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Du Maroc au Ghana


Gibraltar to Ghana

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1.

Le Monde diplomatique - AOÛT 2002 - Pages 14 et 15

1.

Le Monde diplomatique August 2002

2.

DU MAROC AU GHANA, CARNET DE VOYAGE

2.

GIBRALTAR TO GHANA IN AN OLD PEUGEOT

3.

En roue libre sur les routes d’Afrique

3.

African patchwork

4.

Du détroit de Gibraltar à Accra, en passant par le Maroc, la Mauritanie, le Mali, le Sénégal, le Burkina-Faso, le Togo et le Ghana : plus de 10 000 kilomètres sur les routes et pistes d’Afrique occidentale, à bord d’une antique « pijo » (Peugeot). Ni un exploit ni même une aventure dangereuse. Mais des expériences insolites, formidables, et une découverte inoubliable, celle des Africains du voyage, au rythme chaotique d’un vagabondage balisé.

4.

The road runs unsmoothly for over 10,000 km from the Strait of Gibraltar down to Accra, the capital of Ghana, by way of Morocco, Mauritania, Mali, Senegal, Burkina Faso and Togo. And all the way you meet every day the youthful, musical, wonderful people of Africa.

5.

Par CHRISTIAN DE BRIE, Journaliste.

5.

by our special correspondent CHRISTIAN DE BRIE (translated by Luke Sandford)

6.

Pour l’autoroutier traversant la France et l’Espagne vers Algésiras, à l’abri dans son habitacle douillet, glissant sur l’interminable ruban asphalté, une certaine Europe existe bien. Mêmes successions d’embranchements, de péages en euros, d’aires de repos, de stations-service pareillement approvisionnées de mille produits inutiles, baignant dans une musique aseptisée. Voyage virtuel, comme un jeu vidéo.

6.

We drive across France and Spain over endless asphalt, comfortable in our ageing Peugeot, en route for the port of Algeciras. This zone of Europe is a series of interchanges, euro-denominated tollbooths, rest areas and service stations, all selling the same useless products against the sterile sound of musak. This is the virtual stretch of our journey, like a video game.

7.

Traversé le détroit de Gibraltar, l’enclave espagnole de Ceuta -à quelques encâblures de l’îlot Persil (Leila), si disputé actuellement- a un air désuet de comptoir colonial décrépi, hanté d’une multitude de Pépé le Moko(1) à bout de souffle. Petits Blancs, petits retraités, petits trafics. Zone franche du pauvre, sas d’entrée vers le Sud qui commence avec les cigarettes achetées à l’unité, l’essence vendue en bouteille. Et, aux abords des villes, les sacs plastiques, feuilles mortes en toutes saisons, glissant dans l’air, tourbillonnant, se posant un moment sur les champs et terrains vagues, s’accrochant aux branches des arbres, avant qu’un souffle d’air ne les entraîne dans de nouvelles arabesques.

7.

We reach Morocco via the Strait of Gibraltar. The rundown Spanish enclave of Ceuta - not far from disputed Parsley island (Perejil in Spain and Leila in Morocco) - is like a colonial trading post, with Pépé le Moko types running around breathless (1). Ceuta has a cast of low-income white settlers, fixed-income pensioners and small-scale wheeler-dealers. It is a gateway to the South, a poor free-trade zone where cigarettes are sold individually and petrol can be bought by the bottle. On the outskirts of urban areas, plastic bags flutter like leaves, whipped by the wind, falling in fields of wasteland, snagging on trees before being blown away again.

8.

Dans un quartier résidentiel de Rabat, au sous-sol du coquet et discret consulat de Mauritanie, officie un préposé aux visas, jeune, élégant, l’air important. Le bureau est ouvert au public de 8 à 10heures du matin. Il est 10heures moins le quart à notre montre et à l’horloge placée derrière le fonctionnaire. Mais il a le pouvoir discrétionnaire de décréter l’heure passée, le bureau fermé : il nous invite sèchement à revenir le lendemain. Tandis qu’un serviteur noir lui apporte le thé sur un plateau, l’homme s’est levé pour répondre au téléphone, avec une grande politesse et un rien de déférence.

8.

The Mauritanian consulate is tucked away in a residential neighbourhood of Rabat, and there we meet the stylish young clerk who runs the visa office, supposed to be open from eight to 10 in the morning. According to our watches, and the clock on the wall, it is now 9.45am. Exercising his right to close when he likes, he suggests that we come back tomorrow. A black servant carries the clerk’s tea on a tray ; the clerk gets up to answer the telephone, suddenly deferential.

9.

Nous nous concertons sur la conduite à tenir. Partis avant l’aube de Chechaouen, dans le Rif, arrivés au consulat fatigués, débraillés, désinvoltes, il suffit de rectifier la tenue, d’engager la discussion sur un tout autre sujet pour obtenir en quelques minutes ce qui nous était refusé. Ce n’est pas un billet glissé dans le passeport que le fonctionnaire attendait, mais sans doute l’occasion de rappeler que le représentant d’un Etat souverain, fût-il l’un des plus pauvres du monde, peut aussi user de méthodes arbitraires trop souvent réservées à ses compatriotes émigrés dans les pays occidentaux.

