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Aux sources de la dispute franco-américaine


A short history of Franco-US discord

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Le Monde Diplomatique – mars 2003 – pages 18-19

1.

Le Monde diplomatique - March 2003

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CRISE MONDIALE AUTOUR DE L’IRAK

2.

GLOBAL CRISIS OVER IRAQ

3.

Aux sources de la dispute franco-américaine

3.

A short history of Franco-US discord

4.

Du refus des missiles américains sur le territoire français au retrait des commandements intégrés de l’OTAN en passant par la reconnaissance de la Chine et le discours de Phnom Penh... la France n’en est pas à son premier affrontement avec les Etats-Unis. L’enjeu en est toujours l’ordre international.

4.

The current frost between France and the United States is not new. They have often disagreed over the past 45 years : France refused to allow US missiles stationed on its soil, withdrew from Nato’s command structure, and recognised communist China even though it horrified the US.

5.

Par PAUL-MARIE DE LA GORCE

5.

By PAUL-MARIE DE LA GORCE (Translated by Harry Forster)

6.

La crise irakienne a décidément creusé, entre les Etats-Unis et la France, un fossé qu’il sera difficile d’oublier sinon de combler. Ouvre- t-elle une nouvelle phase de divergences franco-américaines ? Pour en mesurer la portée éventuelle, il faut la situer dans le prolongement de celles qui se sont succédé, différentes et même contrastées, depuis les débuts de la Ve République.

6.

THE Iraq crisis has undoubtedly opened a rift between the United States and France that will be hard to forget, let alone bridge. But does it mark the start of a new phase in Franco-American discord ? To measure the significance of recent events we need to see them in the context of the disagreements that have marred relations between the countries since the late 1950s.

7.

En 1958, lors de son retour au pouvoir, le général de Gaulle analyse l’état du monde et ce que la France doit en déduire. L’Union soviétique, à ses yeux, ne veut plus - et peut-être ne peut plus - étendre son empire vers l’ouest de l’Europe et doit, de surcroît, faire face à la rivalité de la Chine, de sorte que, écrit-il, « si on ne fait pas la guerre, il faut, tôt ou tard, faire la paix » . La parité nucléaire entre les deux plus grandes puissances leur interdit de s’affronter directement avec leurs armes atomiques, mais, du même coup, la protection de l’Europe ne peut plus être assurée par l’arsenal nucléaire américain. Il en conclut que la France doit retrouver sa liberté d’action en se dégageant de l’intégration militaire atlantique, établir avec l’Union soviétique et la Chine des relations nouvelles visant à « la détente, l’entente et la coopération » avec les pays du « bloc de l’Est » et se doter de ses propres moyens de dissuasion nucléaire.

7.

In 1958, when General de Gaulle returned to power, he already had a firmly established worldview and a clear idea of how France should respond. He was convinced the Soviet Union no longer wanted, and perhaps was no longer able, to extend its empire into western Europe. And the USSR had to cope with the rivalry of China. As he wrote : “If you no longer make war, sooner or later you must make peace.” The balance of nuclear terror between the two great powers ruled out direct confrontation with nuclear weapons. But this also meant that the US nuclear arsenal could not be relied upon to defend Europe. De Gaulle concluded that France must regain its freedom of action by withdrawing from Nato. And it should establish new relations with the USSR and China to achieve better understanding and cooperation with eastern bloc countries. It must acquire its own nuclear deterrent.

8.

Cette analyse et cette politique devaient conduire à de profondes divergences avec les Etats-Unis, comme on le vérifia dès la rencontre, le 5 juillet 1958, entre le général de Gaulle et le secrétaire d’Etat américain John Foster Dulles. Celui-ci fit de l’état du monde une description entièrement dominée par la menace que l’Union soviétique ferait peser, à son avis, sur l’Europe comme sur le Proche-Orient, l’Afrique et l’Asie. Et de préconiser, pour y faire face, un renforcement politique et militaire de l’Alliance atlantique ainsi qu’un système de défense régionale à l’aide de missiles à portée intermédiaire et d’armes atomiques tactiques américaines, que les pays européens devaient accepter sur leur territoire.

8.

His analysis and the policies it inspired resulted in profound disagreement with the US. This became immediately apparent, in July 1958, when De Gaulle met the then US secretary of state, John Foster Dulles. The Soviet threat to Europe, the Middle East, Africa and Asia was central to the US perception of the world. To counter it Dulles recommended bolstering Nato’s political and military strength and setting up a regional defence system based on medium-range missiles and US tactical nuclear weapons stationed in Europe.

9.

