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Ignacio Ramonet, Mensonges d’Etat


State-sponsored lies

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1.

Le Monde Diplomatique – juillet 2003 – pages 1et 7

1.

Le Monde diplomatique - July 2003

2.

Mensonges d’Etat

2.

State-sponsored lies

3.

Par IGNACIO RAMONET

3.

By IGNACIO RAMONET (Translated by Ed Emery)

4.

« Je préférerais mourir plutôt que proférer une inexactitude. » GEORGE WASHINGTON.

4.

“I cannot tell a lie” - George Washington

5.

C’est l’histoire du voleur qui crie : « Au voleur ! » Comment pensez-vous que M. George W. Bush intitula le célèbre rapport d’accusation contre M. Saddam Hussein qu’il présenta le 12 septembre 2002 devant le Conseil de sécurité de l’ONU ? « Une décennie de mensonges et de défis » (voir document ). Et qu’y affirmait-il en égrenant des « preuves » ? Un chapelet de mensonges ! L’Irak, disait-il en substance, entretient des liens étroits avec le réseau terroriste Al-Qaida et menace la sécurité des Etats-Unis parce qu’il possède des « armes de destruction massive » (ADM) - une expression terrifiante forgée par ses conseillers en communication.

5.

IT’S LIKE the story of the thief who yelled “Stop, thief !” The dossier against Saddam Hussein that President George Bush presented to the UN General Assembly on 12 September 2002 was called A Decade of Lies and Deceit. And what did he offer for proof ? Lies. He claimed that Iraq had close links with the al-Qaida network and was a threat to the security of the United States because it had “weapons of mass destruction” (WMD) - a scary phrase invented by his media advisers.

6.

Trois mois après la victoire des forces américaines (et de leurs supplétifs britanniques) en Mésopotamie, nous savons que ces affirmations, dont nous avions mis en doute le bien-fondé, étaient fausses. Il est de plus en plus évident que l’administration américaine a manipulé les renseignements sur les ADM. L’équipe de 1 400 inspecteurs de l’Iraq Survey Group que dirige le général Dayton n’a toujours pas trouvé l’ombre du début d’une preuve. Et nous commençons à découvrir que, au moment même où M. Bush lançait de telles accusations, il avait déjà reçu des rapports de ses services d’intelligence démontrant que tout cela était faux. Selon Mme Jane Harman, représentante démocrate de Californie, nous serions en présence de « la plus grande manoeuvre d’intoxication de tous les temps ». Pour la première fois de son histoire, l’Amérique s’interroge sur les vraies raisons d’une guerre, alors que le conflit est terminé...

6.

Three months after the victory of the US forces and their British auxiliaries in Mesopotamia we now know that these claims, widely challenged at the time, were indeed false. It is obvious that the US administration manipulated intelligence about the WMD. The 1,400-strong inspection team of the Iraq Survey Group under General Dayton has still not found any evidence. And now we are told that at the moment when Bush made these charges, he already had reports from his security services proving them false. According to Jane Harman, a Democratic congresswoman from California, we have been the victims of the “biggest cover-up manoeuvre of all time”. For the first time in history the US public is asking questions about the reasons for a war, although only now that it is over.

7.

Dans cette gigantesque manipulation, une officine secrète au sein du Pentagone, le Bureau des plans spéciaux (Office of Special Plans, OSP) a joué un rôle venimeux. Révélé par M. Seymour M. Hersh, dans un article publié par le New Yorker, le 6 mai 2003, l’OSP a été créé après le 11 septembre 2001 par M. Paul Wolfowitz, le numéro deux du département de la défense. Dirigé par un « faucon » convaincu, M. Abram Shulsky, ce Bureau a pour mission de trier les données recueillies par les différentes agences de renseignement (CIA, DIA, NSA), afin d’établir des synthèses et les remettre au gouvernement. Se fondant sur des témoignages d’exilés proches du Congrès national irakien (organisation financée par le Pentagone) et de son président, le très contestable Ahmed Chalabi, l’OSP a énormément gonflé la menace des armes de destruction massive ainsi que les liens entre M. Saddam Hussein et Al-Qaida.

7.