9.

We debate our next move. We left Chechaouen in Morocco’s Rif mountains before dawn and showed up at the consulate exhausted and dishevelled. We tidy ourselves up. The clerk then complies with our request. It was not that he had been hoping to find banknotes inside our passports : just reminding us that, as the representative of a sovereign state, albeit one of the world’s poorest, he has the power to apply the same arbitrary methods usually reserved for his countrymen who have emigrated to the West.

10.

La leçon nous servira lors des multiples contrôles qui balisent tout parcours en Afrique : gendarmerie, douanes, police, avant et après chaque frontière, à l’entrée et à la sortie des villes, aux principaux carrefours routiers, au passage d’un pont, d’un bac, à la traversée d’un parc, ou quelque part, n’importe où. Le rituel est partout le même : ralentissement, arrêt, attente et palabres en file jusqu’à oublier ce que l’on attend, paperasses (passeport, visa, carnet de vaccination, carnet de passage, carte grise, > Tourisme assurance, permis de conduire international, fiche à > Afrique remplir en deux ou trois exemplaires), avant le coup de tampon salvateur.

10.

This is a valuable reminder that we remember at Africa’s ubiquitous roadblocks. Military personnel, police officers and customs pop up everywhere, at international boundaries, city limits, intersections, bridges, ferries, parks. The ritual never varies : slow down, stop, join the queue and prepare for lengthy waits and haggling. The obligatory paperwork includes passports, visas, vaccination records, customs booklets, car registration, insurance documents, international driving permits and other forms in duplicate or triplicate. Only officialdom’s rubber stamp can deliver us.

11.

L’accueil est variable, le plus souvent débonnaire et Recherche curieux. Les demandes de petits cadeaux sont Image fréquentes ; celles de bakchich rares, parfois date - sujet - pays maquillées en perception de droits ou taxes plus ou moins fantaisistes. Le racket organisé reste exceptionnel, mais la technique est bien rodée.

11.

The officials are mostly friendly and curious. Requests for small gifts are frequent but for bribes rare, and sometimes disguised as unusual taxes or duties. Although organised racketeering is uncommon, some of its techniques are well honed.

12.

A Rosso, par exemple, ville frontière de Mauritanie au bord du fleuve Sénégal, l’obtention des différents tampons a peu de chances d’aboutir sans l’intervention d’un solliciteur intermédiaire bien introduit qui se charge avec succès de toutes les démarches moyennant un prix durement négocié. Un prix qui s’élève au fur et à mesure qu’approche l’heure de fermeture des bureaux et du départ du dernier bac, tandis que monte le ton des palabres, s’accélère l’agitation, s’amplifie la cohue dans un débordement de cris, d’apostrophes, de rires et de bousculades sous le regard blasé des riverains. Et pourtant tout se passe sans animosité et se termine sans rancoeur, pourvu que l’on accepte le jeu des petits arrangements et la reconnaissance formelle de l’autorité de l’Etat, surtout quand celui-ci est faible et que ses agents, oeuvrant dans des bureaux de fortune, armés du seul tampon, n’ont souvent pas été payés depuis des mois.

12.

In Rosso, a Mauritanian border town on the Senegal river, obtaining official stamps means hiring a well-placed intermediary to take care of the required procedures for a negotiable fee. The rates, and the noise, increase as the visa office gets closer to closing time and the last ferry ready to sail. Uproar is imminent, fuelled by shouting, taunting, laughing and jostling. The locals look on with indifference. Yet the game has no animosity or bitterness : all we have to do is conclude our transactions and acknowledge the authority of the state, important when the country has a weak central government. Civil servants, working in ramshackle offices, armed with those rubber stamps, may not have received pay in months.

13.

Au pied de la maison des cigognes, à Tilmasma, près de Ouarzazate, au Maroc, l’homme simplet du village, vieillard édenté au faciès vaguement inquiétant, vêtu d’une djellaba crasseuse, la démarche mal assurée, cherche à attirer l’attention des passants qui se détournent sur le contenu d’un sac de toile qu’il tient à la main. Deux ravissantes petites filles rentrant de l’école, cartable au dos, s’arrêtent sans appréhension, regardent avec curiosité le contenu du sac entrouvert, discutent longuement en riant, puis s’éloignent, laissant le vieil homme épanoui, un sourire aux lèvres. Enfin quelqu’un l’a considéré comme son semblable, attentif à son improbable trésor. Ce ne pouvait être que des enfants.

13.

(...)

14.

