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Femmes en prison, la mort lente


Women within walls

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Le Monde Diplomatique, septembre 2003, pages 28 et 29

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Le Monde diplomatique - October 2003

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Femmes en prison, la mort lente

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Women within walls

3.

Jamais les prisons françaises n’ont été aussi remplies depuis la Libération. Répression plus forte, allongement des peines et recours accru à la détention provisoire conduisent à une augmentation du nombre des détenus, qui, en juillet 2003, a atteint le chiffre record de 60 963... pour 48 600 places. Si les femmes sont nettement moins nombreuses que les hommes (2 275), leur effectif a quasiment doublé depuis 1980 (1 159).

3.

French prisons have not been so full since 1944. More arrests and longer sentences have swollen the numbers of inmates - and women from poor backgrounds, especially those jailed after drug busts at airports, are now being crowded in.

4.

Par MARINA DA SILVA, journaliste.

4.

By Marina Da Silva (Translated by Jeremiah Cullinane)

5.

« Lorsqu’une femme arrive en prison : a) On la met dans une baignoire et on l’asperge d’un produit désinfectant, on la laisse macérer un quart d’heure et on la rince... b) On la conduit chez un docteur, on la vaccine contre la rage, le choléra, la malaria... c) On l’enferme dans une cellule avec son paquetage et elle attend.

5.

“When a woman arrives in prison : a) They put her in a bath, spray her with disinfectant, let her soak for 15 minutes, and rinse her ; b) They take her to the doctor and vaccinate her against rabies, cholera, and malaria ; c) They lock her up in a cell with her kit and make her wait.

6.

Pourquoi le poivre est-il interdit en prison ? a) Parce que c’est un aphrodisiaque. b) Pour éviter que les détenues en jettent dans les yeux du personnel. c) Pour qu’en l’avalant elles ne se transforment pas en dragons...

6.

Why is pepper forbidden in prison ? a) Because it’s an aphrodisiac ; b) To prevent prisoners from throwing it into guards’eyes ; c) To stop them turning into dragons if they swallow it.

7.

Combien gagne une femme qui travaille en prison ? a) Deux euros par heure. b) Trois. c) Onze. »

7.

How much does a woman earn in prison ? a) Two euros an hour ; b) Three ; c) Eleven.”

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Aujourd’hui, c’est Fanny Ardant qui est ainsi soumise à la question. Il y en a dix. Posées par l’équipe de Radio-Meuf, sous le charme de leur invitée tout comme la cinquantaine de femmes qui constituent le public de cette singulière émission, réalisée hebdomadairement par les détenues à Fleury-Mérogis. Conduite par des « pros » formées à la diction, la respiration, l’écriture, cette expérience unique en Europe existe depuis seize ans grâce à l’Association de recherche d’animations culturelles, qui milite pour la réinsertion.

8.

ACTRESS Fanny Ardant is answering the questions. The team from Radio-Meuf (Chick Radio) is under her spell, and so are 50 women in the audience for a programme recorded weekly by inmates at Fleury-Mérogis prison. The unique broadcasts have been on the air for 16 years, led by professionals trained in diction and writing, thanks to the Association de recherche d’animations culturelles (cultural activity research association), which fights for prisoner rehabilitation.

9.

Accueillie par un « Elle est canon ! » admiratif, la vedette n’échappera pas pour autant aux questions impertinentes et pertinentes : « D’où vous vient cette réputation de mythomane ? » ; « Que pensez-vous de la guerre contre l’Irak ? » . Mais le courant passe et le moment est joyeux. Pour un peu, on oublierait où l’on est...

9.

Ardant is welcomed by fans shouting “you’re gorgeous” but that doesn’t save her from awkward questions like “What do you think of the war against Iraq ?” Then tension eases and the mood lightens. It is easy to forget where you are.

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Dans les coulisses, l’émission terminée, on est vite rattrapé par la réalité : « Je passe toute une journée à ranger des perles, et, au bout de mille tubes, j’ai à peine gagné 10 euros », jette Laure, qui a tout juste 20 ans. Elodie, à peine plus âgée, a fermement décidé que, pour ces tarifs-là, elle n’était pas près de travailler. Une contrainte économique à laquelle elle peut échapper et qui lui permet de reprendre des études.