A secret department at the heart of the Pentagon, the Office of Special Plans (OSP), played a part in this mass deception. As revealed by veteran journalist Seymour M Hersh in the New Yorker, the OSP was set up by Paul Wolfowitz, number two at the Defence Department, and led by a noted hawk, Abram Shulsky. OSP’s job is to analyse data received from the security services and to produce summaries to be passed to the government. Relying on statements by Iraqi exiles close to the Iraqi National Congress (an organisation that was financed by the Pentagon) and its president, Ahmad Chalabi, the OSP apparently over-inflated the threat of the WMD and the links between Saddam Hussein and al-Qaida.

8.

Scandalisé par ces manipulations, et s’exprimant sous le nom de Veteran Intelligence Professionals for Sanity, un groupe anonyme d’anciens experts de la CIA et du département d’Etat a affirmé le 29 mai , dans un mémorandum adressé au président Bush, que dans le passé des renseignements avaient « déjà été faussés pour des raisons politiques, mais jamais de façon aussi systématique pour tromper nos représentants élus afin d’autoriser une guerre » .

8.

[Paragraphe non traduit]

9.

M. Colin Powell a été lui-même manipulé. Et joue désormais son avenir politique. Il aurait résisté aux pressions de la Maison Blanche et du Pentagone pour diffuser les informations les plus contestables. Avant son fameux discours du 5 février 2003 devant le Conseil de sécurité, M. Powell a tenu à lire le brouillon préparé par M. Lewis Libby, directeur du cabinet du vice-président Richard Cheney. Il contenait des informations tellement douteuses que M. Powell aurait piqué une colère, jeté les feuilles en l’air et déclaré : « Je ne vais pas lire cela. C’est de la m.… » Finalement, le secrétaire d’Etat exigera que M. George Tenet, le directeur de la CIA, soit assis bien en vue derrière lui, le 5 février, et partage la responsabilité de ce qui fut dit.

9.

The US Secretary of State, Colin Powell, was manipulated and his political future is now at stake. He was reported to have resisted White House and Pentagon pressures to distribute the most dubious briefings. In his UN Security Council speech of 5 February 2003 Powell was obliged to read a draft prepared by Lewis Libby, chief of staff to vice president Dick Cheney. It contained such tenuous information that Powell was said to have become angry, thrown the sheets in the air and refused to read it. Finally Powell asked to have the head of the CIA, George Tenet, sit in view behind him to share responsibility for what was being read.

10.

Dans un entretien au magazine Vanity Fair, publié le 30 mai, M. Wolfowitz a reconnu le mensonge d’Etat. Il a avoué que la décision de mettre en avant la menace des ADM pour justifier une guerre préventive contre l’Irak avait été adoptée « pour des raisons bureaucratiques ». « Nous nous sommes entendus sur un point, a-t-il précisé, les armes de destruction massive, parce que c’était le seul argument sur lequel tout le monde pouvait tomber d’accord. »

10.

In an interview in the June issue of Vanity Fair, Wolfowitz admitted that governmental lies had been told. He said that the decision to put forward the threat of WMD to justify a preventive war against Iraq had been adopted “for reasons that have a lot to do with US government bureaucracy . . . We settled on the one issue which everyone could agree on, which was weapons of mass destruction”.

11.

Le président des Etats-Unis a donc menti. Cherchant désespérément un casus belli pour contourner l’ONU et rallier à son projet de conquête de l’Irak quelques complices (Royaume-Uni, Espagne), M. Bush n’a pas hésité à fabriquer l’un des plus grands mensonges d’Etat.

11.

So Bush had lied. Searching for a casus belli to appeal to the United Nations and recruit a few accomplices (United Kingdom and Spain) to his project for conquering Iraq, Bush did not hesitate to fabricate a massive governmental lie.

12.

Il n’a pas été le seul. Devant la Chambre des communes à Londres, le 24 septembre 2002, son allié Anthony Blair, premier ministre britannique, affirmait : « L’Irak possède des armes chimiques et biologiques . (...) Ses missiles peuvent être déployés en 45 minutes. » De son côté, dans son intervention devant le Conseil de sécurité, M. Powell déclarait : « Saddam Hussein a entrepris des recherches sur des douzaines d’agents biologiques provoquant des maladies telles que la gangrène gazeuse, la peste, le typhus, le choléra, la variole et la fièvre hémorragique. » « Nous croyons que Saddam Hussein a, en fait, reconstitué des armes nucléaires » , soutenait enfin le vice-président Cheney en mars 2003 à la veille de la guerre.