Visite officielle du roi du Maroc dans les territoires du Sud. Multiplication des barrages de contrôle routier. A Laâyoune, au Sahara occidental, une foule colorée, effervescente envahit les rues pavoisées dans l’attente de Mohammed VI. Impossible de traverser la ville avant plusieurs heures. On nous indique une vague piste qui doit nous permettre de la contourner et de retrouver la route derrière l’aéroport. Sous un soleil de plomb, naviguant dans un nuage de sable et de poussière jaunâtre que le vent soulève en tourbillons, deux heures d’errance dantesques. D’abord au milieu d’habitations sordides, à peine achevées et déjà en ruine, blocs de parpaings grisâtres éparpillés dans des terrains vagues désertés. Puis dans une zone immense couverte de gravats, de ferrailles et d’ordures, avec, çà et là, une charogne d’âne ou de chameau. Une zone parsemée de taudis en planches et tôle ondulée, certains coiffés d’antennes de télévision, où vit une population misérable, triant et récupérant tout ce qui peut l’être, au milieu de vautours, de chiens errants aux yeux jaunes et de chèvres squelettiques broutant les détritus -service animalier de traitement des ordures ménagères.

14.

King Muhammad is on an official visit to Western Sahara, Morocco’s disputed southern territory, so roadblocks are more plentiful than ever. In Laayoune we watch as a jovial crowd takes to flag-decked streets in anticipation of his arrival. Since driving through Laayoune would take hours, we decide to bypass it by following an elusive trail supposed to reconnect with the main road behind the airport. With the sun blazing, we inch our way along as the wind stirs up yellow dust and sand around us. We continue for two hellish hours, driving past squalid homes, newly built but already falling apart. The desolate terrain is scattered with blocks of grey stone. Then we come to a section strewn with rubble, scrap metal, garbage and the occasional decomposing donkey or camel. A few houses, shacks of boards and corrugated iron, have television aerials. The occupants live in poverty, forced to salvage whatever they can. Vultures look on as dogs roam and emaciated goats nibble at rubbish ; this is waste recycling, animal-style.

15.

Au-delà, sur des centaines d’hectares, une forêt immense de sacs en plastique accrochés aux arbustes desséchés dans laquelle nous nous perdons, flottant dans la poussière. Une antichambre de l’enfer, sous-produit du modernisme, près de l’aérodrome où se posèrent Jean Mermoz, Saint-Exupéry et les pilotes de l’Aéropostale, pionniers de la mondialisation, dans les années 1920 et 1930, dans cette région qui servit de décor à Terre des hommes et au Petit Prince...

15.

We can make out a vast expanse of brushland where plastic bags are snagged on hundreds of hectares of bushes. We lose our way in this tinder-dry land, hot as Dante’s waiting room. We are near the airfield used in the 1920s and 1930s by the trailblazers of globalisation, pioneer aviators Jean Mermoz and Antoine de Saint-Exupéry, along with the pilots of the Aéropostale. This was the setting for Saint-Exupéry’s Terre des hommes (Wind, Sand and Stars) and Le Petit Prince (The Little Prince).

16.

A la pointe extrême du Sahara marocain, à 300 kilomètres au sud de Dakhla, un no man’s land miné, long de 60 kilomètres, qu’il faut parcourir en convoi escorté d’un véhicule militaire, sépare le Maroc de la Mauritanie. Malgré cela, les accidents ne sont pas rares. A notre arrivée, l’escorte vient d’être supprimée depuis quelques semaines et le passage se fait aux risques et périls de chacun. Avertis du danger, regroupant quelques voitures, nous nous engageons, de nuit, dans une traversée qui va durer plus de sept heures. La piste de goudron défoncé est impraticable. Sans trop s’en éloigner, il faut se risquer sur les côtés où l’on s’ensable régulièrement. Nos compagnons de voyage, inexpérimentés, nous laissent faire la trace. Parmi eux, dans une minuscule voiture, un pasteur allemand, sa femme sur le point d’accoucher et trois enfants âgés de deux à huit ans. Le pasteur n’a ni boîte à outils ni matériel de dépannage ou de secours, à l’exception d’une énorme bible posée sur le tableau de bord. Il s’ensable plus souvent qu’à son tour. A chaque arrêt, les enfants s’échappent par le hayon et s’égaillent sous notre surveillance inquiète, tandis qu’il faut dégonfler les pneus, creuser, poser les plaques en tôle, pousser, récupérer les plaques enfouies sous le sable, regonfler. Mais aux adultes tendus, bientôt épuisés, la vision renouvelée des trois petits princes en pyjama, épanouis de bonheur insouciant sous la superbe voûte étoilée, est une promesse de salut.

16.

We are now 300 km south of Dakhla (Western Sahara), a town near the Mauritanian border. Army vehicles usually escort convoys of cars across the frontier, a 60-km stretch of no-man’s-land with landmines. Accidents are common. But at the border we are told that the escorts have been suspended and crossing is “at your own risk”. We set off into the night with other vehicles. The trip takes more than seven hours : the road is in abysmal condition and we are forced to drive along its verge. We often get stuck in the sand, leading the way for our travelling companions, who include a German clergyman, his extremely pregnant wife and three young children, all crammed into a tiny car. With no toolbox, emergency kit or safety equipment, other than an enormous Bible on their dashboard, they get stuck. Each time we stop the children escape via the boot and run around. We deflate the tyres, dig holes in the sand, lay down sheet metal, push the car out, retrieve the buried metal strips and reinflate the tyres. We adults are exhausted ; but our three pyjama-clad little princes frolic under the starry sky, a promise of salvation.