10.

Once the recording is over, though, reality returns. “I pack pearls all day,” says Laura, 20. “After 1,000 tubes, I’ve barely made 10 euros.” Elodie, a little older, has decided not to work for those rates. She is lucky to be able to study instead.

11.

Fleury-Mérogis pourrait presque faire figure de prison « haut de gamme », car les activités, cours, formations y sont nombreux, et des programmes pédagogiques d’aide aux femmes détenues semblent attester un réel souci de réinsertion. Pour Carole, toutes ces dispositions ne sauraient faire oublier la brutalité de l’enfermement, qui génère régulièrement des suicides, « parfois plusieurs sur une période très courte » . La prison, ce n’est pas seulement les conditions de détention, c’est aussi la longueur des peines. « Depuis la nomination de Nicolas Sarkozy, on voit les femmes rentrer du tribunal avec des condamnations qui ont été multipliées par deux ou par trois pour des délits mineurs. Ce prix à payer pour la promotion de sa campagne sécuritaire, c’est très angoissant. » Les prisons françaises ont atteint en juillet 2003 un record historique de surpopulation. Dénoncé par le Syndicat de la magistrature, le projet de loi Perben va entraîner une sur-répression des populations défavorisées. A Fleury-Mérogis, elle est déjà à l’oeuvre.

11.

Fleury-Mérogis is almost an upmarket prison. There are many activities, courses, and training facilities, and the teaching help for women inmates seems to indicate a real drive towards rehabilitation. But these cannot hide the brutality of prison, which provokes regular suicides : according to a prisoner, Carole, there have been many suicides within a short time. The length of sentences matters as well as prison conditions. “Since Nicolas Sarkozy became interior minister, women have had their sentences doubled or tripled for minor offences,” says Carole. “This is the terrible price we pay for his security campaign.” In July 2003 French prisons broke the record for overpopulation. A draft bill under Justice Minister Dominique Perben’s name, already denounced by the magistrates’ union, will result in heavy crackdowns on underprivileged populations. In Fleury-Mérogis, that is already happening.

12.

Mayra, 23 ans, est guatémaltèque. Sa fillette de trois mois a ouvert les yeux en prison. Elle était enceinte de quelques semaines lorsque « le ciel [lui] est tombé sur la tête ». Elle transporte un demi-kilo de cocaïne avec son mari, qui en a ingurgité le double. « Une capsule s’est déchirée. Il est mort sur le coup. Je ne savais même pas que cela pouvait arriver ! » De la France, elle ne verra que Roissy et Fleury-Mérogis. « Dans mon pays, la situation économique est terrible. j’avais un diplôme de secrétariat mais pas de travail, mon mari non plus. Nous vivions chez mes parents avec mon petit garçon, qui a aujourd’hui six ans. Nous avons tenté le tout pour le tout. »

12.

Mayra, 23, is Guatemalan ; her three-month-old daughter was born in prison. Mayra was a few weeks pregnant when “the sky fell in”. She was smuggling half a kilo of cocaine ; her husband had swallowed twice that amount sealed in capsules. “One of the capsules burst and he died instantly. I didn’t even know that could happen.” All she saw of France was Charles de Gaulle airport and Fleury-Mérogis. “In Guatemala, the economic situation is awful. I had a secretary’s diploma, but no work ; neither did my husband. We were living with my parents, with our little boy, who’s now six. We decided to make or break.”

13.

Liliane vit depuis quinze ans en France. En Guyane. Après avoir fui le Surinam déchiré par la guerre. « En 1987, j’ai tout perdu. Toute ma famille a été tuée sauf ma mère, blessée, amputée, et ma soeur, réfugiée en Hollande, avec laquelle je suis restée en contact. J’ai passé trois ans dans un camp de réfugiés à Saint-Laurent-du-Maroni. » A 35 ans, elle est mère de deux filles de 14 et 15 ans, dont l’une a été confiée à une amie et l’autre est restée avec le père, dont elle est sans nouvelles. Condamnée sur dénonciation à quatre ans de prison pour trafic de drogue, elle est perdue, sonnée. « En arrivant ici, je ne savais pas parler français. En Guyane, tous les gens comprennent notre langue, le taki-taki. Mais ici, personne. Cette solitude, c’est trop dur. Je suis toujours malade, c’est trop de stress. »

13.