Point par point, le général de Gaulle soutint les thèses exactement contraires. Il jugea la politique de l’Union soviétique avant tout nationale ou nationaliste, se servant seulement du communisme - dit-il carrément à son interlocuteur - « comme vous vous servez du Congrès » . Il annonça que la France n’accepterait d’armes nucléaires américaines sur son sol qu’à condition d’en disposer complètement (ce que les Etats-Unis ne voulaient naturellement pas), suggéra que la parité nucléaire paralyserait désormais les deux plus grandes puissances l’une vis-à-vis de l’autre, et avertit que la France allait construire son propre armement atomique. Après quoi, quand il fut question de la crise survenue au Liban, où un corps expéditionnaire américain allait bientôt débarquer, il demanda que l’on travaillât à renforcer l’indépendance des Etats de la région plutôt que de faire du Proche-Orient un nouveau champ de bataille de la guerre froide.

9.

De Gaulle rejected each point. He argued that Soviet policy was primarily national or nationalist. It used communism just as a pretext, “much as you use Congress”, he told Dulles. France would not allow US nuclear weapons to be based on its territory unless it had complete control over them (which the US did not want). He suggested that the balance of nuclear deterrence would inhibit the great powers’ dealings with one another and warned that France was planning to build its own nuclear weapons. When discussions turned to the crisis in Lebanon, where a US expeditionary force would soon land, he called for a drive to reinforce the independence of Middle Eastern countries rather than turning the area into another cold war battleground.

10.

Bien que la politique française fût alors entraînée par la poursuite de la guerre d’Algérie, les premières décisions prises par le général de Gaulle indiquèrent dans quel sens elle s’engageait, en particulier avec le refus de tout déploiement en France des missiles à moyenne portée. Le président de la République engagea pourtant une correspondance avec le président américain, Dwight D. Eisenhower, l’accompagnant d’un mémorandum qui proposait une concertation permanente entre les Etats-Unis, l’Angleterre et la France sur tous les problèmes internationaux, y compris les affaires nucléaires. Mais il n’entretenait aucune illusion sur les réponses américaines - « Ils ne l’accepteront pas » , dit-il au général Gelée, chargé de porter le mémorandum à Washington - et c’est, en effet, ce qui arriva.

10.

Although the ongoing war in Algeria dominated French politics, De Gaulle’s first decisions as president gave an indication of the future, notably with France’s refusal to allow medium-range missiles to be deployed there. De Gaulle started corresponding with US President Dwight Eisenhower. He attached a memorandum advocating permanent consultation between the US, Britain and France, addressing all international affairs, including nuclear questions. He had few illusions as to the US response : “They will not accept it,” he told General Gelée, his emissary to Washington, and he was quite right.

11.

Ni ses bonnes relations avec le président américain, qui appréciait sa décision de reconnaître le droit des Algériens à l’autodétermination et sa fermeté dans la crise de Berlin (1958), ni son soutien à la réaction du président John Fitzgerald Kennedy face au déploiement, en 1962, des missiles soviétiques sur le sol cubain (bien qu’il ait décidé dès son retour au pouvoir que la France ne participerait en aucun cas à l’embargo américain sur les échanges avec Cuba) ne le détournèrent de l’aboutissement ultime et logique de sa politique : le retrait de la France de l’organisation militaire atlantique et de ses commandements intégrés. Ce fut fait le 7 mars 1966.

11.

De Gaulle got on well with President Jack Kennedy, who welcomed his decision to recognise Algeria’s right to self-determination and his firmness in the Berlin crisis (1958-62). Kennedy was also glad of De Gaulle’s support during the Cuban missile crisis in 1963 (though De Gaulle had decided in 1958 that France would have no part in the US blockade of Cuba). But these good relations did not distract him from his ultimate goal : France’s withdrawal from Nato and its integrated command structure. This was finally achieved in March 1966.

12.

A partir de là, la politique française se déploya sur tous les terrains. La coopération avec les pays du « tiers-monde » en fut un exemple : en rupture avec les pratiques des grandes compagnies anglo-saxonnes, on établit avec l’Algérie, l’Iran puis l’Irak des rapports de type nouveau entre un pays industriel avancé et des pays producteurs relativement sous-développés à tous les stades de la production et de la commercialisation. Au Laos et au Cambodge, on soutint les gouvernements soucieux de défendre leur indépendance et leur neutralité contre les Etats-Unis, qui voulaient, eux, en faire leurs alliés face au Nord-Vietnam et aux premiers maquis sud-vietnamiens.

12.

