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La Maison Blanche en série télévisée


Hail to the (fictional) chief

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LE MONDE DIPLOMATIQUE | SEPTEMBRE 2002 | Pages 12 et 13

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Le Monde diplomatique September 2002

2.

LES DYNAMIQUES DU DÉSORDRE MONDIAL

2.

THE DYNAMICS OF WORLD DISORDER

3.

La Maison Blanche en série télévisée

3.

Hail to the (fictional) chief

4.

Par MARTIN WINCKLER

4.

by MARTIN WINCKLER - Translated by Luke Sandford

5.

Une fiction télévisée dans laquelle il serait question d’un président de la République, de ses conseillers les plus proches, de la vie quotidienne à l’Elysée et des arcanes de la politique nationale. En France, une telle éventualité est impossible. Les fictions abordant le pouvoir présidentiel se résument à quelques romans policiers (Meurtre à l’Elysée) ou de politique-fiction vaguement impertinents et toujours superficiels - même s’ils sont écrits sous pseudonyme par d’anciens proches du pouvoir - ou à des pièces de théâtre de boulevard (Reviens dormir à l’Elysée), et les réalisations cinématographiques (Le Bon Plaisir...) qui égratignent (à peine) l’image du chef de l’Etat se comptent sur les doigts d’une main.

5.

YOU couldn’t imagine a television series about the president of the Republic and his advisers, showing both daily life at the Elysée palace and political mysteries. There are fictionalised accounts of the French presidency in a few detective stories (including Valérie Duchâteau’s Meurtre à l’Élysée) and tongue-in-cheek political novels, which tend to be superficial even when their pseudonymous authors had been in politics. A handful of plays and films (Georges Folgoas’s Reviens dormir à l’Élysée, and Francis Girod and Françoise Giroud’s Le Bon Plaisir) touch the surface of the way that presidential image-making works.

6.

Aux Etats-Unis, où rien n’est si sacré qu’on ne puisse le représenter - et, par conséquent, le critiquer -, les films et romans mettant en scène le président des Etats-Unis dans des situations à peine imaginaires ne se comptent plus. Depuis les années 1960, le drame politique ( Fail Safe , avec Henry Fonda) côtoie la comédie romantique (The President and Miss Wade, avec Michael Douglas) en passant par la satire la plus destructrice ( Dr Strangelove / Dr Folamour, de Stanley Kubrick ou, plus récemment, Wag the Dog / Des hommes d’influence, de Barry Levinson).

6.

But in the United States there are no cows too sacred to be shown or critiqued. Countless films and novels have dealt with US presidents ; since the 1960s political dramas, such as Sidney Lumet’s Fail-Safe have shared the bill with romantic comedies, such as Rob Reiner’s The American President, and satires, including Stanley Kubrick’s Dr Strangelove and Barry Levinson’s Wag The Dog.

7.

Sur les grands écrans, le président des Etats-Unis a toujours été un personnage comme les autres. Ce n’était pas vrai à la télévision, non par autocensure, mais sans doute parce que la fonction du président semblait mieux se prêter à des documentaires biographiques (tous les présidents y sont passés, d’Abraham Lincoln à M. George Bush en passant par John Kennedy) et à des téléfilms centrés sur un événement cathartique.

7.

American films have long featured US presidents as characters in their own right, unlike television. This is not because of television censorship, since US networks have always been privately owned and eager to take on the powers that be. But the presidency has chiefly inspired documentary-style television biographies (depicting the lives of every president from Abraham Lincoln to John Kennedy and George Bush Senior) and mini-series about cathartic events.

8.

Depuis trois ans, pourtant, le président des Etats-Unis et son entourage rapproché font partie de la vie quotidienne des Américains, grâce à une série hebdomadaire exceptionnelle : « The West Wing » (« TWW ») /« A la Maison Blanche ».

8.

And for the past three years a television president and his inner circle have been a recurring part of Americans’ lives thanks to the weekly series The West Wing.

9.

