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1. Familles disloquées par la crise, orphelinats à la dérive, écoles publiques sponsorisées, aides sociales "privatisées" : la transition vers l’économie de marché
affecte brutalement tous les enfants d’Europe de l’Est. Pour
le mesurer, il suffit d’analyser leur situation dans trois
pays témoins, tous trois candidats à l’Union européenne :
l’Ukraine, dont le produit national brut est aujourd’hui de
60 % inférieur à celui de l’époque communiste ; la Roumanie,
qui, depuis 1989, va de rémission en récession ; et la
Pologne, membre du peloton de tête qui s’apprête à intégrer
l’Union. |
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1. Throughout eastern Europe, children are suffering most from
the brutal transition to a market economy. Families have
been disrupted, state schools increasingly rely on
sponsorship, social welfare is being privatised, and even
orphanages are riddled with corruption. The extent of the
damage can be seen in three key countries, all candidates
for EU membership : Poland, Romania and Ukraine. |
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2. Mediach ne manquait
pas d’atouts : cette ville de Transylvanie roumaine
fabrique, depuis l’entre-deux-guerres, des chaussures et de
la cristallerie, des landaus et de l’appareillage
électrique, des casseroles et des carrosseries... Mais,
depuis 1990, ces entreprises n’en finissent pas de se
"restructurer". Elles se sont délestées de leur héritage
communiste (centres de vacances, crèches et autres
dispensaires), tandis que le capitalisme a fait éclore des
commerces multicolores, une station-service, deux pizzerias,
une école maternelle privée, des distilleries d’alcool... |
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2. Medias, a town in Romanian Transylvania, used to have a lot
going for it. It had been manufacturing shoes, crystalware,
baby carriages, electrical goods and car panels since before
the second world war. But in 1990 the "restructuring"
started, and it hasn’t finished yet. The old industrial
combines have been stripped of the holiday centres, crèches
and dispensaries left over from the communist era. In their
place, the free market has spawned a colourful array of
shops, a petrol station, two pizzerias, a private nursery
school and a couple of distilleries. |
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3. Le décor y gagne, pas l’emploi. La ville compte 65 000
habitants, dont 3 000 chômeurs et 5 000 "fin de droits".
"Pour les deux tiers de mes concitoyens, la nourriture est
un combat quotidien", constate le pasteur luthérien Reinhart
Guib, dans son église fortifiée. A tel point que 3 000
familles de Mediach ont dû renoncer à se chauffer. Parmi
elles, les Lörinkz qui, voilà dix ans, criaient leur passion
pour la "libertate". En additionnant la pension de Iosif,
quarante-sept ans, et les allocations enfants (60 000 lei,
soit 23 francs par enfant), les Lörinkz perçoivent chaque
mois 276 francs, alors qu’ils doivent payer 250 francs (1)
pour le chauffage collectif ! |
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3. This may have improved the look of the town, but it has done
nothing for employment. Three thousand of Medias’ 65,000
inhabitants are out of work and another 5,000 have lost
their social security rights. "For two thirds of the local
population life is a daily struggle for food" says Reinhart
Guib, the local Lutheran pastor. Like 3,000 other families
in Medias, Iosif and Iby Lörinkz have had to stop heating
their home. Iosif is 47. With his invalidity pension and two
child allowances of 60,000 lei (just under $3 per child),
the family has about $38 a month to live on. But communal
heating costs them $34. |
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4. Iosif a fait ses comptes : "En chauffant moins, on pourra
peut-être manger un peu mieux, acheter des chaussures, de la
lessive, des cahiers et des livres de classe" —ces derniers
étaient gratuits, mais cette année les familles doivent les
payer. |
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4. "If we used less heating", says Iosif, we might be able to
eat a little better and buy shoes, washing powder, notebooks
and textbooks for the children. Schoolbooks used to be free,
but as from this year families have to pay for them. |
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5. Leurs deux enfants, Carmen, vingt ans, et Doris, quatorze
ans, ont grandi dans l’incertitude du lendemain. Carmen n’a
pas pu poursuivre ses études. Mais c’est Doris, la cadette,
qui a le plus souffert de l’angoisse palpable à la maison :
elle a tenté de se suicider. Depuis la fermeture brutale,
fin 1993, de Carbosin —une usine de plastique et de noir de
charbon qui répandait ses poussières sur le bourg de Copça
Mica—, son père, oisif, malade, traîne son irritation entre
un lit toujours défait et une télévision perpétuellement
allumée. Sa mère, Iby, quarante-trois ans, court après les
ménages depuis que son entreprise, une fabrique de
casseroles, s’est "restructurée", "en commençant par
licencier les femmes". |
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5. Their daughters, aged 20 and 14, have grown up anxious of
the future. Carmen, the elder, has been unable to continue
her studies. Under the strain, her younger sister, Doris,
has tried to commit suicide. Iosif used to work at Carbosin,
a carbon-black plant at Copsa Mica that covered the whole
area in a blanket of soot. It was suddenly closed down in
1993. Angry and resentful, Iosif spends his days between an
unmade bed and a television set that is always on. Iby is
43. She has been chasing cleaning jobs ever since the
saucepan factory she used to work at was restructured. "The
first thing they did was to sack the women," she murmurs. |
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6. La détresse, partout sensible, s’exprime avec gêne, dans
l’intimité. Comme honteuse face à ces vitrines bien
fournies, ces restaurants où l’on ne va jamais, ces
publicités flamboyantes vantant les trésors de l’Occident.
Tandis qu’une poignée d’affairistes s’enrichit, "le revenu
des familles ne cesse de baisser, l’argent s’érode avec
l’inflation, le Fonds monétaire international FMI exige la
restructuration du secteur industriel, le chômage va
croissant et la protection sociale disparaît", résume Mme
Nora Godwin, représentante du Fonds des Nations unies pour
l’enfance (Unicef) à Bucarest. |
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6. The misery can be felt on all sides, but people keep it to
themselves —as if shamed by the well-stocked shop windows,
restaurants they cannot afford and bright advertisements for
the delights of the west. "A handful of wheeler-dealers are
making a packet," explains Nora Godwin, a Unicef
representative in Bucharest. "But family incomes are falling
all the time and the value of money is eroded by inflation.