The change in French policy was immediate and particularly apparent in cooperation with third world countries. Breaking with the practice of large British and US companies, a new type of relationship was established with Algeria, Iran and subsequently Iraq. This was the first time that links between an advanced industrial nation and relatively underdeveloped countries had concerned every aspect of production and trade. In Laos and Cambodia France supported governments keen to defend their independence and neutrality towards the US, which wanted to enrol them as allies in its war against North Vietnam and the emerging Vietcong threat in the south of Vietnam.

13.

L’établissement de relations diplomatiques entre la Chine et la France (1964), que le général de Gaulle avait voulu dès son retour au pouvoir, fut, à terme, l’épisode le plus important de cette politique, en tout cas celui qui provoqua les réactions les plus véhémentes du gouvernement américain. Mais c’est la guerre du Vietnam qui lui donna toute sa dimension. Jamais n’apparut davantage le contraste entre la conception des Etats-Unis, pour qui il s’agissait d’un front essentiel du conflit Est-Ouest, et celle de la France qui, condamnait cette guerre et ne voyait la possibilité de construire une issue que par le dialogue et l’accord avec les « forces réelles » , qualifiées de « résistance nationale » , quel que fût le régime qui en résulterait dans l’immédiat (discours de Phnom Penh, 1965).

13.

The establishment of diplomatic relations with China in 1964, one of De Gaulle’s original object ives, was ultimately the most important move and certainly the one that prompted the most outspoken reactions by the US. The war in Vietnam underlined the profound disagreement between France and the US, which was convinced it was a vital part of the East-West divide. De Gaulle condemned the war, maintaining that the only way out of it was through dialogue and an agreement with the “real political forces”, which he referred to as the “national resistance movement”, regardless of the regime that initially took power.

14.

Cette politique allait se déployer jusqu’en Amérique latine, où le général de Gaulle se rendit pour proclamer spectaculairement que le rejet de l’hégémonie nord-américaine ne devait pas impliquer de recours au camp de l’Est et que, là comme ailleurs, s’offrait le modèle de l’indépendance. Cette démarche trouva son point d’application dramatique à Saint-Domingue (1965), où la France réagit publiquement et avec vigueur quand le président Lyndon B. Johnson voulut rétablir une dictature militaire en y faisant déployer un corps expéditionnaire. Dans cette optique, le « Vive le Québec libre ! » (1967) lancé par de Gaulle au Canada apparut, lui aussi, comme un défi à l’hégémonie anglo-saxonne en Amérique.

14.

He adopted the same approach in Latin America, travelling there to proclaim that rejecting US hegemony did not necessarily imply support for and from the Soviet bloc. Here again independ ence was possible. The Dominican Republic offered a dramatic illustration of this, with France publicly condemning President Lyndon Johnson’s dispatch of an expeditionary force to restore the military dictatorship in 1965. De Gaulle’s support for French Canadians in 1967, and his celebrated cry of “Vive le Québec libre !”, seemed to be a further challenge to Anglo-Saxon domination in North America.

15.

Et quand, après avoir longtemps équilibré ses relations chaleureuses avec David Ben Gourion et ses mises en garde contre tout ce qui pouvait blesser les sentiments des peuples arabes et la conciliation de leurs droits avec ceux d’Israël, il condamna l’attaque israélienne du 6 juin 1967, il se heurta une fois de plus sur ce terrain aux positions américaines.

15.

In the Middle East, he managed to strike a balance between excellent relations with the Israeli leader, David Ben Gurion, and warnings against measures that might hurt the feelings of the Arab population and get in the way of reconciling their rights with those of the Israelis. But his denunciation of the Six Day War in 1967 prompted another clash with the US administration.

16.

Enfin, sa dure critique du système monétaire international - qui conférait au dollar un statut de monnaie de réserve et donnait un formidable moyen d’action aux Etats-Unis en les dispensant de toutes les règles habituelles de gestion de leurs déficits - suscita en Amérique un si profond retentissement qu’une campagne journalistique, agressive mais humoristique, le compara à Goldfinger, ce personnage des aventures de James Bond qui voulait dévaliser l’or de la Banque fédérale de Fort Knox !

16.

De Gaulle was openly critical of the international monetary system, which made the dollar a reserve currency and gave the US considerable power, not least because it could ignore the usual rules on budget deficits. His widely reported attitude triggered a sharp response in the US press, which compared him to Goldfinger, the James Bond villain who attempted to rob Fort Knox.

17.