Deux hommes de talent sont à l’origine de cette oeuvre contemporaine. Le créateur et principal scénariste, Aaron Sorkin, était déjà l’auteur d’une série très remarquée, « Sports Night », située dans les coulisses d’une émission d’informations sportives. Cette comédie grave n’hésitait pas à mettre le doigt là où le sport fait mal (l’argent, le dopage, les luttes de pouvoir, la politique, l’image) et permit à Sorkin de démontrer, pendant deux ans, l’extraordinaire virtuosité de ses scénarios et l’intelligence de dialogues que n’auraient pas désavoués Howard Hawks, John Huston, Ernst Lubitsch et Billy Wilder.

9.

Its success is attributable to a talented pair. The show’s creator and head screenwriter is Aaron Sorkin, who also wrote the well-regarded Sports Night, a backstage view of news, which ran for two years and showed the professional sports world’s problems with money, drugs, power struggles, politics and image. Sports Night confirmed Sorkin’s virtuoso status, and his sharp dialogue would have been at home in films by Howard Hawks, John Huston, Ernst Lubitsch and Billy Wilder.

10.

Le producteur exécutif de « TWW », John Wells, a lui aussi déjà fait ses preuves. Après avoir produit « China Beach », remarquable série sur la guerre du Vietnam, il tient, depuis 1994, les rênes d’« Urgences ».

10.

Besides Sorkin, John Wells, the programme’s executive producer, has established himself as a creative force. Following the praised series China Beach (1988-1991), about the Vietnam war, he took over the production for ER in 1994.

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Mais les qualités respectives de ces deux maîtres d’oeuvre seraient vaines si le résultat se résumait à une simple comédie de moeurs. Bien au contraire : les quelques centaines de milliers de spectateurs français qui ont la chance de pouvoir regarder « TWW » ont découvert, avec émerveillement, une fiction qui pulvérise bien des préjugés. Car s’il est une série qui dément l’idée bien française selon laquelle les fictions télévisées sont futiles, c’est celle-là. « TWW » est une oeuvre protéiforme, complexe et stimulante.

11.

These two talents would be wasted if the final product were only a comedy of manners, but it isn’t. The several hundred thousand French viewers lucky enough to be able to view The West Wing have seen to their surprise a phenomenon beyond stereotyping. If any series can overcome the French belief that TV fiction is irrelevant, The West Wing can, in all its unpredictability and complexity.

12.

Elle est centrée sur Jed Bartlet, politicien du Parti démocrate récemment élu au poste suprême, et sur ses conseillers les plus immédiats : Leo McGarry, secrétaire général de la Maison Blanche et ami personnel de longue date ; Toby Ziegler, Josh Lyman et Sam Seaborn, juristes chargés de la communication, des relations avec le Parlement (et de tout le reste, en fait !), et C.J. Cregg, porte-parole de la Maison Blanche.

12.

The show centres on Josiah “Jed” Bartlet, a recently elected Democratic president, and his closest advisers : Leo McGarry, chief of staff and Bartlet’s old friend ; Toby Ziegler, communications director, Josh Lyman, deputy chief of staff, and Sam Seaborn, deputy communications director, all responsible for media and Congressional relations and everything else ; and Claudia Jean “CJ” Cregg, the official spokeswoman.

13.

De même que la distribution et les scénarios d’« Urgences » n’oublient jamais infirmières et aides-soignantes, ceux de « TWW » font la part belle aux « petites mains » et autres collaborateurs travaillant dans l’ombre.

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Just as ER always made room for the nurses and assistants, The West Wing devotes a lot of time to interns and other toilers in obscurity.

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Le rôle le plus difficile après celui de Bartlet est celui de l’aide du président, qui a pour tâche, entre autres, de le suivre à chaque minute, de lui rappeler son emploi du temps, voire de le tirer du lit alors qu’il vient à peine de se coucher. Témoin de l’importance accordée par Aaron Sorkin à des personnages souvent délaissés par les scénaristes français, cet aide est un jeune homme noir, Charlie Young. Quand Leo McGarry envisage de l’embaucher, il se demande comment le public percevra le fait qu’un jeune Afro-Américain ouvre les portes du président. Il interroge à ce sujet le chef d’état-major des armées, lui aussi afro-américain, lequel lui répond que si Charlie est bien payé et traité avec respect, personne dans la communauté noire n’y trouvera à redire...