The IMF is demanding the restructuring of the industrial
sector, which forces unemployment up and up, and social
protection is disappearing." |
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7. Le maire de la capitale annonce qu’"il ne peut plus" aider
les familles à payer le chauffage. Celui de Mediach renonce
à verser l’allocation d’urgence aux 240 déshérités de la
municipalité. "Nous avons demandé aux organisations non
gouvernementales ONG de leur distribuer de la nourriture et
des médicaments", dit-il. En Roumanie, comme ailleurs à
l’Est, les autorités ont pris l’habitude de "privatiser"
l’aide sociale via les ONG. Un pis-aller quand 7,6 millions
de Roumains vivent sous le seuil de pauvreté. |
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7. The mayor of Bucharest has announced that he can no longer
help families pay for their heating. In Medias, the mayor
has stopped paying emergency allowances to the 240 families
with no income at all. "We have asked the NGOs to supply
them with food and medicine," he says. In Romania, as in
other eastern European countries, the authorities have got
used to "privatising" social assistance by shifting the
burden to the NGOs. With 7.6m Romanians living below the
poverty line, it is very much a last resort. |
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8. La misère, l’impuissance de l’État ont en effet jeté 2 000
enfants sur le pavé. Un sur cinq a fui l’orphe linat. Les
deux tiers ont préféré la rue, la mendicité, les petits
larcins, le froid et la faim, à la violence quotidienne en
famille. "Papa buvait, maman quittait la maison. Moi
j’allais dormir dans un magasin de jeux vidéo " confie
André, un rouquin de douze ans. Il a eu la chance de trouver
sur sa route les éducateurs de l’association Salvati Copii,
qui possède, à Bucarest, une sorte de palais nommé Gavroche,
où l’on accueille une quarantaine d’enfants victimes. |
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8. Because of poverty and the state’s lack of power, 2,000
children are now on the streets. One in five of them has run
away from an orphanage. Two-thirds of them prefer cold and
hunger, and even begging and petty theft, to the daily
violence that went on in their families. "My dad drank all
the time and my mum kept running away. I used sleep in a
video-games shop," says Andrei, a 12-year-old with a mop of
ginger hair. He was lucky enough to stumble across social
workers from Salvati Copii and now he lives in their hostel,
along with more than 40 other battered children. |
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9. Malgré l’existence d’une douzaine de ces foyers, animés
(quasiment tous) par l’initiative privée, des enfants
dorment encore dans des cages d’escalier, des gares, des
conduits du chauffage urbain. "Voilà six ans que j’ai quitté
mon village, près de Tulcea, à cause de ma seconde mère. On
ne s’entendait pas très bien", m’a écrit Mariam d’une main
tremblante, d’abord incapable de parler et de se souvenir.
Il hante, avec son copain Vassile, les abords de la station
de métro Eroilor. "On a quatorze ans", prétendent-ils, mais
ils en paraissent dix. Ils respirent à longueur de journée
un petit flacon de laque grise qui distille ses vapeurs
d’oubli. La nuit, ils trouvent abri sous le kiosque d’un
fleuriste. En leur compagnie, Stefania, une adolescente
tsigane, et Florin, son petit frère de huit ans, qui
mendient et dorment chez un oncle. En quête d’affection et
de menus cadeaux, ils offrent une proie facile aux
pédophiles de tous pays qui ont inscrit Bucarest et Budapest
au programme de leur "tourisme sexuel". |
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9. Although there are a dozen such hostels, almost all run by
private associations, there are still children sleeping in
stair wells, railway stations and heating ducts. Marian has
trouble remembering and getting words out, so he writes his
story down with a shaking hand : "I ran away from my village
near Tulcea six years ago because of my stepmother. She was
always going on at me." He and his mate Vasile hang around
the Eroilor metro station. They say they are 14, but they
look about 10. They spend their days sniffing a bottle of
grey varnish. At night they shelter under a nearby florist’s
stand. With them are Stefana, a teenage Gypsy, and her
eight-year-old brother, Florin. These two beg by day and
sleep at their uncle’s place. In search of affection and
cheap presents, they are easy prey for the paedophiles from
all countries who have put Bucharest and Budapest on their
list of sex tourist resorts. |
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10. Pas plus en Roumanie qu’en Bulgarie ou en Russie, les
parents ne sont a priori disposés à abandonner leurs
enfants. "Au contraire, se souvient un anthropologue
français, M. Claude Karnoouh, enseignant à l’université de
Cluj, les enfants roumains étaient bien plus choyés et aidés
dans leur socialisation que ceux de nos cadres moyens en
Europe occidentale." Il a vu l’ancien dictateur Nicolae
Ceausescu imposer manu militari sa politique nataliste -
interdiction de la contraception et de l’avortement,
placement des enfants en institution, selon le modèle
soviétique, qui voulait qu’ils soient mieux éduqués par
l’État que par une famille "défectueuse" : "L’État leur
assurait, en Roumanie comme ailleurs, un logement et un
travail à la sortie de l’orphelinat", rappelle-t-il.
Surtout, il a assisté à l’éclatement des solidarités
familiales, sous les coups de boutoir d’un capitalisme
sauvage et corrompu, un bouleversement plus violent que
celui imposé, en 1948, par le régime communiste". |
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10. Romanian parents do not have a history of abandoning their
children, any more than Bulgarians or Russians. "On the
contrary," says Claude Karnoouh, a French anthropologist and
visiting professor at the Babes-Bolyai university in Cluj,
"Romanian children were more pampered than average
middle-class children in western Europe, and greater
attention was paid to socialising them." The Ceaucescu
dictatorship enforced a policy of increasing the birthrate.