17.

Alors que nous sommes arrêtés en plein désert saharien, à des centaines de kilomètres de toute agglomération, passe, non loin, une camionnette peinte en rose bonbon surmontée d’un canoë. Sur le coté, une enseigne jaune : « Au péché mignon - Pâtissier, chocolatier, glacier - Blois ». Ainsi, les mirages existent bien... Au reste, nous retrouverons la camionnette dans un camping de Nouakchott. Elle appartient à des voyageurs hollandais rigolards, qui ne sont pas venus livrer un lointain client, mais ont choisi de garder en l’état leur véhicule acheté d’occasion.

17.

In mid-desert, hundreds of kilometres from the nearest settlement, a candy-pink van with a canoe tied to the roof comes into view. A sign on the side reads : "The Sweet Tooth Bakery : French Pastries, Chocolates & Ice Cream". We meet up with the van later in a campground in the Mauritanian capital of Nouakchott. Its Dutch occupants have kept their ex-ice-cream truck’s livery as it was. Alas, they are not delivering.

18.

Le désert réserve au néophyte d’autres surprises. Il y fait plutôt frais. Non seulement la nuit, mais de jour aussi, même en saison printanière, dans cette partie du Sahara mauritanien, proche de la mer. Autre paradoxe, le désert ne l’est pas. Le Sahara occidental marocain est traversé par une route goudronnée de 1500 kilomètres, parsemée de stations-service et d’agglomérations, de Tiznit à Guerguarat, où, plus que le paysage rocailleux ou broussailleux, seuls les panneaux indicateurs de passages de troupeaux ornés d’un chameau rappellent que l’on est bien loin du Charolais.

18.

The desert has other surprises for inexperienced travellers. In Mauritania’s coastal region, the temperature is coolish, even in spring. And it is not deserted. Western Sahara is dotted with service stations and towns, linked by a 1,500-km paved road from Tiznit to Guerguarat, although the camel crossing signs remind us that we are rather far from Europe.

19.

Quant au désert de sable sans piste tracée de Mauritanie, il est jonché de carcasses de voitures ; abandonnées un moment, ces dernières sont, dit-on, désossées en quelques heures. Si les projets se réalisent, il sera bientôt bitumé, lui aussi. En attendant, on y file à bonne vitesse, obligatoirement conduit par un guide agréé et chèrement tarifé sur un parcours sans repères. Une sorte d’autoroute à péage sans autoroute, coupée de rares oueds, ces cours d’eau sans eau.

19.

Mauritania’s desert and trails are littered with vehicles stripped bare as soon as they are abandoned. We make good time as our certified and expensive guide escorts us across a land without landmarks. We have paid to travel along a toll road even though there is no road, only the occasional wadi (dry watercourse).

20.

Les 500 kilomètres de désert qui séparent Nouadhibou de Nouakchott sont un enchantement. Quittée la grande ville du nord, on contourne la baie des Lévriers, s’éloignant de la côte atlantique vers l’est sur quelques dizaines de kilomètres, avant de bifurquer plein sud sur le banc d’Arguin. Bientôt, le spectacle est féerique. D’immenses dunes de sable ocre orangé glissent vers le bleu Matisse d’une mer étale. A perte de vue, entrelacés de chenaux miroitants, s’étendent vasières tapissées d’herbiers, îlots marécageux et mangroves peuplés de milliers de flamants roses, pélicans blancs, hérons cendrés, spatules, mouettes, cormorans, sternes, goélands... Sur 12000 kilomètres carrés, de part et d’autre du 20eparallèle, le parc national du banc d’Arguin est une gigantesque nurserie de poissons où se retrouvent les oiseaux migrateurs d’Afrique, d’Europe et même de Sibérie.

20.

The 500-km stretch of desert between the northern city of Nouadhibou and Nouakchott is enchanting. We drive past Lévrier bay before leaving the Atlantic coast, veering due south towards Banc d’Arguin national park. The scenery is magical, with huge golden dunes drifting down to Matisse-blue waters. Crisscrossed by waterways, the terrain - mangrove swamps and tidal flats carpeted with sea grasses - stretches away. Flamingos, pelicans, herons, spoonbills, gulls, cormorants and terns make this their home. Covering more than 12,000 sq km along the 20th parallel, the Banc d’Arguin attracts migratory birds from Africa, Europe, even from Siberia.

21.

Plus loin, la traversée se prolonge entre dunes et mer. A marée basse, sur une étroite plage de sable longue de 200kilomètres, il faut passer à vive allure traînant un brouillard d’embruns et soulevant devant soi des nuées d’oiseaux d’un blanc éclatant. Quelques villages de pêcheurs abritent les lointains descendants des tribus almoravides, farouches guerriers et musulmans mystiques, qui, aux XIe et XIIesiècles, après avoir submergé les Berbères, conquirent le Maroc puis l’Espagne. Plus près de nous, le 2 juillet 1816, une frégate française s’échouait sur le banc d’Arguin. Des cent quarante-sept passagers, trente rescapés du naufrage dérivèrent longtemps, finissant par s’entre-dévorer, sur un radeau de fortune. La frégate s’appelait la Méduse...