14.

Demonstrating the importance that Sorkin attaches to characters often neglected by French screenwriters, the presidential aide is an African-American, Charles Young. (The second most difficult job in the White House is that of presidential aide, following the chief around all day, keeping him on track and, if necessary, dragging him out of bed in the middle of the night.) McGarry considered hiring Young but was concerned about what the public might think of a young black man opening doors for the most powerful man in the world. McGarry sounded out the African-American army chief of staff and was told no African-American would be upset as long as Young was well paid and treated with respect.

15.

Dès sa première saison, la série s’est montrée maître dans l’art de mêler relations intimes, morale politique, conflits intérieurs et problèmes internationaux, et de montrer que l’homme le plus puissant du monde est un homme comme les autres : lorsqu’un hélicoptère militaire transportant le médecin du président est abattu par un missile au-dessus de la Syrie, Bartlet s’enflamme, évoque l’époque où tout citoyen de l’Empire romain pouvait se déplacer en toute sécurité dans le monde antique, et se propose de déclencher une riposte vengeresse pour assouvir sa colère. Ses conseillers finissent par l’en dissuader en lui faisant comprendre que seules des représailles « proportionnées » (évitant les pertes civiles) sont acceptables.

15.

Ever since its debut, the programme has excelled in blending personal relationships, political ethics, domestic conflicts and international crises, showing the president as a human being. When a military helicopter carrying his personal physician was shot down by a missile in Syrian airspace, an enraged Bartlet referred to the time when citizens of the Roman empire could travel safely anywhere in their world, and pondered launching a revenge attack. His advisers dissuaded him, saying that only proportional response, avoiding civilian fatalities, would be acceptable.

16.

Au cours d’un autre épisode mémorable, l’équipe du président, fermement opposée à la peine capitale, se met en devoir de convaincre celui-ci d’accorder sa grâce à un condamné, sans y parvenir ; plusieurs épisodes évoquent avec un luxe de détails une menace de conflit armé entre l’Inde et le Pakistan tout à fait comparable à celui qui a récemment secoué le continent asiatique, et les tractations visant à l’éviter. Au tout début de la troisième année de production, en octobre 2001, Sorkin écrivit un épisode spécial inspiré par les attentats du 11 septembre mais refusant les amalgames faciles et le manichéisme dont l’administration Bush est, elle, constamment friande.

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In another episode, members of the president’s team, all firmly opposed to capital punishment, unsuccessfully attempted to persuade the president to pardon a prisoner on death row. Several episodes dealt in detail with the threat of armed conflict between India and Pakistan, very close to recent events in the subcontinent, and negotiations to avert a regional war. At the beginning of the third season in the autumn of 2001, Sorkin very quickly wrote a special 11 September inspired episode that actually avoided the confusions and over-simplifications of the real Bush administration.

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Bref, quand on voit les scénarios aborder de front, semaine après semaine, des questions aussi épineuses que la santé des hommes d’Etat (Bartlet est atteint de sclérose en plaques), le désir affiché par l’armée américaine de bannir les homosexuels de ses rangs, les conflits d’intérêts et de pouvoir avec le vice-président et les Chambres, la nomination des juges à la Cour suprême, l’alcoolisme des hauts membres de l’administration, la liberté de la presse, le lobbying des groupes de pression (de l’extrême droite religieuse à la communauté gay), la commercialisation des armes à feu aux Etats-Unis et celle des traitements du sida en Afrique, ou encore les systèmes de défense antimissile - tous sujets abordés quotidiennement dans des journaux sérieux - et constate qu’aucun personnage n’est jamais considéré comme mineur (dans l’univers de cette Maison Blanche fictive, la Première Dame n’a rien d’une potiche, elle est médecin et occupe des fonctions similaires à celle d’un ambassadeur de l’Unesco), on admet sans peine que « TWW » est une fiction hors du commun, surprenante et passionnante.