12.

He was not alone. On 24 September 2002 Tony Blair stood before the House of Commons and announced : “Iraq possesses chemical and biological weapons . . . Its missiles can be deployed in 45 minutes.” To the UN Security Council on 5 February Powell said : “Saddam Hussein has investigated dozens of biological agents causing diseases such as gas gangrene, plague, typhus, tetanus, cholera, camelpox and haemorrhagic fever.” In March, on the eve of war, the US Vice President, Dick Cheney, said : “We believe he has reconstituted nuclear weapons”.

13.

Au cours d’innombrables déclarations, le président Bush a martelé les mêmes accusations. Dans un discours radiodiffusé à la nation, le 8 février 2003, il allait jusqu’à apporter les faux détails suivants : « L’Irak a envoyé des experts en explosifs et en fabrication de faux papiers travailler avec Al-Qaida. Il a aussi dispensé à Al-Qaida un entraînement aux armes biologiques et chimiques. Un agent d’Al-Qaida a été envoyé en Irak à plusieurs reprises à la fin des années 1990 pour aider Bagdad à acquérir des poisons et des gaz. »

13.

Bush repeated the charges in many speeches. After a meeting with Powell on 6 February he went so far as to add erroneous details : “Iraq has sent bomb-making and document forgery experts to work with al-Qaida. Iraq has also provided al-Qaida with chemical and biological weapons training. We know that Iraq is harbouring a terrorist network, headed by a senior al-Qaida planner.”

14.

Reprises et amplifiées par les grands médias bellicistes transformés en organes de propagande, toutes ces dénonciations ont été répétées ad nauseam par les réseaux de télévision Fox News, CNN et MSNC, la chaîne de radio Clear Channel (1 225 stations aux Etats-Unis) et même des journaux prestigieux comme le Washington Post ou le Wall Street Journal . A travers le monde, ces accusations mensongères ont constitué l’argument principal de tous les va-t-en-guerre. En France, par exemple, elles furent reprises sans vergogne par des personnalités comme Pierre Lelouche, Bernard Kouchner, Yves Roucaute, Pascal Bruckner, Guy Millière, André Glucksmann, Alain Finkielkraut, Pierre Rigoulot, etc.

14.

These charges were amplified by the pro-war media, which became the instruments of propaganda. They were repeated by television channels Fox News, CNN and MSNC, by the Clear Channel radio network (1,225 stations throughout the US) and even prestigious newspapers, such as the Washington Post and the Wall Street Journal. These accusations provided the main argument for those who were pro-war around the world. In France they were taken up by Pierre Lelouche, Bernard Kouchner, Yves Rocaute, Pascal Bruckner, Guy Millière, André Glucksman, Alain Finkelkraut and Pierre Rigoulot.

15.

Les accusations furent également répétées par tous les alliés de M. Bush. A commencer par le plus zélé d’entre eux, M. José Maria Aznar, président du gouvernement espagnol, qui, aux Cortés de Madrid, le 5 février 2003, certifiait : « Nous savons tous que Saddam Hussein possède des armes de destruction massive. (...) Nous savons tous également qu’il détient des armes chimiques. » Quelques jours auparavant, le 30 janvier, exécutant une commande formulée par M. Bush, M. Aznar avait rédigé une déclaration de soutien aux Etats-Unis, la « Lettre des Huit », signée entre autres par MM. Blair, Silvio Berlusconi et Vaclav Havel. Ils y affirmaient que « le régime irakien et ses armes de destruction massive représentent une menace pour la sécurité mondiale » .

15.

They were also repeated by Bush’s allies. The most zealous, the Spanish prime minister, José Maria Aznar, on 5 February told the Madrid Cortés : “We all know that Saddam Hussein has weapons of mass destruction . . . We also all know that he has chemical weapons”. On 30 January, on an order from Bush, Aznar produced a declaration of support for the US, the Letter of Eight, which was signed by Blair, Silvio Berlusconi and Vaclav Havel among others, claiming that “the Iraqi regime and its weapons of mass destruction represent a clear threat to world security”.