21.

We resume our journey and drive past dunes at the water’s edge. Low tide exposes a narrow strip of beach 200 km long. We race along, sending up spray as flocks of white birds take flight. Fishing villages are populated by the descendants of the Almoravides, the fierce Muslim warriors who defeated the Berbers before conquering Morocco and Spain in the 11th and 12th centuries. Here also the famous French frigate, La Méduse, ran aground in 1816. Of 147 passengers, 30 survived, resorting to cannibalism after days drifting on a raft. (Think of the Delacroix painting, that epic of Romantic art.)

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Du Maroc au Ghana, routes et pistes déroulent en continu le film animé de la vie quotidienne africaine. En technicolor et son dolby. Dans des pays sans réseaux de chemins de fer, où l’avion est inabordable pour le plus grand nombre, où les rivières et les fleuves sont peu nombreux et rarement navigables, tout passe par les quelques axes routiers qui relient villes et régions. Spectacle garanti, continuellement renouvelé. De l’aube au crépuscule et même longtemps après, tout y circule lentement, avec des arrêts fréquents, pas toujours volontaires. Panoplie complète de véhicules à moteur d’occasion.

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From Morocco to Ghana the roadside is the backdrop for life. In countries with no railways, few navigable waterways and expensive air travel, transport depends on main roads. The entertainment is guaranteed and continuous. The traffic - all old vehicles - creeps along, making frequent and often unplanned stops.

23.

Antiques camions brinquebalants, rampant en crabe sur des pneus lisses, crachotant leur fumée de gas-oil ou soulevant des nuages de poussière, surchargés, bien au-delà de la hauteur limite, de toutes sortes de marchandises qui menacent de basculer à chaque virage ou cahot, souvent surmontés de passagers eux-mêmes encombrés de ballots, de sacs, de vélos, voire de chèvres qu’il faut hisser au sommet. Transports en commun de tout acabit, du bus interurbain au taxi-brousse en passant par les plus diverses variétés de « bâchés » : camions, camionnettes, fourgonnettes aménagées pour les passagers, tôle découpée sur les côtés en forme de carré, de cercle, de coeur pour l’aération, bancs rustiques à l’intérieur, portes et marchepieds à l’arrière et sur les côtés où s’accrochent ceux qui n’ont pu pénétrer dans l’habitacle, porte-bagages encombrés sur le toit, ridelles où accrocher poulets et pintades. Tous ont en commun d’entasser beaucoup plus de voyageurs et de bagages qu’ils n’en peuvent supporter. Avec des airs de vieilles pataches louis-philippardes.

23.

Rickety lorries with bald tyres belch out diesel fumes, stirring up clouds of dust. Vehicle height limits are flouted as piles of people and merchandise teeter in anticipation of the next bend. The passengers sit atop, loaded with bundles, bags, bicycles and the occasional goat. Public transport takes many forms : interurban buses, bush taxis and bâchés. These include lorries, pick-ups and minivans refurbished with crude benches for passengers. Holes (square, circular, heart-shaped) are cut into the sides for ventilation. Passengers unable to find seats cling to the doors or stand on running boards. Chickens and guinea-fowl hang from roof racks. The bâchés, which carry more passengers and baggage than they were meant to, are like stagecoaches in the old American West.

24.

S’y mêlent et se traînent charrettes à âne ou à bras, vélos et vélomoteurs sur lesquels se tiennent en équilibre instable homme, femme et enfants, ou paniers de volailles, cageots de légumes, piles de tissus, tables, fourneaux, machines à coudre... En compagnie de troupeaux de bovins, de chèvres, de chameaux qui bordent la route ou la piste, la traversent à l’improviste, s’y installent un moment. Et partout, le long des routes, du matin au soir, des gens qui marchent, marchent, marchent, sans précipitation, à des kilomètres du premier village. De tous âges, par petits groupes, discutant, se tenant par la main ou le bras sur l’épaule, souvent lourdement chargés. Les femmes surtout : moyen de transport le plus commun, véhiculant sur la tête, dans d’immenses cuvettes en plastique coloré, eau, bois, charbon, céréales, fruits, légumes, tissus, quincaillerie...

24.

Handcarts, donkey carts, bicycles and motor scooters complete the procession. Men, women and children clamber aboard, clutching baskets of poultry, crates of vegetables, fabric, tables, stoves and sewing machines. Cattle, goats and camels wander in and out of traffic. People chat in small groups as they walk along holding hands or with their arms around each other’s shoulders, far from the nearest village. The women carry heavy burdens, balancing large plastic bowls on their heads for water, wood, coal, grains, fruits, vegetables, fabrics and hardware.

25.