Liliane lived in French Guyana for 15 years, after fleeing Surinam. She was arrested there and transferred to prison in France. “I lost everything in 1987,” she says. “My whole family was killed except my mother (she had an amputation), and my sister, who fled to Holland. I spent three years in a refugee camp in Saint-Laurent-du-Maroni.” At 35, she is the mother of two girls, aged 14 and 15. She entrusted one to a friend ; the other stayed with her father and she has had no news of her. Liliane was sentenced to four years for drug trafficking. She was bewildered. “I couldn’t speak French. In Guyana, everyone understands our language, Taki-Taki. No one does here. The loneliness is too much. I’m ill all the time, it’s stressful.”

14.

Pour Maria, 20 ans n’est pas le plus bel âge de la vie. Américaine métisse, née dans le Bronx, élevée seule par sa mère qui a de graves problèmes de santé et qui est à sa charge, elle se retrouve seule à son tour avec un enfant et doit subvenir aux besoins de « ce trio mal ficelé par le destin » en travaillant dans des bars. « Après le 11 septembre, économiquement c’est devenu beaucoup plus dur. » Francfort-Paris-New York : 6 kg d’ecstasy dans ses bagages . « Je pense qu’on m’en aurait donné à peine de quoi vivre quelques mois, mais je n’ai pas réalisé. »

14.

Maria is 20, a mixed-race American, born in the Bronx and brought up by her single mother, who developed serious health problems. Maria, who had her own child, had to work in bars to meet all their needs. She says : “After 9/11 it was a lot harder to get by.” On a flight from Frankfurt to New York via Paris, she was picked up with 6kg of ecstasy in her luggage. “I think what they paid me would’ve been enough to live on for six months at most,” she says, “but I didn’t realise it then.”

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Elles sont algériennes, polonaises, angolaises, nigérianes, sud-africaines, boliviennes, brésiliennes, philippines... Avec 68 % de femmes étrangères emprisonnées, Fleury-Mérogis semble devenue l’annexe du tiers-monde et occupe une place particulière dans le paysage carcéral français. « Toutes les femmes arrêtées à Roissy atterrissent à Fleury », indique la directrice de l’établissement, pour qui la multiplicité des origines pose des problèmes spécifiques « de communication mais aussi de repères culturels ou de pratiques alimentaires ». Trafic de drogue, proxénétisme, infraction à la législation sur les étrangers sont les délits les plus représentés. Pour les premiers, les femmes se retrouvent aussi condamnées à des amendes douanières exorbitantes. Incapables de les acquitter, elles se voient appliquer des contraintes par corps qui les cloîtrent encore un an ou deux au moment où elles seraient libérables.

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Other women are Algerian, Polish, Angolan, Nigerian, South African, Bolivian, Brazilian, Filipino : 68% of the inmates of Fleury-Mérogis are foreign - it’s an annexe of the third world, a peculiarity in the correctional system. “All women arrested at Roissy (Charles de Gaulle) airport end up in Fleury,” says its director. The many ethnic backgrounds cause problems over communication, cultural differences and eating habits. Drug trafficking, pimping and immigration illegalities are the most common offences. Drug traffickers are often fined heavily by customs and when they cannot pay, they can be shut away for extra time at the end of their sentences.

16.

Au sein même de l’administration pénitentiaire, le constat de ces délits fabriqués par la pauvreté est évident : « La plupart des femmes travaillent et envoient de l’argent à leur famille. Non seulement elles ne sont pas assistées, mais ce sont elles qui soutiennent l’extérieur. » Pour cette surveillante-chef qui a auparavant travaillé dans des établissements pour hommes, ce qui singularise la population carcérale féminine, c’est sa très grande vulnérabilité. « Les femmes sont peu nombreuses à exercer la violence, mais elles l’ont en général toujours subie. »

16.

