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Harold Pinter, Le Sourire du monstre (Original anglais)


Harold Pinter, What We Think of America (Granta 77, Spring 2002)

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1.

GRANTA, Londres

1.

Granta 77, Spring 2002

2.

Le 10 septembre 2001, l’université de Florence m’attribuait le titre de docteur honoris causa. Je prononçai un discours dans lequel je commentais le terme d’“intervention humanitaire”— terme utilisé par l’OTAN pour justifier ses opérations de bombardement de la Serbie en 1999.

2.

Britain - On September 10, 2001 I received an honorary degree at the University of Florence. I made a speech in which I referred to the term ‘humanitarian intervention’ – the term used by NATO to justify its bombing of Serbia in 1999.

3.

entrez ici vos paragraphes en anglais separes par deux sauts de ligneJe déclarai les choses suivantes : le 7 mai 1999, l’aviation de l’OTAN a bombardé la place du marché de la ville de Nis, dans le sud du pays, tuant trente ?trois civils et en blessant de nombreux autres. Il s’agissait, d’après l’OTAN, d’une "erreur".

3.

I said the following : On May 7, 1999 NATO aircraft bombed the marketplace of the southern city of Nis, killing thirty-three civilians and injuring many more. It was, according to NATO, a ‘mistake’.

4.

Le bombardement de Nis n’était pas une "erreur". Le général Wesley K. Clark avait déclaré au début des bombardements de l’OTAN : "Nous allons systématiquement et progressivement attaquer, désorganiser, disloquer, dévaster et finalement ? à moins que le président Milosevic ne se plie aux exigences de la communauté internationale ? détruire ces forces, leurs installations et leurs soutiens." Les ’forces" de Milosevic, comme chacun sait, incluaient des stations de télévision, des écoles, des hôpitaux, des théâtres, des maisons pour personnes âgées ? et le marché de Ms. C’était en réalité une caractéristique fondamentale de la politique de l’OTAN que de terroriser la population civile.

4.

The bombing of Nis was no ‘mistake’. General Wesley K. Clark declared, as the NATO bombing began : ‘We are going to systematically and progressively attack, disrupt, degrade, devastate and ultimately – unless President Milosovic complies with the demands of the international community – destroy these forces and their facilities and support.’ Milosovic’s ‘forces’, as we know, included television stations, schools, hospitals, theatres, old people’s homes – and the marketplace in Nis. It was in fact a fundamental feature of NATO policy to terrorize the civilian population.

5.

Loin d’être une "erreur", le bombardement de Nis était un acte criminel. Il découlait d’une "guerre" qui était en elle ? même illégale, un acte de banditisme mené en dehors de tous les paramètres reconnus de la loi internationale, un acte de défi envers les Nations unies, contrevenant même à la propre charte de l’OTAN. Mais les mesures prises, nous dit ?on, le furent en vertu d’une politique d’“intervention humanitaire”, et les pertes civiles se virent qualifiées de "dommages collatéraux".

5.

The bombing of Nis, far from being a ‘mistake’, was in fact an act of murder. It stemmed from a ‘war’ which was in itself illegal, a bandit act, waged outside all recognized parameters of International Law, in defiance of the United Nations, even contravening NATO’s own charter. But the actions taken, we are told, were taken in pursuance of a policy of ‘humanitarian intervention’ and the civilian deaths were described as ‘collateral damage’.

6.

Le concept d’“intervention humanitaire” est relativement récent. Mais le président George W. Bush suit également la grande tradition présidentielle américaine en se référant aux "peuples épris de liberté" (je dois dire que je serais curieux de rencontrer un peuple "détestant la liberté"). Le pays du président Bush compte lui-même de nombreuses personnes "éprises de liberté", non seulement dans ses prisons du Texas, mais à travers tous les États ?Unis, dans ce qui peut être décrit sans exagération comme un vaste goulag où sont enfermés deux millions de prisonniers, dont une vaste proportion de Noirs. Le viol de jeunes détenus, hommes et femmes, y est monnaie courante. Tout comme l’est l’utilisation d’instruments de torture tels que les définit Amnesty International (pistolets hypodermiques, ceintures incapacitantes, chaises à entraves). La prison est une industrie florissante aux États ?Unis ? elle arrive juste après la pornographie en termes de profits.