Les bourgs traversés sont l’occasion d’arrêts prolongés. En bord de route s’alignent des dizaines de minuscules échoppes : mercier, épicier, coiffeur, bijoutier, mécanicien-forgeron, cybercafé... Entourés de vendeurs ambulants de mangues, bananes, ananas, oranges, papayes, petits pains, pâtés, brochettes, poissons séchés, plats cuisinés, tabacs, cartes de téléphone... Le tout artistiquement présenté, dans une féerie de couleurs, de senteurs, une animation qui se prolonge tard dans la nuit quand, à la lueur des brasiers, on sirote quelque café soluble -crème en poudre, cocktail préparé dans un gobelet plastique avec la gestuelle théâtrale d’un barman de grand hôtel. Le matin, de point en point, de petits groupes sont arrêtés assis à l’ombre d’un arbre, au milieu de tas de paquets mal ficelés, de sacs hétéroclites, attendant interminablement mais sans impatience l’arrêt improbable d’un hypothétique bus brinquebalant ou d’un taxi collectif surchargé. « Quand passe-t-il ? - Aujourd’hui. - Oui, mais à quelle heure ? - Je n’ai pas l’heure, mais j’ai le temps. » Ici, le temps n’est pas une marchandise tarifée.

25.

Passing through a village means lengthy stops. Row upon row of tiny stalls - haberdashers, greengrocers, hairdressers, jewellers, mechanics, even internet cafés - line the roadside. Other people stroll around selling mangoes, bananas, pineapples, oranges, papayas, bread, pâté, kebabs, dried fish, cooked meals, tobacco and telephone cards, all artfully presented. The bustle continues late as we stop by a blazing fire to sip instant coffee and powdered milk from plastic cups, prepared with a dramatic flourish as if we were ordering cocktails in a hotel bar. Next morning small groups of people are sitting in the shade of a few trees, surrounded by piles of haphazardly tied packages and bags, patiently awaiting the (very) tentative arrival of a dilapidated bus or overcrowded taxi. Someone asks : "When is it supposed to come by ?" Someone answers : "Today." "I know, but what time ?" "I don’t know what time. I’ve got all the time in the world." In Africa, time is definitely not money.

26.

Le soleil couché depuis des heures, la nuit aussitôt tombée n’apporte aucune fraîcheur. L’air du soir est encore brûlant à Senewaly, petit village du Sahel au nord-ouest du Mali, entre Kayes et Nioro, près du désert mauritanien. Au coeur de ce qui fut le premier royaume du Ghana, qui durant près de mille ans prospéra sur le commerce transsaharien de l’or, du sel et des esclaves. Assis en tailleur, sous la tonnelle de branchages du patio en terre battue reliant les traditionnelles cases en pisé, bercé par le chant obsédant des cigales, nous goûtons le thé brûlant et l’hospitalité d’une famille de bergers peuls. Nous avons voituré jusque chez eux un jeune neveu, apprenti forgeron, pris en stop au crépuscule et qui nous a guidés dans l’obscurité sur la bonne piste, de village en village. La journée a été éprouvante. Des heures de routes défoncées, de pistes en tôle ondulée coupées de ravins, de nuages de poussière, dans un paysage de moins en moins arboré dominé par les vilains baobabs, troncs éléphantesques, branches en forme de moignons. La température extérieure dépassait les 45degrés et celle de nos boissons rafraîchissantes le niveau d’un bain bien chaud.

26.

Several hours after the sun has set, there is no relief from the heat. We are in Senewaly, a small village in the Sahel in south-western Mali, somewhere between Kayes and Nioro, near the Mauritanian border. This is the heart of the ancient kingdom of Ghana, which flourished for nearly a thousand years thanks to the trans-Saharan trade in gold, salt and slaves. We are sitting cross-legged beneath an arbour in a courtyard surrounded by traditional clay huts. The cicadas sing as we sip hot tea and enjoy the hospitality of a family of shepherds, of the Peul group. We have just dropped off a young relative, an apprentice blacksmith, whom we picked up hitchhiking at dusk and who kept us on the right road from village to village in the dark. We had had a trying day, over bad roads and rugged tracks, hazardous ravines and dust. What few trees we saw were mostly baobabs, nasty-looking things with huge trunks and stumpy branches. With temperatures over 45 degrees C, sipping tea is as about as refreshing as drinking hot bathwater.

27.

Le calme retrouvé, nous restons silencieux dans la pénombre, les regards brillants à la seule lueur des braises du foyer entretenu par une femme belle et élégante, qui surveille la marmite de riz au collier de mouton. Près d’elle, une fillette nattée de perles aux couleurs de sa robe légère nous regarde avec gravité. Elle a ce geste gracieux et émouvant des petites filles africaines : un bras passé derrière le dos, comme une liane, l’autre le long du corps, le ventre un peu en avant. Autour de nous, aucun objet inutile, une frugalité apaisante ; quelques nattes et coussins, trois verres à thé, régulièrement remplis et distribués selon un rituel et une préséance réglés par le chef de famille, une cuvette émaillée dans laquelle chacun prélève avec les doigts un peu de riz et de viande.

27.

After calming down, we sit quietly, lit by the glow of the hearth, where a beautiful woman is watching a pot of rice and lamb. Beside her is a serious little girl, her hair braided with pearls that match her dress. Like many African children, she strikes a graceful and touching pose, tucking one arm behind her back like a tropical vine. Every object has its use ; the sense of frugality is comforting. There are a few mats and cushions ; three glasses are regularly filled and passed down the line in a ritual, with the eldest male designating who is to be served next. We eat with our fingers from an enamel bowl.