Within the prison administration, the obvious link between poverty and petty crime is acknowledged. “Most women work and send money to their families,” says a female warden, who has worked in male prisons. “They’re not helped, and on top of that they’re supporting people on the outside.” She says the common characteristic of the women is their vulnerability. “Few women resort to violence, but many have been victims of it.”

17.

Dans l’univers carcéral, la femme est loin d’être la moitié du ciel... En France, elles sont 2 275, pour presque 60 000 hommes, soit 3,7 %. Un chiffre stable, à l’image du paysage mondial. En Europe, ce sont l’Espagne et le Portugal qui embastillent le plus les femmes (9 % et 10 %), très au-dessus de la moyenne qui reste celle de la France. Des données qui ne semblent pourtant pas piquer la curiosité. Le nombre de travaux et de recherches sur le sujet est assez restreint.

17.

France has 2,275 women prisoners (3.7%) against 60,000 men.The figure is stable and in line with the global average. Spain and Portugal are the European countries with the highest rate of women prisoners, at 9% and 10% respectively, well above average. But the figures do not generate much curiosity and the amount of research is minimal.

18.

Pour Me Benoît Dietsch, si les femmes sont moins délinquantes que les hommes, elles sont aussi moins sanctionnées, ce qui, à l’heure de la revendication de la parité, fait figure d’anachronisme : « Mais, si l’ensemble de la population pénale est avant tout caractérisé par la pauvreté, la précarité et l’exclusion, c’est encore plus vrai pour les femmes, dont la détresse est toujours plus patente. » Cette fragilité sociale et psychologique serait donc prise en compte. Elles seraient la plupart du temps considérées comme des complices, entraînées par des hommes plus que par leur propre volonté. Sur cette approche juridique se greffe aussi la question de la maternité, qui va inciter les juges à une plus grande clémence.

18.

Barrister Benoît Dietsch says women are more law-abiding than men, and less penalised, an anachronism in an age of gender equality. He says : “The prison population as a whole is characterised by poverty, precariousness and exclusion, but this is especially so for women, whose distress is always more obvious.” This social and psychological fragility seems to be taken into consideration. Women are usually considered as accomplices, drawn in by men against their will. This legal approach is also tied to maternity, which persuades judges to clemency.

19.

A l’inverse, constate un autre avocat, Me Jean-Louis Chalanset, « lorsqu’elles sont vraiment tenues pour responsables, pour trafic de stupéfiants, proxénétisme aggravé ou dans les affaires politiques et de terrorisme, elles reçoivent des sanctions plus lourdes et sont traitées plus durement » . A Fleury, « les prisonnières politiques sont toujours stigmatisées par des étiquettes rouges » , rapporte aussi Fabienne Maestracci, qui fut emprisonnée treize mois dans le cadre de l’enquête sur l’assassinat du préfet Erignac, et « leurs déplacements relèvent de stratégies élaborées afin qu’elles ne se croisent pas et ne communiquent pas entre elles » . Mmes Joëlle Aubron et Nathalie Ménigon, les deux prisonnières d’Action directe, classées « détenues particulièrement surveillées » , y sont restées incarcérées sous un régime d’isolement très strict entre février 1987 et octobre 1999, alors que leurs condamnations, prononcées en 1994, auraient dû leur permettre d’être affectées dans un établissement pour longues peines et de bénéficier ainsi de conditions de détention améliorées.

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But another lawyer, Jean-Louis Chalanset, points out : “Whenever they are held as directly responsible for drug trafficking, aggravated procuring, or political or terrorist crimes, they receive heavier sentences and are treated more harshly.” In Fleury, “political prisoners are always stigmatised with red labels,” says Fabienne Maestracci, who was imprisoned for 13 months in connection with the investigation into the assassination of the Corsican prefect, Claude Erignac. “Their movements are planned so as to eliminate any possibility of contact between them.” Joëlle Aubron and Nathalie Ménigon, two Action directe prisoners classified as “requiring special surveillance”, were kept in strict isolation from February 1987 to October 1999, even though their sentences should have allowed them to be moved and to benefit from improved detention conditions.

