus souvent qu’elle ne perd (14). "

28.

Texas’s backward political structure manifests itself in an unusually unified ruling class. As an oligarchic republic, Texas not only allows its wealthy residents and corporations to manipulate politics behind the scenes, it fairly mandates that they do so to ensure their class interests are protected. The upshot is an intense level of political involvement on the part of the state’s super-rich, most of them reactionaries to one degree or another, who have moulded themselves into a formidable force that wins more often than it loses in confrontations with ... the largely depoliticised masses" (13).

29.

Dans la mesure où le secteur énergétique dépend largement des exonérations fiscales et des subventions publiques, la classe dirigeante texane est très intéressée " par la chose publique. L’énergie représente un monde à part, habité par des gens qui croient que le réchauffement de la planète représente un mythe, qu’on exagère les risques sanitaires liés aux émanations d’oxyde de carbone et que chaque citoyen a le devoir de consommer autant d’essence qu’il le peut. C’est aussi un secteur dont les responsables n’ont jamais rencontré une voiture, une autoroute, ou une maison de 3 000 mètres carrés qui leur déplaisent - pourvu que cette dernière soit équipée d’un réfrigérateur surdimensionné, d’une télévision grand écran et des derniers gadgets dévoreurs d’énergie.

29.

Texas’s energy sector is America’s very own Opec, a corporate clique that believes that global warming is a myth, that the health risks from smog are much exaggerated, and that it is the duty of every US citizen to burn all the fuel he can. It is a sector that has never seen a car, highway, or 10,000-square-foot suburban home that it didn’t like as long as it was filled with oversized refrigerators, 72-inch television sets, costly exercise machines and other energy-consuming gadgets.

30.

Bush a recueilli l’essentiel de ses appuis dans cet univers, depuis sa tentative infructueuse de décrocher un siège de représentant en 1978, ses deux campagnes victorieuses pour le poste de gouverneur (en 1994 et en 1998) et sa course actuelle pour la Maison Blanche. La Enroin Oil Company fait figure de principal bienfaiteur du candidat républicain, dont au moins vingt-cinq des principaux mécènes " (ou investisseurs) sont liés au secteur pétrolier (15). L’explication va de soi : fils d’un foreur et ancien homme du pétrole lui-même, M. Bush est beaucoup plus texan que son père ; ses années d’étudiant en Nouvelle-Angleterre, à l’université Yale et à la Harvard Business School, n’ont fait que renforcer sa loyauté envers l’État. De dispositions grégaires (à l’université, il a assis sa popularité en mémorisant le nom de ses quelque 1 000 camarades de promotion), il se montre aussi à l’aise avec les poignées de main qu’avec le jeu politique texan, où affaires et bons mots se mêlent à chaque instant (16).

30.

This sector has backed George W. to the hilt - to quote The New York Times, oil has been the essential lubricant for his unsuccessful run for Congress, his two gubernatorial campaigns, and his bid to become president. Bush’s most important patron is the Enron Oil Company, and at least 25 of his top donors are connected to the oil business (14). The reasons for this support are obvious. The son of an oil driller and a former oilman himself, George W.Bush is a local patriot whose years at boarding school in New England, Yale University and the Harvard Business School only served to strengthen his loyalty to his home state. He is an enthusiastic glad-hander - as a college student, he reportedly memorised the names of a thousand fellow undergraduates to ensure his popularity - and he is thoroughly at home in the deal-making world of Texas politics (15).

31.

Plus conservateur encore que son père, plus proche que lui d’une droite fondamentaliste qui est puissante au Texas, M. Bush n’oublie pas d’afficher un anti-intellectualisme jovial. Cela ne lui a jamais nui dans un État où l’ignorance est reine.

31.

He is also a resolute conservative, well to the right of his father, and he exudes a jovial, anti-intellectual manner. In Texas, ignorance rules.

32.

Depuis l’élection de M. Ronald Reagan en 1980, les États-Unis n’ont cessé de se texas-iser ". Cette évolution ne s’est aucunement interrompue quand, il y a huit ans, MM. William Clinton et Albert Gore ont pris leurs fonctions : la population carcérale a progressé de 50 %, les exécutions capitales (dont MM. Clinton et Gore s’affirment chauds partisans) sont devenues routinières, la guerre " se poursuit, de plus en plus impitoyable, contre les utilisateurs et les revendeurs de drogue, la fortune est plus ostentatoire et le système politique plus vénal que jamais. Si M. Bush l’emporte, cette dynamique changera tout simplement de rythme.

32.

Since the election of Ronald Reagan in 1980 the US has grown ever more like Texas. The process has continued in the last eight years under Clinton, with the prison population up 50%, the growing use of capital punishment (Clinton and Gore are both supporters of the death penalty), and an increasingly punitive war on drugs. If Bush gains the presidency, the process will simply change pace.

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