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A la famille se sont joints des voisins venus voir les « toubabs » et palabrer. Un seul parle un français approximatif. Il lui faudra traduire, la soirée sera longue. Le plus âgé, qui pour la première fois de sa vie n’a pu accompagner son troupeau dans sa transhumance annuelle, ne parvient pas à comprendre pourquoi je suis venu de si loin. Les Peuls sont de grands voyageurs, mais on ne voyage pas sans raison. Les miennes lui sont incompréhensibles et le laissent incrédule. Bienveillante, attentive, curieuse, enjouée, entrecoupée de longs silences méditatifs, la conversation révèle peu à peu le plaisir d’être ensemble, tandis que la nuit apporte enfin sa fraîcheur bienfaisante.

28.

Neighbours stop to meet the toubabs (white people) and chat. One speaks halting French and translates, which makes for a long evening. For the first time in his life the father of the family was unable to accompany his flock on its annual migration this year. He cannot understand why I have journeyed so far : the Peuls may be great travellers but only for a good reason. He looks sceptical, finding my motives incomprehensible. The conversation is friendly, polite, inquisitive and lively, punctuated by a thoughtful silence. The night air turns cool and refreshing.

29.

Les Peuls parlent entre eux avec une extrême douceur une langue enchantée qui nous effleure comme une caresse. Moment de bonheur. De ceux que l’on aura souvent l’occasion de partager, au hasard des rencontres. Fugitif, car le malheur n’est jamais bien loin. La petite fille s’est endormie. Nous apprenons que c’était la meilleure amie d’une enfant de la famille, morte quelques semaines plus tôt de paludisme. Une des premières maladies infectieuses mondiales, qui tuent chaque année des centaines de milliers de gosses. Les grands laboratoires pharmaceutiques s’en désintéressent depuis longtemps. Au nom de la bonne gouvernance d’entreprise. Le marché des enfants pauvres d’Afrique n’est pas assez rentable pour servir les dividendes du retour sur investissements aux fonds de pension aux retraités du Nord, vieux et riches, qu’ils servent.

29.

The family speak softly to each other in Peul, an enchanting language like a caress. But misfortune is never far away here. The little girl is now asleep ; we learn that she was the best friend of one of the family’s daughters, who died from malaria complications a few weeks ago. Malaria claims the lives of hundreds of thousands of children every year. Driven by "sensible" business practices, large pharmaceutical companies lost interest in finding a cure for it. Poor African children are an insufficiently lucrative market ; they cannot provide the minimum return on investment required by the North’s pension fund managers or rich retirees.

30.

La même cupidité effrénée condamne à mort les victimes du sida, qui ravage le continent, sans autre thérapie que les campagnes de prévention omniprésentes (Lire Vivre à Soweto avec le sida). En bordure de route, au Mali, récent organisateur de la Coupe d’Afrique de football, on peut voir d’immenses panneaux où trois joueurs font le mur devant leur gardien de but les mains croisées sur le bas ventre. Avec pour légende : « Ce n’est pas la bonne protection. Utilisez le condom. » Et dans un petit hôtel de Bobo-Dioulasso, au Burkina, cette affichette qui laisse perplexe : « Nous prions notre aimable clientèle de déposer ses préservatifs à la réception avant de quitter l’établissement. »

30.

This greed also means death for many with Aids, ravaging the continent ; often the only defence against it is the public awareness campaigns (see South Africa’s Aids apartheid). In Mali, which recently hosted the 2002 African Nations Cup, we see huge roadside signs of football players lined up in front of their goalkeeper, their hands over their crotches. The signs read : "Not an effective protection. Use condoms." In Burkina Faso we are puzzled by a sign in a small hotel in the town of Bobo Dioulasso : "Guests are asked to kindly deposit their prophylactics at the front desk before leaving the hotel."

31.

Dans une petite ruelle d’un quartier populaire de Lomé, au Togo, non loin du grand marché, un groupe compact d’enfants et d’adultes goûte la fraîcheur du soir en regardant la télévision installée au milieu de la chaussée. Visages étonnés et sincèrement compatissants. Au programme de la chaîne francophone, un documentaire sur les douloureux problèmes et les soins coûteux des adolescents suisses obèses. Cynisme et dérision. Près de trois décennies après les premiers accords de Lomé, qui avaient tenté d’établir entre le Nord et le Sud des relations moins inégalitaires, les aides au Togo sont suspendues depuis des années, plongeant le pays dans la récession. Ainsi punit-on le peuple, coupable de subir un régime dictatorial qu’on a installé et soutenu pendant trente ans.

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In a working-class neighbourhood of Lomé (Togo’s capital), not far from the Grand Marché district, adults and children take the evening air, watching a television in the middle of an alley. The French-language channel is broadcasting a documentary on the problems and costly medical treatments of overweight Swiss teenagers. The viewers are cynical and scornful. Nearly three decades after the first Lomé accords were signed to promote more egalitarian North-South relations, the European Union suspended aid to Togo in 1998, plunging the country into recession. The Togolese are being punished for outlasting a dictatorship installed and supported for 30 years.