16.

Ainsi, pendant plus de six mois, pour justifier une guerre préventive dont ni les Nations unies ni l’opinion mondiale ne voulaient, une véritable machine de propagande et d’intoxication pilotée par la secte doctrinaire qui entoure M. Bush a répandu des mensonges d’Etat avec une outrecuidance propre aux régimes les plus détestés du XXe siècle.

16.

To justify a preventive war that the United Nations and global public opinion did not want, a machine for propaganda and mystification (organised by the doctrinaire sect around George Bush) produced state-sponsored lies for more than six months, with a determination characteristic of the worst regimes of the 20th century.

17.

Ils s’inscrivent dans une longue tradition de mensonges d’Etat qui jalonne l’histoire des Etats-Unis. L’un des plus cyniques concerne la destruction du cuirassé américain Maine dans la baie de La Havane en 1898, qui servit de prétexte à l’entrée en guerre des Etats-Unis contre l’Espagne et à l’annexion de Cuba, Porto Rico, les Philippines et l’île de Guam.

17.

The Bush administration added to the US’s long historical tradition of lies. One of the most cynical was about the explosion on the battleship Maine in the Bay of Havana in 1898, which was used as the pretext for the US to go to war with Spain, and for the annexation of Cuba, Puerto Rico, the Philippines and the island of Guam.

18.

Le soir du 15 février 1898, vers 21 h 40, le Maine fut en effet victime d’une violente explosion. Le navire sombra dans la rade de La Havane et 260 hommes périrent. Immédiatement, la presse populaire accusa les Espagnols d’avoir placé une mine sous la coque du navire et dénonça leur barbarie, leurs « camps de la mort » et même leur pratique de l’anthropophagie...

18.

On 15 February 1898, at 9.40pm, the Maine sank in the Havana straits, with the loss of 260 men, after a violent explosion. Immediately the popular press accused the Spaniards of having mined its hull : the press denounced Spanish barbarism and “death camps”. It even claimed the Spanish were cannibals.

19.

Deux patrons de presse allaient rivaliser dans la recherche du sensationnel : Joseph Pulitzer, du World , et surtout William Randolph Hearst, du New York Journal . Cette campagne reçut le soutien intéressé des hommes d’affaires américains qui avaient beaucoup investi à Cuba et rêvaient d’en évincer l’Espagne. Mais le public ne manifestait guère d’intérêt. Les journalistes non plus d’ailleurs. En janvier 1898, le dessinateur du New York Journal , Frederick Remington, écrivit de La Havane à son patron : « Il n’y a pas de guerre ici, je demande à être rappelé. » Hearst lui câbla en réponse : « Restez. Fournissez les dessins, je vous fournis la guerre. » Survint alors l’explosion du Maine. Hearst monta une violente campagne comme on le voit dans Citizen Kane , le film d’Orson Welles (1941).

19.

Two press barons vied in sensationalism : Joseph Pulitzer of the New York World, and William Randolph Hearst of the New York Journal. The anti-Spanish campaign was supported by US businessmen who had major investments in Cuba and were keen on ousting the Spaniards. But the public was not interested, and neither were journalists. In 1898 the Journal war artist Frederick Remington wrote to Hearst from Havana : “There is no war here. I demand to be recalled.” Hearst cabled : “Stay. You provide the drawings, I’ll supply the war.”

20.

Pendant plusieurs semaines, jour après jour, il consacra plusieurs pages de ses journaux à l’affaire du Maine et réclama vengeance en répétant inlassablement : « Remember the Maine ! In Hell with Spain » (Souvenez-vous du Maine ! En enfer l’Espagne !). Tous les autres journaux suivirent. La diffusion du New York Journal passa d’abord de 30 000 exemplaires à 400 000, puis franchit régulièrement le million d’exemplaires ! L’opinion publique était chauffée à blanc. L’atmosphère devint hallucinante. Pressé de partout, le président William McKinley déclara la guerre à Madrid le 25 avril 1898. Treize ans plus tard, en 1911, une commission d’enquête sur la destruction du Maine devait conclure à une explosion accidentelle dans la salle des machines...