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Soixante-trois établissements pénitentiaires sur cent quatre-vingt-six peuvent recevoir des femmes. Quatre maisons d’arrêt, Fleury-Mérogis, Fresnes, Rennes et Versailles, et trois centres de détention, Rennes, Bapaume et Joux-la-Ville - sur des critères d’identification parfois flous, les maisons d’arrêt abritant souvent des femmes condamnées -, sont situés dans la moitié nord de la France, ce qui pose des problèmes considérables de maintien des liens avec les proches. « Les coûts en train, taxi, hôtel rendent les visites inaccessibles aux familles, alors que les femmes pâtissent déjà de situations d’abandon décuplées », constate Geneviève, visiteuse bénévole en région.

20.

Of 196 prisons, 63 can take women. The criteria are sometimes vague, as the maisons d’arrêt often house convicted women, although they are intended for those accused and awaiting trial. The dispersal of prisons throughout France makes it hard to keep in touch with family and friends. “The costs of trains, taxis, and hotels are prohibitive for families wanting to visit and the women feel abandoned,” says Geneviève, a volunteer visitor.

21.

Les autres établissements constituent des annexes au sein des établissements pour hommes, où le faible nombre de femmes autorise toutes les absences de formations, de services et d’activités. Il n’existe pas de quartiers différenciés pour les mineures, et seulement vingt-cinq établissements sont équipés pour recevoir les mères et leurs enfants - qu’elles peuvent garder avec elles jusqu’à dix-huit mois. Une cinquantaine de mères incarcérées donnent la vie chaque année.

21.

Other establishments are annexes built on to male prisons. Because of the few women inmates, there is no training, services or activities. There are no segregated wings for minors, and only 25 establishments are equipped to receive mothers with babies, which they are allowed to keep until the age of 18 months. Around 50 women inmates give birth each year.

22.

Hilaria n’en finit plus de sourire. Elle a des yeux vifs et pétillants, et, arc-boutée sur ses jambes, elle prend un plaisir évident à marcher, trotter, s’échapper. Hilaria a tout juste douze mois. Née d’un moment d’intimité volé par ses parents, tous deux emprisonnés, « elle est un "bébé-parloir", en quelque sorte un "bébé-bombe" pour l’administration pénitentiaire » .« J’ai aussitôt été transférée de Marseille à Joux-la-Ville, près de Dijon, puis à Fleury-Mérogis, et j’attends une conditionnelle que je n’obtiens pas », indique sa mère, qui, condamnée il y a dix ans à dix-huit ans de prison pour homicide, a le sentiment que « chaque année supplémentaire passée en prison construit de la haine ».

22.

Hilaria is a smiling one-year-old with bright eyes, the product of a moment of stolen intimacy between her parents, both prisoners. “She arrived like a bombshell for the prison,” says her mother. “I was immediately transferred from Marseille to Joux-la-Ville, near Dijon, then to Fleury-Mérogis, and I’m waiting for parole that isn’t coming.” Sentenced 10 years ago to 18 years for homicide, she has the feeling that “each additional year in jail builds up her hatred”.

23.

La nurserie semble pourtant un îlot privilégié. Les cellules sont plus spacieuses et plus aménagées, et surtout restent ouvertes durant toute la journée. Mères et enfants peuvent aller de l’une à l’autre et partager des espaces communs. Il y a des parcs à jeux et un jardin. « L’enfant est libre , déclare sans sourciller la surveillante de journée, et c’est plutôt la mère qui bénéficie du traitement qui est mis en place pour lui. Les enfants sont suivis une fois tous les quinze jours par une équipe médicale (psychologue, pédiatre, sage-femme...), avec qui nous avons des réunions régulières. Notre rôle est d’alerter. Il existe des cas d’enfants maltraités, mais ce n’est pas la règle, et, aussi surprenant que cela puisse paraître, les enfants sont plutôt très éveillés. Sans doute parce que, jusqu’à dix-huitmois, c’est la relation avec la mère, dont ils ne sont pas séparés, qui est vitale. »

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The nursery seems a haven. Cells are more spacious and better adapted, and they stay open all day. Mothers and children can come and go and share common areas. There are playgrounds and a garden. “Children are free here,” says a warden. “It’s really the mother who benefits from the available treatment. Children can consult a medical team (psychologist, paediatrician, midwife) every fortnight, and we are kept up to date by regular meetings. Our role is to keep watch. There are cases of mistreated children, but they are the exception. Surprisingly, these children are quite alert. Probably because they have vital, uninterrupted contact with their mothers for the first 18 months.”