6.

‘Humanitarian intervention’ is a comparatively new concept. But President George W. Bush is also following in the great American presidential tradition by referring to’ freedom-loving people’ (I must say I would be fascinated to meet a ‘freedom-hating people’). President Bush possesses quite a few ‘freedom-loving’ people himself – not only in his own Texas prisons but throughout the whole of the United States, in what can accurately be described as a vast gulag – two million prisoners in fact – a remarkable proportion of them black. Rape of young prisoners, both male and female, is commonplace. So is the use of weapons of torture as defined by Amnesty International – stun guns, stun belts, restraint chairs. Prison is a great industry in the United States – just behind pornography when it comes to profits.

7.

Il y a eu et il y a toujours un nombre considérable d’êtres humains pour lesquels le seul fait de prononcer le mot "liberté" a débouché sur la torture et la mort. Je fais allusion aux centaines et centaines de milliers de Guatémaltèques, de Salvadoriens, de Turcs, de Palestiniens, d’Haïtiens, de Brésiliens, de Grecs, d’Uruguayens, d’Est ?Timorais, de Nicaraguayens, de Sud ?Coréens, d’Argentins, de Chiliens, de Philippins et d’Indonésiens, par exemple, qui ont été tués à chaque fois par des forces inspirées et financées par les États ?Unis. Pourquoi sont-ils morts ? Ils sont morts parce qu’à un niveau ou à un autre ils ont osé mettre en question le statu quo, l’interminable calvaire fait de pauvreté, de maladie, d’abrutissement et d’oppression qu’ils ont reçu en héritage. Au nom de tous ces morts, nous devons considérer avec le mépris absolu qu’il mérite le fossé vertigineux existant entre le langage du gouvernement américain et les actes de ce même gouvernement.

7.

There have been and remain considerable sections of mankind for whom the mere articulation of the world ‘freedom’ has resulted in torture and death. I’m referring to the hundreds upon hundreds of thousands of people throughout Guatemala, El Salvador, Turkey, Israel, Haiti, Brazil, Greece, Uruguay, East Timor, Nicaragua, South Korea, Argentina, Chile, the Philippines and Indonesia, for example, killed in all cases by forces inspired and subsidized by the United States. Why did they die ? They died because to one degree or another they dared to question the status quo, the endless plateau of poverty, disease, degradation and oppression which is their birthright. On behalf of the dead, we must regard the breathtaking discrepancy between US government language and US government action with the absolute contempt it merits.

8.

En fait, les États ?Unis ont ? depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale ? poursuivi une stratégie brillante et même astucieuse. Ils ont exercé une manipulation permanente, systématique, impitoyable et parfaitement clinique du pouvoir à l’échelle mondiale tout en se faisant passer pour l’agent du bien universel. Mais, maintenant, au moins, on peut dire que les États ?Unis ont jeté le masque. Bien entendu, le sourire est toujours là (les présidents américains ont toujours eu un sourire éclatant), mais leurs agissements sont infiniment plus crus et flagrants qu’ils ne l’ ont jamais été.

8.

The United States has in fact – since the end of the Second World War – pursued a brilliant, even witty, strategy. It has exercised a sustained, systematic, remorseless and quite clinical manipulation of power worldwide, while masquerading as a force for universal good. But at least now – it can be said – the US has come out of its closet. The smile is still there of course (all US presidents have always had wonderful smiles) but the posture is infinitely more naked and more blatant than it has ever been.

9.

L’administration Bush, comme chacun sait, a rejeté l’accord de Kyoto, refusé de signer un accord régulant le commerce des armes de petit calibre, pris ses distances par rapport au traité sur les missiles antibalistiques, au traité sur l’interdiction des essais nucléaires et à la convention sur les armes biologiques. Les États ?Unis ont clairement fait savoir qu’ils ne consentiraient à l’interdiction des armes biologiques qu’à condition qu’il n’y ait aucune inspection concernant d’éventuelles usines de fabrication de telles armes sur le territoire américain. Les États ?Unis ont également refusé de ratifier le projet de Cour pénale internationale (CPI). Ils ont mis en place l’American Service Members Protection Act, qui autorisera le recours à la force militaire dans le but de libérer tout soldat américain emprisonné par la CPI. Bref, ils sont prêts à "envoyer les marines".