"Contraception and abortion were banned, and children from
inadequate" families were put in Soviet-type institutions,
on the grounds that the state would do a better job of
raising them. "The Romanian state gave them lodgings and
employment when they left the orphanage," Karnoouh recalls.
He has since witnessed the breakdown of family ties with the
advent of out- and-out capitalism, which he calls a more
violent social upheaval than the one imposed by the
communists in 1948." |
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11. Quand on demande aux Roumains quels sont leurs "motifs de
satisfaction", 56 % répondent "aucun". "Avant, je pouvais
allaiter sur mon lieu de travail, dans la crèche de mon
entreprise", se souvient Mme Dana Crisan, animatrice d’un
centre de soutien familial à Mediach. "Sur les dix crèches
gratuites de la ville, il n’en reste plus que deux, et
payantes. Pourquoi n’a-t-on pas préservé le meilleur de
l’ancien système ? se demande-t-elle. Quelles valeurs
allons-nous transmettre à nos enfants, autres que celles du
profit immédiat désormais à l’honneur ?" |
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11. A recent opinion poll asked Romanians what their "reasons
for satisfaction" were : 56% answered none. "I used to be
able to breastfeed in the crèche at my workplace," says Dana
Crisan, who runs a family support centre in Medias. "The
town had 10 free crèches. Now there are only two, and you
have to pay for them. Why didn’t we keep the best of the old
system ? What are we going to pass on our children apart
from looking for a fast buck ?" |
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12. En cette période de réforme chaotique du système de santé
(sur le modèle polonais, lui-même inspiré par la sécurité
sociale thatchérienne), le passé devient une valeur refuge.
Certains médecins, à l’hôpital de Mediach, en ont même
oublié les pénuries de l’ère Ceausescu. Le manque de
seringues, par exemple, qui eut pour conséquence la
transmission du virus VIH à des milliers d’enfants lors des
vaccinations. Stéthoscope au cou, ils observent
l’effondrement physique de leur société : futures mères
anémiées en nombre croissant, hausse des prématurés. A
l’amertume s’ajoute l’impuissance : "Nous sommes incapables
de sauver des nouveau-nés de moins de 1 kilo, constate le
docteur Elena Paul, responsable de la maternité. C’est la
sélection naturelle." |
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12. The health service is in the throes of chaotic reform on the
Polish model (inspired by Thatcher’s attack on British
social security). Many doctors at the Medias hospital look
back to the old system with growing nostalgia. They have
even forgotten the shortages of the Ceaucescu era, when
thousands of children were infected with the AIDS virus
through vaccination because of the lack of syringes. Faced
with mounting numbers of premature births and pregnant women
suffering from anaemia, they feel bitter and helpless.
"We’re unable to save new-born babies weighing less than a
kilo," says Dr Elena Paul, the head of the maternity unit.
Natural selection is having the last word." |
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13. Sélection doublée d’une autre, sociale. Un étage au-dessus,
c’est le service de pédiatrie. Huit bébés y contemplent
leurs mains, les yeux dans le vide, au "salon des
abandonnés". "Parfois, les mères nous les reprennent. Puis
elles les ramènent quand elles ont épuisé la dose de lait en
poudre qu’on leur a donnée, raconte Mme Paloma Doinea, chef
du service. Elles n’ont pas assez d’argent pour s’en
procurer..." |
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13. Natural selection, maybe. But social selection is also at
work. Upstairs in the paediatric ward, eight abandoned
babies gaze listlessly at their fingers. "Sometimes their
mothers come and get them, but they bring them back as soon
as they’ve used up the ration of milk powder we give them,"
Paloma Doinea, the head of the department, explains.
"They’ve no money to buy any more." |
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14. C’est bien là la cause des abandons. En Roumanie —tout
comme en Hongrie, en Bulgarie, en Tchéquie ou en
Slovaquie—, beaucoup d’enfants délaissés sont nés de
familles tsiganes, misérables. Mais pas tous, loin de là. Le
chômage, les bas salaires, l’absence de logement décent, le
prix élevé des contraceptifs, la multiplication des
grossesses adolescentes et l’habitude contractée sous
l’ancien régime de considérer l’État comme un parent de
substitution sont autant de raisons qui président à cette
séparation tragique. |
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14. Poverty is why babies are abandoned. In Romania —as in
Hungary, Bulgaria, the Czech Republic and Slovenia— many
abandoned children come from impoverished Gypsy families
— but by no means all of them. Unemployment, low pay, lack
of decent housing, high price of contraceptives, growing
number of teenage mothers, and the habit (acquired under the
old regime) of considering the state as a surrogate parent,
are all part of the tragedy. |
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15. Sous l’influence des ONG et des bailleurs de fonds, certains
"orphelinats " s’humanisent cependant. Ils dépêchent des
assistantes sociales pour rappeler aux familles leur devoir
de visite et pressent les parents de reprendre l’enfant
quand leur situation s’améliore. Malgré ces efforts, le
nombre des enfants de zéro à trois ans qui frappent chaque
année à la porte des institutions dépasse largement celui
des sortants : plus 45 % en dix ans, soit 10 000 par an.