32.

La survie est dure à Lomé, comme dans la plupart des villes et villages traversés ; la pauvreté reste la condition du plus grand nombre, éprouvé par la défaillance des services publics, les coupures d’eau et d’électricité. Il faut des trésors d’imagination et de débrouillardise quotidiennes pour s’assurer au moins un repas avec un revenu moyen inférieur à un euro. Si le coût de la vie est deux ou trois fois moins élevé qu’en France, le salaire minimum ou celui d’un cadre est vingt fois plus faible. Peu nombreux sont ceux qui en bénéficient. Plus rares encore ceux qui le perçoivent avec régularité.

32.

Life is harsh in Lomé, as it is in most places we visit. Impoverished people muddle through with unreliable public services and frequent water and power cuts. With average earnings of less than a dollar a day, people have to use their wits and ingenuity just to scrounge a meal. Though the cost of living is two to three times lower than in France, the minimum wage and the management salaries are 20 times smaller. Few get that and fewer still receive regular pay.

33.

Et pourtant, malgré ce qu’elle subit, l’Afrique, c’est la vie. Foisonnante, exubérante, débridée, insolente, cocasse. Quand la majorité de la population a moins de vingt ans, c’est la jeunesse qui l’emporte et imprègne les rapports sociaux de sa force vitale partout palpable, leur conférant cette convivialité naturelle, mélange d’enthousiasme et d’insouciance. Les vieux, peu nombreux, ne le restent pas longtemps. De retour en France, et au silence des pantoufles, les angoisses sécuritaires et xénophobes d’une population vieillissante prenant peur de ses enfants nous accablent.

33.

Despite this, Africa teems with life, expansive, exuberant, uninhibited, cheeky and comical. Since most Africans are under 20, the young have influence and social relationships reflect their vitality, conviviality, eagerness and good cheer. (Once back in France, we are struck by the anti-foreigner attitudes and security concerns of an ageing population scared of its own children.)

34.

Si l’Afrique c’est la vie, la vie c’est la musique, tout à la fois culte rituel et besoin physiologique (voir encadré). La musique et la danse. Inséparables, omniprésentes : dans la rue, les courettes, les marchés, les jardins, les « maquis », partout. Les bébés les apprennent sur le dos de leurs mères bien avant de savoir marcher. Toutes les musiques du continent, d’une prodigieuse diversité, et celles d’ailleurs. En Europe, un soir par an, la fête de la musique nous fait goûter un air de liberté, comme une piqûre de rappel, pour ne pas oublier tout à fait. Là-bas, c’est tous les jours la fête de la musique, sans laquelle les Africains perdraient espoir et dignité.

34.

Music is an integral part of life in Africa, a blend of religious ceremony and physiological need. Music and dance are linked, in the streets, backyards, marketplaces, gardens or bush, and a baby on a mother’s back is exposed to music and dance long before learning to walk. France’s annual Fête de la musique allows people to celebrate their musical freedom once a year, an inoculation jab that only ensures that they do not stop thinking about music altogether. Africans celebrate the magic of music every day ; if they did not, they would lose hope - and dignity.

35.

Symbolique, la distinction africaine du « poulet cadavre » et du « poulet bicyclette ». Le poulet cadavre ? Aseptisé, gonflé aux hormones, truffé d’antibiotiques, gavé de farines, élevé en batterie, performant, gras, sans goût ni saveur, calibré, contrôlé, étiqueté, rangé dans la morgue des consoles réfrigérées des grandes surfaces, dans son linceul de plastique, un code barre en épitaphe, à l’image de nos sociétés. Le poulet bicyclette ? Gringalet, maigrichon, poussiéreux, élevé dans la rue, traînant dans les cours, nourri à la force du jarret, pédalant sous la chaleur pour grappiller de quoi subsister en dansant d’une patte sur l’autre, avant de finir, ferme et goûteux, tête en bas et plumes au dos, attaché par les pattes, en plein air, à la devanture d’une échoppe. Si vous ne voulez pas finir en poulet cadavre, allez en Afrique à la rencontre du poulet bicyclette, retrouver les racines oubliées au berceau de l’humanité.

35.

Africans make a symbolic distinction between industrial chickens and free-range chickens, which are known as poulet-bicyclette (bicycle-riding chickens). The industrial varieties are sterile, full of hormones and antibiotics, force-fed, group-raised, cost-effective. They are fat, tasteless, graded, monitored and labelled. Displayed in our morgue-like superstores, industrial chickens wrapped in plastic shrouds with bar-coded epitaphs are grim symbols of post-industrial societies. The very free-range chickens of Africa are puny, scrawny, street-smart veterans of backyards. They eat wherever their legs carry them, hopping about as they scratch together their rations in the heat. Firm and tasty, they end up hanging unplucked in front of tiny market stalls. If you are feeling the stress of post-modern society, go to Africa, where the range is always free. There you will rediscover your own distant roots in the birthplace of all humanity.

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