Les changements du contexte international devaient nécessairement peser sur le cours ultérieur de cette politique. Un premier tournant intervint, en 1981, sous le choc des tensions dramatiques de l’ultime phase de la guerre froide. François Mitterrand y contribua : deux mois après son élection commença à Ottawa la série des « sommets » des pays les plus riches, traitant de tous les problèmes politiques, économiques et stratégiques, et institutionnalisant le « bloc » dirigé par les Etats-Unis. Un second tournant, en 1991, survint après la dislocation de l’Union soviétique. Loin d’être l’occasion d’une mise en question d’un système atlantique entièrement dominé par la prépondérance américaine, ce fut le point de départ d’une extension des compétences de l’OTAN hors de l’aire couverte par le traité qui l’avait fondée et, bientôt, d’un élargissement de l’Alliance elle-même.

17.

Subsequent changes in the international context inevitably affected the course of Gaullist policy. The first major turning point came in 1981 when François Mitterrand won the French presidential election, a change of political direction that coincided with the final phase of the cold war. Two months later the Group of Seven summit meeting in Ottawa, which convened to discuss political, economic and strategic issues, was a further step towards turning the US-led bloc into an institution. There was a second upset in 1991 with the break-up of the Soviet Union. This could have been an opportunity to question the relevance of Nato and the dominant role played by the US ; instead it became an excuse to extend the alliance’s responsibilities and ultimately enlarge its membership.

18.

La France s’y prêta. François Mitterrand n’ayant pas convaincu les autres Etats d’Europe de former un système de défense européenne hors de l’OTAN, M. Jacques Chirac, pour le faire accepter, consentit à ce qu’il s’insère dans l’organisation militaire atlantique. Mais l’accord conclu à Berlin, en juin 1996, stipula que l’emploi des forces européennes dépendrait du consentement, du suivi et des infrastructures du commandement atlantique, c’est-à-dire des Etats-Unis. La déclaration franco-allemande du 9 décembre 1996 proclama solennellement le caractère permanent et intouchable des liens transatlantiques.

18.

France went along with this trend. Mitterrand failed to convince the other European Union members that they should form a European defence system, separate from Nato. To gain acceptance for the idea, his successor, Jacques Chirac, agreed to it being integrated in Nato. The agreement reached in Berlin in June 1996 stipulated that use of European forces would require Nato, in other words US, consent, and would be dependent on Nato infrastructures. The Franco-German declaration of December 1996 emphasised that the transatlantic ties were permanent and untouchable.

19.

Et, après le retour de la France au conseil des ministres de la défense de l’Alliance et à son comité militaire, le président Chirac proposa qu’elle revienne aussi dans les commandements intégrés - à condition que celui du flanc « sud » soit attribué à l’un des pays européens riverains de la Méditerranée, ce que les Etats-Unis refusèrent.

19.

When France rejoined the council of Nato defence ministers and its military committee, Chirac suggested that it should also be represented in the integrated command structure. But he added that this should be conditional on responsibility for Nato’s southern flank being given to one of the European nations bordering the Mediterranean. The US naturally refused.

20.

S’ajouta l’expérience yougoslave. Les moyens limités, mais surtout les divergences et arrière-pensées des Européens conduisirent à faire appel à l’organisation militaire atlantique, dont les Nations unies décidèrent bientôt qu’elle serait désormais leur « bras armé » . Et la guerre du Kosovo mena cette évolution jusqu’à son terme : les Etats-Unis décidèrent, cette fois, de se passer de l’ONU et que l’OTAN, avec ses forces intégrées, y compris françaises, serait l’instrument exclusif de leur action.

20.

Meanwhile the war in Yugoslavia had highlighted Europe’s military weakness and the discord among its members. They had no choice but to appeal to Nato for help. Following suit, the UN decided Nato should act as its armed representative. The war in Kosovo completed this process. The US decided to do without the UN altogether, opting to make exclusive use of Nato, with its integrated forces, including the French.

21.

La logique des choix faits par les dirigeants américains après la fin de la guerre froide les a conduits à étendre l’aire où l’organisation atlantique doit agir, et à élargir l’Alliance à des Etats de l’est de l’Europe qui ne voient leur sécurité que dans la protection américaine. La France s’y est prêtée, avant d’en mesurer les conséquences à l’occasion des événements du Proche-Orient et de ses divergences avec les Etats-Unis sur ce terrain. Dès lors, rien ne pouvait éviter une crise, résultat de choix trop longtemps consentis et amorce, peut-être, d’un nouveau cours de ses relations transatlantiques.

21.

The decisions taken by US leaders since the end of the cold war have extended Nato’s sphere of influence and the area in which it may intervene. It has been enlarged to include former eastern bloc countries, fearful that only the US can guarantee their safety. France went along with this, until events in the Middle East and its divergence with the US brought home the full impact of these changes. After giving in on so many issues a crisis was inevitable, perhaps marking the start of a new phase in transatlantic relations.

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