20.

Then came the explosion on the Maine, which allowed Hearst to campaign for war, devoting pages of his news-papers every day for months to the subject, calling for vengeance : “Remember the Maine ! To Hell with Spain.” Other papers copied. Sales of the Journal soared from 30,000 to 400,000, and then regularly topped a million. Public opinion was inflamed. The atmosphere became hallucinatory. Pressed on all sides, President William McKinley declared war on Spain on 25 April 1898. But 13 years later a commission of inquiry decided that the explosion had been an accident in the Maine’s engine room (9).

21.

En 1960, en pleine guerre froide, la Central Intelligence Agency (CIA) diffusa auprès de quelques journalistes des « documents confidentiels » démontrant que les Soviétiques étaient en passe de remporter la course aux armements. Immédiatement, les grands médias commencèrent à faire pression sur les candidats à la présidence et à réclamer à cor et à cri une substantielle augmentation des crédits de la défense. Harcelé, John F. Kennedy promit de consacrer des milliards de dollars à la relance du programme de construction de missiles balistiques de croisière (the missile gap). Ce que souhaitaient non seulement la CIA, mais tout le complexe militaro-industriel. Une fois élu et le programme voté, Kennedy devait découvrir que la supériorité militaire des Etats-Unis sur l’Union soviétique était écrasante...

21.

During the cold war in 1960, the CIA distributed to journalists confidential documents showing that the Soviets were about to get ahead in the arms race. Immediately the media pressured candidates for the presidency and clamoured for increased defence spending. John F Kennedy promised to devote millions of dollars to reviving the ballistic missiles programme, wanted by both the CIA and the military-industrial complex. Once Kennedy was elected and the programme voted through, he discovered the US already had a crushing military superiority over the USSR.

22.

En 1964, deux destroyers déclarent avoir été attaqués dans le golfe du Tonkin par des torpilles nord-vietnamiennes. Aussitôt, la télévision, la presse en font une affaire nationale. Crient à l’humiliation. Réclament des représailles. Le président Lyndon B. Johnson prend prétexte de ces attaques pour lancer des bombardements de représailles contre le Nord-Vietnam. Il réclame du Congrès une résolution qui va lui permettre, dans les faits, d’engager l’armée américaine. La guerre du Vietnam commençait ainsi, qui ne devait s’achever - par une défaite - qu’en 1975. On apprendra plus tard, de la bouche même des équipages des deux destroyers, que l’attaque dans le golfe du Tonkin était une pure invention...

22.

In 1964 it was claimed that two US destroyers had been attacked by North Vietnamese tor pedoes in the Gulf of Tonkin. Immediately the media turned this into an issue, describing it as a humiliation and demanding reprisals. President Lyndon B Johnson used this as a pretext to launch reprisal bombings against the North Vietnamese. He called on Congress to pass a resolution that allowed him to send in US troops, and began the Vietnam war, which was only to end - in defeat - in 1975. Later the crews of the destroyers said that the attack stories were fabricated.

23.

Même scénario avec le président Ronald Reagan. En 1985, il décrète soudain l’ « urgence nationale » en raison de la « menace nicaraguayenne » que représenteraient les sandinistes au pouvoir à Managua, pourtant élus démocratiquement en novembre 1984 et qui respectaient à la fois les libertés politiques et la liberté d’expression. « Le Nicaragua , affirme cependant M. Reagan, est à deux jours de voiture de Harlingen, Texas. Nous sommes en danger ! » Le secrétaire d’Etat George Schultz affirme devant le Congrès : « Le Nicaragua est un cancer qui s’insinue dans notre territoire, il applique les doctrines de Mein Kampf et menace de prendre le contrôle de tout l’hémisphère... » Ces mensonges vont justifier l’aide massive à la guérilla antisandiniste, la Contra, et déboucheront sur le scandale de l’Irangate.

23.