Alors que la natalité s’est effondrée. Même phénomène dans
la plupart des pays voisins, sauf en Hongrie, où les
réformes ont été plus progressives. |
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15. Under pressure from NGOs and funding organisations, some
so-called orphanages are sending social workers to remind
families to visit their children and urge them to take them
back when things get better. But the number of under-fours
taken into care still far exceeds the number leaving
institutions. It has risen by 45% in 10 years, to 10,000 a
year , although the birthrate has fallen dramatically. The
same has happened in most of the neighbouring countries
except Hungary, where reforms have been more gradual. |
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16. Au total, dans les pays d’Europe centrale et orientale, un
million d’enfants ont l’État pour parent. Soit 500 000 de
plus qu’en 1989 ! "Si les conditions de vie s’aggravent
encore, le nombre d’enfants en institution ne fera que
croître", prévoit M. Cristian Tabacaru, ancien titulaire du
secrétariat d’État roumain à la protection de l’enfance
— dissous et remplacé par une Agence de protection de
l’enfance, imposée par l’Union européenne comme condition
d’accès à la table des négociations. L’enjeu : réunir sous
une même autorité les 147 000 enfants à la charge de l’État
(dont 30 000 en famille d’accueil), qui sont écartelés entre
différents ministères. |
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16. A million children in central and eastern Europe now have
the state as parent. That is half a million more than in
1989. "If living conditions go on getting worse, the number
of children in care is bound to increase," says Cristian
Tabacaru, formerly a state secretary in the Romanian child
protection department. His duties have been taken over by
the National Agency for Child Protection under a reform
imposed by the European Union as a condition for opening
accession negotiations with Romania. With responsibility
scattered among various ministries, the EU was anxious to
bring all 147,000 children in state care (including 30,000
placed in foster homes) under a single authority. |
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17. "Nous avons accompli un formidable effort", souligne M.
Tabacaru. Tardif cependant. Comme en Pologne —où le
Parlement s’est préoccupé cet hiver seulement de donner un
cadre juridique aux familles d’accueil—, le système de
protection de l’enfance n’a été réformé qu’en 1997, et de
façon incomplète. Le soutien à domicile reste embryonnaire,
la protection judiciaire de la jeunesse inexistante... Le
tout assorti d’une décentralisation —réclamée elle aussi
par l’Union européenne—, qui s’est traduite par une
véritable débâcle au sein des "camin spital", ces 33
hospices où 4 000 enfants handicapés végètent dans des
conditions pitoyables. |
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17. "We’ve made a tremendous effort," Tabacuru stresses. It is a
bit late though. As in Poland, where parliament created a
legal framework for foster families only last winter, reform
of the child protection system had to wait until 1997. And
there are still many gaps. Home support is embryonic and
legal protection for young people virtually non-existent.
Worse still, the decentralisation measures demanded by the
EU have produced total chaos in the country’s 33 hostels for
the handicapped, known as camin spital, where 4,000 children
have been left to rot in abominable conditions. |
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18. Tous les anciens pays du "bloc de l’Est" ont hérité de ces
établissements gigantesques pour 150 à 450 enfants
"défectueux", implantés loin des centres urbains. Ils
emploient chacun de cent à deux cents villageoises, isolées,
sans formation et sous-payées (600 000 lei, en Roumanie,
pour une aide soignante, soit 230 francs). Quand, en 1999,
la décentralisation a mis les communes rurales dans
l’impossibilité de financer ces mastodontes, ces femmes se
sont retrouvées, six mois durant, sans salaire. "Elles
venaient néanmoins travailler tous les jours", s’étonne Mme
Teodora Avram, la directrice du camin spital" de Gradinari.
En septembre, l’argent de l’Eurobingo (un loto télévisé),
l’aide de la France et de l’Union européenne ont permis de
regarnir les garde- manger et de payer les arriérés de
salaires. Jusqu’à la prochaine crise. |
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18. Hostels housing hundreds of handicapped children, usually
located well away from urban areas, are a standard feature
of all the former eastern bloc countries. In Romania, each
of them employs a couple of hundred untrained village women,
paid 600,000 lei a month (under $30). Last year’s
decentralisation left rural councils unable to fund these
huge institutions, and the women got no wages for six
months. "Surprisingly, they still came to work every day,"
says Dr Teodora Avram. She is the director of the camin
spital in Gradinari. In September, she received money from
the Eurobingo TV show and a little aid from France and the
EU, which allowed her to stock up on food and pay the wage
arrears —until the next crisis. |
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19. Fermer ces lieux de honte ? "Pas avant de créer des services
périphériques d’aide aux familles, et de reconvertir les
employées", affirme Mme Nora Godwin. Encore faudrait-il que
la Roumanie soit mieux gouvernée, que l’Union européenne
cesse de lui imposer des diktats versatiles, et que les ONG
fassent leur mea culpa à l’instar de M. Gérard Luçon,
responsable local de Handicap international : "Pendant dix
ans, dit-il, nous nous sommes laissés entraîner dans la
réparation des bâtiments, la fourniture de jouets, de
chaudières... Des sommes immenses ont été dépensées. Mais
nous n’avons pas veillé à la qualité du personnel." |
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19. Should these shameful places be closed down ? "Not until
family support services are in place and the camin spital
employees have been retrained," says Nora Godwin. But for
that to happen, Romania must be governed more efficiently
and the EU stop making conflicting demands. The NGOs must
also recognise their mistakes. Gérard Luçon, who runs the
local branch of Handicap International, admits that for 10
years his organisation was bogged down in building repairs
and the supply of toys, water heaters, and so on. Enormous
sums of money were spent. What we didn’t do was make sure
staff were properly qualified." |
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20. En cas de détresse, la Roumanie pourra toujours compter sur
ses amis étrangers. Ce n’est pas le cas de l’Ukraine. Sur
l’autre versant des Carpathes, les 132 enfants de l’internat
de Zaloutch vivent le même calvaire que ceux de Gradinari,
mais dans l’angoisse et la solitude d’un pays fermé sur
lui-même. |
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20. In an emergency, Romania can always rely on help from its
friends abroad. Ukraine cannot. On the other side of the
Carpathian mountains, the 132 children in the home at Zaluch
live in the same dreadful conditions as in Gradinari, but
their misery is made worse by the anguish and solitude of a
country closed in on itself. |
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21. Tantôt sans électricité, tantôt sans chauffage, l’"internat
pour enfants" vogue à la dérive au fond d’un grand domaine.