9.

The Bush administration, as we all know, has rejected the Kyoto agreement, has refused to sign an agreement which would regulate the trade of small arms, has distanced itself from the Anti-Ballistic Missile Treaty, the Comprehensive Nuclear-Test-Ban Treaty and the Biological Weapons Convention. In relation to the latter the US made it quite clear that it would agree to the banning of biological weapons as long as there was no inspection of any biological weapons factory on American soil. The US has also refused to ratify the proposed International Criminal Court of Justice. It is brining into operation the American Service Members Protection Act which will permit the authorization of military force to free any American soldier taken into International Criminal Court custody. In other words they really will ‘Send in the Marines’.

10.

Arrogants, indifférents, méprisant la loi internationale, à la fois déniant toute compétence à l’ONU mais n’hésitant pas à la manipuler au besoin, les États ?Unis sont aujourd’hui la puissance la plus dangereuse que le monde ait jamais connue ? un authentique "État voyou", mais un Etat voyou d’une puissance économique et militaire colossale. Et l’Europe —surtout le Royaume ?Uni— est à la fois complaisante et complice ou, comme le dit Cassius dans Jules César : "Et alentour cherchons des yeux nos tombes sans honneur. *"

10.

Arrogant, indifferent, contemptuous of International Law, both dismissive and manipulative of the United Nations : this is now the most dangerous power the world has ever known – the authentic ‘rogue state’, but a ‘rogue state’ of colossal military and economic might. And Europe – especially the United Kingdom – is both compliant and complicit, or as Cassius in Julius Caesar put it : we ‘peep about to find ourselves dishonourable graves’.

11.

Mais nous avons pu le constater, un profond sentiment de répulsion et de dégoût se manifeste à travers le monde à l’égard de la puissance américaine et du capitalisme mondialisé, et ce mouvement indépendant est en train d’acquérir une force immense. Je crois qu’il a largement puisé son inspiration dans les actions et la philosophie des zapatistes mexicains. Les zapatistes disent (si je les comprends bien) : "N’essayez pas de nous définir. Nous ne serons pas ce que vous voulez que nous soyons. Nous n’accepterons pas la destinée que vous nous avez choisie. Nous n’accepterons pas vos conditions. Nous ne nous plierons pas à vos règles. La seule façon que vous ayez de nous éliminer est de nous détruire, or vous n’êtes pas en mesure de nous détruire. Nous sommes libres !"

11.

There is, however, as we have seen, a profound revulsion and disgust with the manifestations of US power and global capitalism which is growing throughout the world and becoming a formidable force in its own right. I believe a central inspiration for this force has been the actions and indeed the philosophical stance of the Zapatistas in Mexico. The Zapatistas say (as I understand it) : ‘Do not try to define us. We define ourselves. We will not be what you want us to be. We will not accept the destiny you have chose for us. We will not accept your terms. We will not abide by your rules. The only way you can eliminate us is to destroy us and you cannot destroy us. We are fee.’

12.

Ces réflexions me paraissent encore plus valables aujourd’hui que le jour où je les ai faites, le 10 septembre 2001. L’"État voyou" a confirrné —sans même y penser, sans prendre le temps de réfléchir, sans un instant de doute, encore moins de honte— qu’il était un monstre achevé, un champion du mal cuirassé d’or. Il a déclaré la guerre au monde entier. Il ne connait qu’un langage, celui des bombes et de la mort. "Et ils continuaient à sourire tandis que l’horreur grandissait."

12.

These remarks seem to me even more valid now than when I made them on September 10. The ‘rogue state’ has – without thought, without pause for reflection, without a moment of doubt, let alone shame – confirmed that it is a fully-fledge, award-winning, gold-plated monster. It has effectively declared war on the world. It knows only one language – bombs and death. ‘And still they smiled and still the horror grew.’

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