24.

Mais comment savoir ce qu’intègre le tout-petit en l’absence de lignes d’horizon, des bruits et des rythmes de la ville ou de la campagne ? Que produiront cette relation exclusive avec la mère et le manque de repères affectifs élargis, en tout premier celui du père, mais aussi d’autres proches, et de toute présence masculine ? Et le sevrage brutal après dix-huitmois d’avec celles qui n’auront pas accompli leur peine ? Si certains enfants sortent quasi quotidiennement pour aller dans leur famille, des familles d’accueil ou des haltes-garderies, c’est loin d’être le cas pour tous.

24.

But how does a child cope with the absence of any horizon, or noises and rhythms of the city or country ? What will be the result of this exclusive relationship with the mother, and of the lack of wider family contact, especially with the father or other male presence ? What of the abrupt rupture after 18 months with a mother still serving time ? Some children may get out almost daily to their families, foster homes or day nurseries, but that is not the case for everyone.

25.

« Il y a actuellement neuf enfants et seulement deux places de garderie. Ce sont prioritairement les Françaises qui en bénéficient. Je ne peux ni travailler ni m’échapper pour suivre le moindre cours. Etrangère, je ne bénéficie d’aucune aide ni allocation. L’argent est un vrai problème en prison. Toutes les relations passent par là. Je voudrais louer une télévision pour ma petite Pamela, mais, à 9 euros la semaine, c’est impossible. » Pamela et sa mère attendent de regagner la Colombie. Elles sont libérables depuis deux mois, mais, bizarrement, la procédure d’expulsion est extrêmement longue. Sans ressources, sans famille, sans amis, elles se sont vu répondre par une éducatrice débordée qu’il fallait « écrire à la préfecture ». Une logique qui, au lieu de s’en prendre à la pauvreté, s’en prend aux pauvres !

25.

The mother of baby Pamela says : “There are nine children and only two places in the nursery. French women have priority. I can neither work nor get away to take any courses. I’m a foreigner and get no assistance or allowance. In prison, money is a problem. Everything comes down to that. I’d like to rent a television for my daughter but at €9 a week, I can’t afford it.” Pamela and her mother are waiting to go back to Colombia. They could have been freed two months ago, but the expulsion procedure has dragged on. Without family, friends or support, they were told by an overworked teacher they should write to the prefecture (departmental authorities). This approach doesn’t attack poverty. It takes it out on the poor.

26.

« La taille moyenne d’une cellule est de 9mètres carrés. Ce n’est jamais un espace à soi. On doit y être visible de jour comme de nuit. On se sent harcelée jusque dans le sommeil. Les cellules sont fouillées régulièrement et arbitrairement, chaque fois que l’administration le décide. On est dépossédée de toute intimité. J’ai vu des femmes pleurer d’impuissance. » A son arrivée, Marietta a l’impression qu’ « être en prison, c’est être morte ».

26.

Marietta says : “The average cell size is 100 square feet. But it’s never your own space. You must remain visible day and night. You feel harassed even in your sleep. The cells are searched regularly and at random, anytime the administration feels like it. We are stripped of any sense of intimacy. I’ve seen women crying out of sheer powerlessness.” When she arrived, Marta had the feeling that “being in prison was like death”.

27.

Depuis 1983, le droit de correspondance avec toute personne, pour les condamnées comme pour les prévenues, est reconnu. Depuis 1987, le travail n’est plus obligatoire. Il reste incontournable pour toutes celles qui sont privées de ressources : cuisine, ménage, intendance, couture, pliage de cartons, conditionnements divers... pour des salaires dérisoires et extrêmement élastiques, entre 100 et 800 euros par mois, selon les tâches et les lieux, et sur lesquels seront encore décomptés des frais d’entretien par l’administration pénitentiaire. La législation du travail ne s’applique pas aux détenues, qui n’ont aucune garantie sociale et aucun recours en cas de perte de leur activité.