Des enfants grognent, d’autres dansent nus. Certains sont en
camisole, la plupart prostrés sous les draps. On les soulève
pour découvrir d’horribles malformations qui font penser aux
suites de la radioactivité post- Tchernobyl ", affirmait le
docteur Philippe Josué, en 1998, à l’issue d’une mission
exploratoire pour Médecins du monde. A quelques kilomètres
de là s’étend une zone contaminée de 30 kilomètres de rayon
où on cultive, fort tranquillement, pommes de terre et maïs. |
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21. Without electricity one day, heating the next, the "home for
children" stands abandoned on the edge of a dilapidated
country estate. Children are moaning, others dance around
naked. Some are in straitjackets, most are lying in bed.
"The staff lift them up to show their dreadful deformities
which resemble the effects of exposure to post- Chernobyl
radiation", as Dr Philippe Josué reported on a fact-finding
mission for Médecins du Monde in 1998. A few miles away, in
a contaminated zone 40 miles in diameter, potatoes and
sweetcorn are being grown without any regard for the
consequences. |
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22. En ces temps incertains, le personnel se réserve l’usage
exclusif des vingt cochons de la porcherie. Il entretient 20
hectares de blé, de pommes de terre et de betteraves, sans
engrais ni semences. Deux médecins sont partis en Italie
faire des ménages pour gagner leur vie. Leur successeur ne
dispose d’aucun antibiotique. Quand partira-t-il à son tour
? Les 80 infirmières et aides-soignantes, elles, sont
condamnées à rester en Ukraine pour un salaire de 105
hrivnas (126 francs) dont elles ne touchent, selon les mois,
que 5 francs à 50 francs, avec un complément sous forme de
vodka, bonbons, saucissons, ou beurre... |
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22. In these uncertain times, the staff keep the 20 pigs in the
sty for their own use. They also cultivate 50 acres of
wheat, potatoes and beetroot, without fertiliser or seed.
Two doctors have left for Italy to work as cleaners. Their
replacement has no antibiotics and is unlikely to stick it
out much longer. The 80 nurses and assistants have no choice
but to remain in Ukraine on an official salary of 105 hryvna
(under $20). In fact, they only get $1 to $10, plus some
vodka, sweets, sausages or butter. |
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23. "Après l’élection présidentielle du 31 octobre 1999, on nous
a dit qu’il ne faudrait plus compter ni sur les salaires ni
sur les rétributions en nature", rapporte Luba, une
infirmière. Depuis, les enfants n’ont plus à manger que des
patates et de l’huile. Et, dehors, la maison du jardinier
abrite chaque année au moins une vingtaine de petits corps.
Un tiers des enfants lourdement handicapés meurent avant
dix-huit ans, selon les statistiques nationales. |
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23. " After the
presidential election last October," says Luba, one of the
nurses, they told us we could no longer count on any wages
or payment in kind." Since then, the children have had
nothing to eat but potatoes and oil. And according to
official statistics, a third of all seriously handicapped
children die before the age of 18. |
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24. En Roumanie comme en Ukraine, des enfants sains se
retrouvent par erreur dans ces mouroirs. Le personnel de
Zaloutch a la fierté de nous présenter "les deux qui
parlent" : Stiopa, sept ans, qui exécute d’une voix
stridente un tube de Ricky Martin, et Micha, cinq ans, un si
joli bambin qu’on se demande ce qu’il fait là, dans cette
odeur fétide. "Oligophrénie, idiotie, papa et maman
alcooliques ! " s’écrient les blouses blanches. En Ukraine,
comme jadis en Union soviétique, il suffit d’être fils
d’alcoolique ou de criminel pour être a priori considéré
comme malade. |
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24. Both in Romania and in Ukraine, healthy children get in to
these death houses by mistake. The staff at Zaluch proudly
exhibit the "two who can talk" : Stiopa, 7, who belts out a
Ricky Martin number, and Misha, 5, such a pretty child you
wonder what he is doing in all this stench. "Mentally
deficient, retarded, both parents alcoholic," say the men in
white coats. In Ukraine, as formerly in the Soviet Union, it
is enough to be the child of an alcoholic or a criminal to
be labelled ill. |
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25. Des enfants anémiés, des directrices bien nourries qui ne
refusent pas les dessous- de- table : les orphelinats
d’Ukraine sentent la combine. Mais tous les Ukrainiens
survivent ainsi. Salaires fantômes, impôts détournés ou
inexistants : dans ce pays démonétisé, les services
périclitent. A l’hôpital, il faut apporter ses pansements,
son oreiller, sa seringue et ses médicaments, sans oublier
les 400 dollars du chirurgien. Hors des grandes villes, des
foules postées au bord des routes attendent en vain le
passage d’un bus. Et, les jours de marché, on voit autant de
voitures que de carrioles à cheval. |
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25. With their anaemic children and well-fed directors who are
happy to accept a bribe, the orphanages of the Ukraine stink
of corruption. But that is how all Ukrainians survive.
Phantom salaries are rife and tax evasion widespread. In a
country where the official currency has lost all value and
only the dollar counts, all services are at risk. Hospital
patients bring their own bandages, pillows, syringes and
medicines, as well as a $400 backhander for the surgeon.