In 1985 President Ronald Reagan declared a state of emergency because of the “Nicaraguan threat” posed by the Sandinistas in power in Managua, a government democratically elected in November 1984 that respected political liberties and freedom of expression. Nicaragua, so Reagan claimed, was “two days’ car drive from Harlingen, Texas.We are in danger !” Secretary of state George Shultz told Congress : “Nicaragua is a cancer eating into our country, it applies the doctrines of Mein Kampf and threatens to take control over the whole hemisphere”. These lies were used to justify massive aid to the anti-Sandinista Contras and led to Irangate.

24.

On ne s’étendra pas sur les mensonges de la guerre du Golfe en 1991, largement analysés et demeurés dans les mémoires comme des paradigmes du bourrage de crâne moderne. Des informations constamment répétées - comme « L’Irak, quatrième armée du monde » ,« le pillage des couveuses de la maternité de Koweït » ,« la ligne défensive inexpugnable » ,« les frappes chirurgicales » ,« l’efficacité des Patriot » , etc. - se révélèrent totalement fausses.

24.

The lies of the Gulf war in 1991 have been extensively analysed. Claims were frequently repeated that Iraq had the fourth most powerful army in the world, that maternity hospitals in Kuwait had been destroyed, that there was an uncrossable defensive line, that Patriot missiles were effective : all were proved false.

25.

Depuis la victoire controversée de M. Bush à l’élection présidentielle de novembre 2000, la manipulation de l’opinion publique est devenue une préoccupation centrale de la nouvelle administration. Après les odieux attentats du 11 septembre 2001, cela s’est transformé en véritable obsession. M. Michael K. Deaver, ami de M. Rumsfeld et spécialiste de la psy-war , la « guerre psychologique », résume ainsi le nouvel objectif : « La stratégie militaire doit désormais être pensée en fonction de la couverture télévisuelle [car] si l’opinion publique est avec vous, rien ne peut vous résister ; sans elle, le pouvoir est impuissant. »

25.

After George Bush Jr’s election to the presidency in November 2000, manipulation of public opinion was the key preoccupation of the new administration. After the attacks of 11 September 2001 it became an obsession. Michael Deaver, a friend of Donald Rumsfeld and a specialist in psychological warfare, advocated that military strategy should be considered in relation to television coverage, because if the public supported a conflict it was unstoppable - without it government was powerless.

26.

Dès le début de la guerre contre l’Afghanistan, en coordination avec le gouvernement britannique, des centres d’information sur la coalition furent donc créés à Islamabad, Londres et Washington. Authentiques officines de propagande, elles ont été imaginées par Karen Hugues, conseillère médias de M. Bush, et surtout par Alistair Campbell, le très puissant gourou de M. Blair pour tout ce qui concerne l’image politique. Un porte-parole de la Maison Blanche expliquait ainsi leur fonction : « Les chaînes en continu diffusent des informations 24 heures sur 24 ; eh bien, ces centres leur fourniront des informations 24 heures par jour, tous les jours... »

26.

[Paragraphe non traduit]

27.

Le 20 février 2002, le New York Times dévoilait le plus pharamineux projet de manipulation des esprits. Pour conduire la « guerre de l’information » , le Pentagone, obéissant à des consignes de M. Rumsfeld et du sous-secrétaire d’Etat à la défense, M. Douglas Feith, avait créé secrètement et placé sous la direction d’un général de l’armée de l’air, Simon Worden, un ténébreux Office de l’influence stratégique (OIS), avec pour mission de diffuser de fausses informations servant la cause des Etats-Unis. L’OIS était autorisé à pratiquer la désinformation, en particulier à l’égard des médias étrangers. Le quotidien new-yorkais précisait que l’OIS avait passé un contrat de 100 000 dollars par mois avec un cabinet de communication, Rendon Group, déjà employé en 1990 dans la préparation de la guerre du Golfe et qui avait mis au point la fausse déclaration de l’ « infirmière » koweïtienne affirmant avoir vu les soldats irakiens piller la maternité de l’hôpital de Koweït et « arracher les nourrissons des couveuses et les tuer sans pitié en les jetant par terre ». Ce témoignage avait été décisif pour convaincre les membres du Congrès de voter en faveur de la guerre...

27.