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Every week the show deals with controversial issues worthy of the serious press : leaders’ physical health (Bartlet suffers from multiple sclerosis) ; the US military’s desire to ban homosexuals from its ranks ; conflicts of interest, and power struggles involving the vice president and Congress ; and the appointment of Supreme Court justices. Other themes have included alcoholism in the government’s highest levels ; press freedoms ; lobbying and pressure groups (from the religious right to the gay community) ; handgun availability ; marketing Aids treatments in Africa ; and missile defence systems. No character is considered minor : Dr Abigail “Abby” Bartlet, the First Lady, is no figurehead - she has the duties of a Unesco ambassador.

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Il est particulièrement remarquable de voir qu’en un peu plus de 40 minutes de dialogues quasi ininterrompus, Aaron Sorkin et ses coscénaristes parviennent à représenter simultanément la vie quotidienne d’une administration énorme et ses ramifications dans la vie de millions de gens en restant constamment intelligible et en affichant des qualités pédagogiques stupéfiantes. Conscients du fait que les Américains eux-mêmes ne sont pas toujours au fait du fonctionnement de leurs institutions, les scénaristes s’appuient sur des conseillers techniques chevronnés (anciens conseillers présidentiels !) pour permettre au spectateur de comprendre les enjeux et les bizarreries des procédures abordées.

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The West Wing is passionate, full of surprises, and yet coherent. Sorkin and his team script 40 minutes of uninterrupted dialogue to catch the day-to-day workings of a vast administrative structure, and its impact on millions. The show provides a wonderful education. Conscious that Americans are often unaware of how their institutions work, the scriptwriters rely on technical consultants, including real former presidential advisers. Viewers are given insight into the bizarre political processes.

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Leur méthode est simple mais limpide : qu’il s’agisse des conseillers, de leurs assistantes, de C.J., la dévouée porte-parole de la Maison Blanche ou du président Bartlet lui-même, chacun a, à son tour, l’occasion de se faire la voix du spectateur (du citoyen) pour dire qu’il ne comprend pas ce qui se passe, et obtenir ainsi qu’on nous/qu’on le lui explique...

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The writers’ methods are simple and clear : advisers, aides, the spokeswoman and president all voice the concerns of viewers, and therefore of citizens, by acknowledging that they do not always understand what is going on. The explanations they get illuminate the issues for their - and our - benefit.

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Servis par une distribution éblouissante (Rob Lowe et Martin Sheen sont familiers aux spectateurs français, mais John Spencer, Bradley Whitford et Allison Jeanney, peu connus ici, sont tout aussi étonnants) et par une maîtrise de la mise en scène qui a déjà amplement fait ses preuves dans « Urgences », les scénarios de Sorkin font de « TWW » l’une des oeuvres les plus étonnantes de la télévision américaine contemporaine. Si l’on se réjouit de la voir diffusée sur Série Club, on ne peut que regretter qu’elle ne soit accessible qu’à un faible nombre de spectateurs, et se scandaliser du traitement que lui a infligé France 2 l’an dernier en diffusant la première saison à la sauvette, très tard, les vendredis soirs d’été. Une telle série méritait non seulement une programmation régulière, mais aussi une présentation qui la mette en valeur. En une époque où les débats « de société » inutiles et creux font florès, chaque épisode de « TWW » aurait mérité, après diffusion sur France 2, de faire l’objet de commentaires ou d’un débat. Malheureusement, même lorsqu’il s’agit d’un autre univers politique que le nôtre, la télévision publique française ne semble pas avoir pour vocation d’éclairer le citoyen.

20.

Thanks to first-rate direction (in the tradition of ER) and Sorkin’s writing, The West Wing is one of the most impressive of US television series. But though the show is broadcast in France on Série Club, it reaches only a very small audience. To make matters worse, last year the France 2 channel decided to broadcast the first season late on Friday nights during the summer months, when it really deserved a prime-time slot to showcase its quality. And now that debates on social questions tend to be shallow, it would have been a good idea to follow each episode with some discussion or analysis. But French public television seems totally unconcerned with enlightenment.

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