Outside the big cities, crowds gather by the roadside,
waiting in vain for a bus. Yet on market days you see as
many cars as horse-drawn carts. |
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26. Mais, à la différence de la Roumanie, les manteaux sont
élégants et chauds, les chapeaux coquets, l’allure fière. La
"combine" profite encore à une majorité. Pour combien de
temps ? Sous son apparente douceur, Katya, quatorze ans, vit
la "transition" sans illusion. Elle habite Sniatyn, un gros
bourg à quelques kilomètres de Zaloutch. "Il y a beaucoup de
jeunes de mon âge qui boivent", ose-t-elle dire d’une voix
timide. Elle sait aussi que les plus grands "prennent de la
drogue parce qu’ils ne trouvent pas de travail", dans une
région où les églises (orthodoxes et grecques catholiques)
poussent comme des champignons sur la terre noire. "Les
seuls qui embauchent, ici, sont les fondations pour la
construction des églises. Et encore, ils payent plus souvent
en essence qu’en hrivnas." |
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26. In contrast to the clothing in Romania, overcoats are
fashionable and warm, hats stylish, and their owners look
far from downtrodden. Corruption still pays off for most
people, but for how much longer ? Katya Lavrentovich, a
soft-spoken 14-year-old, has no illusions about the
"transition". She lives in Snyatyn, a town a few miles from
Zaluch. Many people of my age drink," she says. "Older
teenagers take drugs because they can’t find work".
Meanwhile, Orthodox and Greek Catholic churches are
springing up like mushrooms. "The only people taking on
workers round here are the church-building foundations",
says Katya, and even they pay in petrol, not hryvna." |
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27. Certaines classes de son collège sont chauffées, d’autres
non. Au lycée, ils n’ont pas de chauffage du tout. Et les
parents ont repeint eux-mêmes les salles de classe. Ceux de
Katya, les Lavrentovitch, affichent une confiance au-dessus
de la moyenne. "Les mécontents sont ceux qui ne pensent qu’à
leur ventre et sont incapables de donner un sens à leur
vie", prétend Iana, sa mère. "Tous nos problèmes viennent de
la mafia, qui rêve d’une union entre l’Ukraine et la
Russie", affirme Nicolas, le père de Katya. Pourtant, ni lui
(ancien pompier en invalidité) ni elle (vétérinaire dans un
kolkhoze d’élevage de poulets) ne perçoivent officiellement
le moindre revenu. |
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27. In her school, some of the classrooms are heated, others
not. At the grammar school, there is no heating at all. The
parents have repainted the classrooms. Katya’s parents are
more confident than most. "People who complain are just
thinking about their stomachs," says her mother, Jana.
"They’re unable to give any meaning to their lives." Katya’s
father, Mykola, blames everything on the mafia, who dream of
a union between Ukraine and Russia". Yet neither parent is
officially receiving any income at all. Mykola is a former
fireman, now an invalid, and Jana is a veterinary surgeon in
a poultry kolkhoz (collective farm). |
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28. Mais Nicolas s’occupe d’un élevage "privé " de cent poules
pondeuses, tandis que Iana donne des consultations
vétérinaires au noir. Elle vend aussi sur le marché les
produits de leur élevage, ceux de leur petit terrain et
toutes les denrées qu’elle arrache au directeur du kolkhoze.
Au total, les Lavrentovitch et leur fille vivent mieux que
les Lörinkz. Ils possèdent une voiture, une cabane à la
campagne et partent chaque année en vacances au bord de la
mer Noire. |
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28. But Mykola has a "private" poultry pen with 100 laying hens,
and Jana moonlights as a local vet. She also sells eggs at
the market, plus the produce of their small plot and any
goods she can wring out of the kolkhoz manager. The
Lavrentoviches and their daughter are better off than the
Lörinkz family. They own a car and a hut in the country, and
go on holiday once a year to the Black Sea coast. |
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29. "D’ici que Katya ait fini ses études, les choses auront
peut-être changé", espère Iana. En attendant, la famille
économise les centaines de dollars nécessaires pour son
entrée à l’université d’Ivano-Frankivsk. Elle rêve d’être
journaliste, mais sa mère se récrie : "On ne connaît
personne dans cette faculté-là." Elle sera donc vétérinaire
ou bien médecin. "Un métier où l’on est plus souvent payé
que les autres", se console la jeune fille. Son père
l’engage à apprendre les langues étrangères ". Beaucoup
parmi les jeunes regardent vers l’Occident. Une aubaine pour
la mafia de la traite des blanches, qui recrute, comme en
Pologne, par le biais de petites annonces cherchant
"baby-sitter", "barmaid", ou "danseuse", avec des "papiers
en règle". |
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29. Jana hopes things will improve by the time Katya has
finished her studies. Meanwhile, the family is saving the
hundreds of dollars needed for her to get into the
university at Ivano- Frankivsk. Katya would like to be a
journalist, but her mother insists she becomes a vet or a
doctor because "we don’t know anybody in the journalism
faculty." Katya consoles herself with the thought that
"doctors have got more chance of being paid than most
others". Her father urges her to learn foreign languages",
like many young girls looking for work in the west. Many
fall foul of the mafia, which bases its traffic in women,
like in Poland, on recruiting victims through small ads for
"babysitters, barmaids and dancers with their papers in
order". |
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30. Loin des combines et des pots-de-vin, la petite école rurale
de Zbuvdvitchi, près de Sniatyn, attend avec angoisse le
retour des grands froids : l’école n’a pas assez de charbon.
Devant l’institutrice engoncée dans son manteau, les petits
visages fatigués se dressent pour accueillir le visiteur
d’un respectueux "dobri den !" (bonjour). Certains ont
parcouru, dès l’aube, 6 kilomètres à pied. "Autrefois, se
souvient le directeur Igor Volodamerovitch, il y avait un
bus de ramassage scolaire, mais les parents n’ont plus
d’argent pour le payer ni pour acheter les livres de classe
qu’on ne peut leur procurer d’occasion. Il y a quatre ans
encore, on avait les moyens d’offrir des repas à une
quinzaine d’enfants malnutris. Aujourd’hui, il y a toujours
des malnutris mais on n’a plus d’argent..." |
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30. Far away from the bribery and corruption, the little village
school at Zbuvdvichi, near Snyatyn, is running out of coal.
The winter frosts are a grim prospect. The teacher sits
huddled in her coat, as tired little faces look up to
welcome the visitor with a polite "Good morning !" Some of
them have got up at dawn to walk the four miles to school.