On 20 February 2002 the New York Times revealed that the Pentagon, on orders from Donald Rumsfeld and the undersecretary for defence, Douglas Feith, had secretly created the mysterious Office of Strategic Influence (OSI), to generate false news to serve US interests. It was coordinated by an air force general, Simon Worden. The OSI was authorised to engage in disinformation, particularly to foreign media. It had a contract worth $100,000 a month with the Rendon Group, a media consultancy already used in the Gulf war, which had fabricated a statement by a Kuwaiti “nurse” who claimed to have seen Iraqi soldiers looting the maternity department of a hospital in Kuwait and killing the babies. This statement was decisive in persuading members of Congress to vote for the war.

28.

Officiellement dissous après les révélations de la presse, l’OIS est certainement demeuré actif. Comment expliquer sinon quelques-unes des plus grossières manipulations de la récente guerre d’Irak ? En particulier l’énorme mensonge concernant la spectaculaire libération de la soldate Jessica Lynch.

28.

Although officially dissolved after these revelations, the OSI must have remained active. How otherwise can we explain the grossest manipulations of the recent war in Iraq, especially the “rescue” of Private Jessica Lynch ?

29.

On se souvient que, début avril 2003, les grands médias américains diffusèrent avec un luxe impressionnant de détails son histoire. Jessica Lynch faisait partie des dix soldats américains capturés par les forces irakiennes. Tombée dans une embuscade le 23 mars, elle avait résisté jusqu’à la fin, tirant sur ses attaquants jusqu’à épuiser ses munitions. Elle fut finalement blessée par balle, poignardée, ficelée et conduite dans un hôpital en territoire ennemi, à Nassiriya. Là, elle fut battue et maltraitée par un officier irakien. Une semaine plus tard, des unités d’élite américaines parvenaient à la libérer au cours d’une opération surprise. Malgré la résistance des gardes irakiens, les commandos parvinrent à pénétrer dans l’hôpital, à s’emparer de Jessica et à la ramener en hélicoptère au Koweït.

29.

The US media splashed this story in April. Lynch was one of a group of 10 US soldiers captured by Iraqi troops. According to the approved narrative, she had been ambushed on 23 March and captured after firing at the Iraqis until her ammunition ran out. She had been hit by a bullet, stabbed, tied up, and taken to a hospital in Nasiriyah where she was beaten by an Iraqi officer. A week later US special forces freed her in a surprise operation : despite resistance from her guards, they broke into the hospital, rescued her and flew her by helicopter to Kuwait.

30.

Le soir même, le président Bush annonça à la nation, depuis la Maison Blanche, la libération de Jessica Lynch. Huit jours plus tard, le Pentagone remettait aux médias une bande vidéo tournée pendant l’exploit avec des scènes dignes des meilleurs films de guerre.

30.

That evening, Bush, from the White House, announced her rescue to the nation. Eight days later the Pentagon supplied the media with a video made during the mission, with scenes up to the standards of the best action movies.

31.

Mais le conflit d’Irak s’acheva le 9 avril, et un certain nombre de journalistes - en particulier ceux du Los Angeles Times , du Toronto Star , d’ El País et de la chaîne BBC World - se rendirent à Nassiriya pour vérifier la version du Pentagone sur la libération de Jessica. Ils allaient tomber de haut. Selon leur enquête auprès des médecins irakiens qui avaient soigné la jeune fille - et confirmée par les docteurs américains l’ayant auscultée après sa délivrance -, les blessures de Jessica (une jambe et un bras fracturés, une cheville déboîtée) n’étaient pas dues à des tirs d’armes à feu, mais simplement provoquées par l’accident du camion dans lequel elle voyageait... Elle n’avait pas non plus été maltraitée.

31.

After the war ended on 9 April, journalists - particularly from The New York Times, the Toronto Star, El País and the BBC - went to Nasiriyah to find the truth. They were surprised by what they found. According to their interviews with Iraqi doctors who had looked after Lynch (and confirmed by US doctors who had later examined her), her wounds, a fractured arm and leg and a dislocated ankle, were not due to bullets but to an accident in the lorry in which she had travelled. She had not been maltreated.

32.

Au contraire, les médecins avaient tout fait pour bien la soigner : « Elle avait perdu beaucoup de sang , a raconté le docteur Saad Abdul Razak, et nous avons dû lui faire une transfusion. Heureusement des membres de ma famille ont le même groupe sanguin qu’elle : O positif. Et nous avons pu obtenir du sang en quantité suffisante. Son pouls battait à 140 quand elle est arrivée ici. Je pense que nous lui avons sauvé la vie. »

32.