"There used to be a bus," says the headmaster, Igor
Volodamerovich, "but the parents can’t pay for it any more.
They’ve got no money for textbooks either, and we can’t
supply them second-hand any longer. Four years ago we used
to provide free meals for over a dozen under-fed children.
We’ve still got hungry children, but there’s no money for
food." |
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31. Ses grosses mains terreuses racontent d’elles-mêmes son
complément de salaire. Les institutrices ne perçoivent même
plus leurs 130 à 150 hrivnas (180 francs) de salaire. Elles
sont là, mais la motivation n’est pas la même ", reconnaît
le directeur. |
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31. His large, earth-stained hands show how he supplements his
own salary. The teachers no longer receive even their
monthly salaries of 130 to 150 hryvna (about $25). They
still come to work but they lack motivation. |
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32. Anesthésiée, l’Ukraine dort encore d’un sommeil soviétique.
Que se passera-t-il quand elle s’éveillera ? La Pologne,
voisine, attend ce moment avec inquiétude. Elle s’estime
déjà européenne et d’autres la regardent avec envie. La
"combine", pourtant, s’y pratique à grande échelle. Il y a
dix ans, les premiers kiosques de revendeurs à la sauvette
s’étalaient aux pieds du Palais de la culture, au coeur de
Varsovie. Désormais, cet affairisme fiévreux a gagné toutes
les institutions s’occupant de l’enfance. Les maternelles se
sont privatisées, des centaines d’écoles privées ont vu le
jour (300 lycées, pour la seule année 1999), et les
directeurs d’école et d’internat passent le plus clair de
leur temps dans une course au sponsor destinée à pallier les
faiblesses du budget. |
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32. Ukraine is still drowsy from the Soviet anaesthetic. What
will happens when it wakes up ? The prospect worries
neighbouring Poland, which already considers itself part of
Europe. Many eastern European countries are jealous of its
success. Nevertheless, fiddling is rife and the underground
economy is on a grand scale. It is now 10 years since the
first street hawkers set up in central Warsaw, right outside
the Palace of Culture. Since then, all child-care
institutions have fallen prey to business mania. Nurseries
have been privatised, hundreds of private schools have
sprung up (300 grammar schools in 1999 alone), and
headteachers spend most of their time chasing after sponsors
to make good their budget deficits. |
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33. "Je loue mes murs à une agence de pub", se vante Mme Jolanta
Drobot, la pimpante directrice de l’école Stefan-Sterzynski,
dans le quartier de Praga. Elle loue aussi ses salles de
cours à des écoles privées de danse, de sport, et sa cantine
aux... Témoins de Jéhovah, qui comptent une trentaine
d’adeptes parmi les 700 élèves (ils ont repeint les murs).
Les parents sont priés de contribuer aux frais d’entretien
de la photocopieuse couleur mais aussi à une "fondation",
qui a permis à la directrice d’acquérir une dizaine
d’ordinateurs et d’offrir une prime aux enseignants
"leaders", déjà gratifiés —par la municipalité— d’un
supplément de salaire de 30%. |
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33. "I’ve let the walls to an advertising agency," boasts
Jolanta Drobot, the smartly dressed head of the Stefan
Sterzynski school in Warsaw’s Praga district. She also hires
out classrooms for private dance and sports classes. The
school canteen is rented to Jehovah’s Witnesses, who have 30
or so followers among the 700 pupils and have given it a new
coat of paint. Parents are asked to contribute to the
maintenance costs of the colour photocopier, as well as to a
"foundation" that has enabled the head to acquire a dozen
computers and pay a bonus to "leading" teachers, who have
already been awarded a 30% supplement by the local
authority. |
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34. Ces avantages s’inscrivent dans le cadre d’une réforme qui
vise à trier les "bons" des "mauvais" enseignants. Lancée à
la rentrée 1999, elle a été mise au point par Solidarnosc,
dont la branche politique sert de pierre angulaire à la
coalition conservatrice au pouvoir. "Tous ceux qui ne
trouvent pas à s’embaucher ailleurs finissent dans
l’enseignement, le métier le moins bien payé, explique M.
Josef Niemiec, vice-président de Solidarnosc. Il faut sortir
de cette logique et mieux préparer l’enfant au marché du
travail, avec une éducation plus générale, de type lycée,
qui développe sa mobilité, son esprit de compétition." |
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34. These benefits are part of a reform that began last
September at the start of the new school year, with the aim
of separating "good" teachers from "bad". It is the
brainchild of Solidarity, whose political wing is the
cornerstone of the ruling conservative coalition. "People
who can’t get a job anywhere else end up in teaching, the
worst-paid profession," says Jozef Niemiec, a top Solidarity
official. We have to break this vicious circle and prepare
children better for the labour market. They need a broader
grammar-school education that teaches them to be more mobile
and competitive. |
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35. Bucarest s’inspire du modèle polonais avec une sorte de
ferveur missionnaire dans un pays où l’affairisme reste
l’apanage des "gros". L’école n° 150 de Bucarest (proche de
la présidence) demande aux parents jusqu’à 600 000 lei (230
francs) de contribution annuelle. L’équivalent d’un salaire
modeste. En Roumanie, comme en Pologne, où le financement
est également décentralisé, la pratique du parrainage
accentue les inégalités. "La réforme profite d’abord aux
couches supérieures de la population", estime le sociologue
Kazimierz Frieske, spécialiste de la pauvreté et...
fondateur, à Varsovie, d’une université privée de droit et
de management. "Le gouvernement compte sur cette réforme
pour développer l’’employabilité’ des jeunes, mais moi, je
n’y crois pas." |
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35. Romania is following avidly in Poland’s footsteps. School
number 150 in Bucharest, located near the presidential
palace, requires parents to pay an annual contribution of up
to 600,000 lei (just under $30), the equivalent of a modest
monthly salary. As in Poland, where funding is also
decentralised, the inequalities in the Romanian education
system are compounded by sponsoring. "The reform mainly
benefits the upper social strata," says Kazimierz Frieske,
an expert on poverty and founder of a private university in
Warsaw teaching law and business studies. "The government’s
counting on this reform to make young people more
employable. I doubt it will." |
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36. Sur les deux millions de Polonais qui vivent dans une
pauvreté extrême, la moitié n’a pas dix-neuf ans. "Le
gouvernement dépense juste assez pour éviter la révolte et
la famine, pas assez pour ramener les exclus sur le marché
du travail", constate le professeur Frieske. Hors plan
social, l’indemnité chômage s’établit autour de 400 zlotys
(640 francs) par mois, pendant un an, quel que soit le
salaire antérieur, alors que les prix sont calqués sur le
deutschemark. |
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36. Half of the 2m Poles living in extreme poverty are under 19.
"The government’s spending just enough to avoid revolt and
starvation, but not enough to get the excluded back on the
labour market," says Professor Frieske. Unemployment benefit
is around 400 zloty ($90) a month for one year, irrespective
of previous salary, but prices are at German levels. |
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37. Invisible à Varsovie ou à Gdansk, la pauvreté se concentre
dans des poches, autour des anciens kolkhozes, ou dans les
villes moyennes, frappées par la restructuration. Une partie
des exclus - de 10 % à 15 % de la population - passe l’hiver
aux portes de la capitale, dans le quartier excentrique de
Bialolenka. Là, 2 000 à 3 000 sans-abri ont trouvé refuge
dans des foyers financés par quelques sponsors mais surtout
l’État et la municipalité, riche de ses investisseurs
étrangers, comme Coca-Cola, L’Oréal, Auchan, Daewoo... |
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37. There is not much sign of poverty in Warsaw or Gdansk. It is
concentrated in pockets around the former state farms and in
middle-size towns badly affected by restructuring. The
excluded make up 10% to 15% of the population. In
Bialolenka, on the outskirts of Warsaw, 2,000 to 3,000
homeless people shelter in hostels funded partly by private
sponsors. But the bulk of the money comes from the local
authority, whose coffers have been filled by capital
investment from Coca Cola, L’Oréal, Auchan, Daewoo and other
foreign companies. |
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38. La Pologne, qui caracole dans le peloton de tête des
candidats à l’Union, ne connaît pas le phénomène "enfants
des rues". Mais le stress que vivent les parents, la
violence cachée, l’alcoolisme ont conduit, en 1998, quelque
8 500 enfants et adolescents (de sept à dix-sept ans) à fuir
leurs parents. Tous ont été retrouvés par une police plus
active qu’en Roumanie et confiés à des foyers ou rendus à
leur famille. "C’est un signal que lancent les enfants afin
qu’on s’occupe d’eux, estime la commissaire Alicja
Tomaszewska, spécialiste des disparitions . Autrefois, les
parents avaient du temps pour leurs enfants. Maintenant, ils
courent après l’argent." |
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38. Poland, a front runner for EU membership, has no children
living on the streets. But just in 1998, parental stress,
domestic violence and alcoholism made 8,500 youngsters aged
7 to 17 run away from home. The police, more active than in
Romania, eventually found them all. They have been put in
children’s homes or returned to their families. "These
children are crying out for help," says police commissioner
Alicja Tomaszewska, a specialist in missing persons.
"Parents used to have time for their kids. Now they’re too
busy trying to make money." |
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39. Explosion du suicide, de la délinquance juvénile, des abus
sexuels et de la maltraitance : la Pologne se "normalise"
— tout comme la République tchèque et la Hongrie— et
découvre les fléaux de la société de consommation. En même
temps qu’elle se réjouit de voir les enfants "plus ouverts
et plus exigeants aussi", Mme Alicja Ziarnik, conseillère
pédagogique de l’école Stefan-Sterzynski, à Varsovie, exhibe
un pistolet à billes et un sachet de marijuana, récemment
confisqués. "Je m’arrange avec la police pour qu’il n’y ait
pas de dealers autour de l’école", affirme-t-elle. |
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39. There has been a dramatic increase in suicide, juvenile
delinquency, sexual abuse and violence against children.
Like the Czech Republic and Hungary, Poland is becoming a
"normal" country. It is discovering the blessings of the
consumer society. Alicja Ziarnik, educational adviser at the
Stefan Sterzynski school, is pleased that Polish children
are more open and assertive. But she sadly produces a
confiscated ball-bearing pistol and a bag of marijuana : "I
arrange things with the police to make sure there aren’t any
dealers hanging round the school." |
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40. Y parvient-elle vraiment ? Une étude menée par l’Institut de
psychiatrie auprès de 10 000 élèves de la capitale a révélé
que 15 % des quinze-seize ans et 30 % des dix-huit ans
avaient déjà "essayé" la drogue (de la marijuana
essentiellement, mais aussi des amphétamines et de
l’ecstasy). Casquettes, jeans et téléphones portables : à
Gdansk et Varsovie, la jeunesse polonaise est entrée de
plain-pied dans l’ère consumériste. "Nous n’avons pas su
voir que le capitalisme avait aussi ses mauvais côtés",
reconnaît le professeur Frieske. Courte épitaphe pour une
enfance sacrifiée... |
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40. Can she really make sure ? The Institute of Psychiatry
recently conducted a study of 10,000 schoolchildren in the
Warsaw area. It showed that 15% of all pupils aged 15 to 16,
and 30% of all 18-year-olds, have already tried drugs
— mainly marijuana, but also amphetamines and ecstasy. With
their baseball caps, jeans and mobile phones, the youngsters
of Gdansk and Warsaw have jumped firmly into the consumer
age. "We failed to see that capitalism has its downside,"
Professor Frieske admits. Not much consolation for the
children sacrificed in the process. |
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