On the contrary, the Iraqi doctors had done everything possible to look after her. “She had lost a lot of blood,” explained Dr Saad Abdul Razak, “and we had to give her a transfusion. Fortunately members of my family have the same blood group : O positive. We were able to obtain sufficient blood. She had a pulse rate of 140 when she arrived here. I think that we saved her life”.

33.

En assumant des risques insensés, ces médecins tentèrent de prendre contact avec l’armée américaine pour lui restituer Jessica. Deux jours avant l’intervention des commandos spéciaux, ils avaient même conduit en ambulance leur patiente à proximité des lignes américaines. Mais les Américains ouvrirent le feu sur eux et faillirent tuer leur propre héroïne...

33.

Taking considerable risks, these doctors managed to contact the US army to return Lynch. Two days before the special forces arrived the doctors had even taken her in an ambulance to a location close to US lines. But US soldiers opened fire and almost killed her.

34.

L’arrivée avant le lever du jour, le 2 avril, des commandos spéciaux équipés d’une impressionnante panoplie d’armes sophistiquées surprit le personnel de l’hôpital. Depuis deux jours, les médecins avaient informé les forces américaines que l’armée irakienne s’était retirée et que Jessica les attendait...

34.

The pre-dawn arrival of special forces equipped with sophisticated equipment surprised the hospital staff. The doctors had already told the US forces that the Iraqi army had retreated, and that Lynch was waiting to be claimed.

35.

Le docteur Anmar Ouday a raconté la scène à John Kampfner de la BBC : « C’était comme dans un film de Hollywood. Il n’y avait aucun soldat irakien, mais les forces spéciales américaines faisaient usage de leurs armes. Ils tiraient à blanc et on entendait des explosions. Ils criaient : "Go ! Go ! Go !" L’attaque contre l’hôpital, c’était une sorte de show, ou un film d’action avec Sylvester Stallone. »

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Dr Anmar Uday told the BBC’s John Kampfner : “It was like in a Hollywood film. There were no Iraqi soldiers, but the American special forces were using their weapons. They fired at random and we heard explosions. They were shouting Go ! Go ! Go ! The attack on the hospital was a kind of show, or an action film with Sylvester Stallone”.

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Les scènes furent enregistrées avec une caméra à vision nocturne par un ancien assistant de Ridley Scott dans le film La Chute du faucon noir (2001). Selon Robert Scheer, du Los Angeles Times , ces images furent ensuite envoyées, pour montage, au commandement central de l’armée américaine, au Qatar, et une fois supervisées par le Pentagone, diffusées dans le monde entier.

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The “rescue” was filmed on a night-vision camera by a former assistant of director Ridley Scott, who had worked on the film Black Hawk Down (2001). According to Robert Scheer of the Los Angeles Times, these images were then sent for editing to US central command in Qatar, and once they had been checked by the Pentagon they were distributed worldwide.

37.

L’histoire de la libération de Jessica Lynch restera dans les annales de la propagande de guerre. Aux Etats-Unis, elle sera peut-être considérée comme le moment le plus héroïque de ce conflit. Même s’il est prouvé qu’il s’agit d’une invention aussi fausse que les « armes de destruction massive » détenues par M. Saddam Hussein ou que les liens entre l’ancien régime irakien et Al-Qaida.

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The saving of Private Lynch is one for the annals of propaganda. In the US she may represent the most heroic moment of the conflict, even if the story of her rescue is as much a lie as Saddam Hussein’s WMD or the links between the Iraqi regime and al-Qaida.

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Ivres de pouvoir, M. Bush et son entourage ont trompé les citoyens américains et l’opinion publique mondiale. Leurs mensonges constituent, selon le professeur Paul Krugman, « le pire scandale de l’histoire politique des Etats-Unis, pire que le Watergate, pire que l’Irangate ».

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Bush and his entourage have deceived Americans and world public opinion. As Professor Paul Krugman says, their lies are “the worst scandal in American political history, worse than Watergate, worse than Iran-contra”.

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