27.

The right to unimpeded correspondence has been recognised since 1983, for those convicted and those awaiting trial. Since 1987 work has not been compulsory, but is the only option for those without other means of support. Cooking, cleaning, supplies, sewing, and packaging jobs are paid extremely variable salaries - $112-$900 a month - depending on the jobs and locations. Before January 2003 the prison used to deduct board from that. Labour laws do not apply to prisoners, and they have no social security or recourse to action if they lose their jobs.

28.

Outre la liberté, en rentrant en prison, les femmes ont toutes le sentiment de perdre leur identité. « J’entendais mon nom prononcé comme s’il était devenu un autre. Peut-être parce qu’il était amputé de son prénom. En plus de l’enfermement, du manque à vivre, du manque à être et à aimer, il y aurait cette relation permanente de frottement et d’affrontement avec la gardienne. Elle aurait cent visages et reviendrait comme cent cauchemars hacher les heures de la journée. » Pour Betty, cela confisquait tout espace de tranquillité.

28.

Women in prison feel they are losing their identity as well as their liberty. Betty said : “I heard my name called as though it were someone else’s. Maybe it was because they did not use my first name. More than being locked up, more than losing your way of life, there is constant dealing with the guards, running up against them. A guard has a hundred faces and comes back like a hundred nightmares to break up a day.” These nightmares destroyed Betty’s peace of mind.

29.

Evelyne, qui n’avait jamais supporté la solitude, mangeait debout devant sa glace, « pour voir quelqu’un, pour ne pas me sentir seule », et réalisait qu’ « on n’a soudainement plus personne à regarder et [qu’] on n’est plus regardée par personne ». Annie découvrait que « n’importe qui pouvait atterrir en prison, mais surtout les personnes défavorisées, comme si les rôles étaient déjà distribués » et que les transgressions des femmes racontaient surtout « d’effrayantes fragilités et dangerosités pour elles-mêmes » . Paradoxalement, « la prison peut, pour certaines, représenter un asile. Imaginez alors d’où elles viennent... ».

29.

Evelyne could not stand being alone and used to eat in front of the mirror, “just to see someone, so as to feel less lonely” before realising that “there was suddenly no one to look at, and no one looking at you”. Annie discovered that “anyone can land in jail, but underprivileged people most of all, as though the parts had already been cast”. For her, the crimes of women reflect “a terrifying fragility and sense of danger”. Although “prison can represent a kind of asylum for some women. That gives you an idea of where they were before.”

30.

En animant un atelier d’arts plastiques à Fleury-Mérogis, Marie-Paule, qui rencontre quelque 60 détenues par an, les plus structurées, « l’élite » qui garde des capacités de sociabilité, est aussi frappée par cette grande misère - sociale, affective et intellectuelle - et par l’hétérogénéité des personnes. « Lorsqu’il y a des parcours de vie difficiles, n’importe qui peut se retrouver en prison. Or la méconnaissance et les préjugés restent forts. La prison consiste à se débarrasser des problèmes. Cela protège la société et on ne veut pas savoir ce qui s’y passe. »

30.

Marie-Paule runs a plastic arts workshop in Fleury-Mérogis and meets 60 inmates a year - the elite, with their social skills intact. She is struck by social, emotional, and mental despair in a wide range of women. “During difficult moments in life, anyone can find themselves in prison. But ignorance and prejudice remain high. Prison gets rid of problems on the outside. Its role is to protect society. No one wants to know what goes on inside.”

31.

Les infractions pour lesquelles les femmes sont condamnées sont pourtant révélatrices de leur condition : elles sont surreprésentées dans les contentieux familiaux et économiques, et sous-représentées dans les infractions à caractère violent. Selon la photographe Jane Evelyn Atwood, qui a travaillé depuis 1989 sur l’incarcération féminine en Europe, en Russie, aux Etats-Unis, « si les femmes en prison sont plus nombreuses aujourd’hui, c’est parce que les lois concernant la drogue ont été modifiées et que la politique pénale a changé ; 89 % des femmes sont enfermées pour des délits non violents, chèques sans provision, vols de chéquiers, fausses cartes de crédit, usage ou vente de stupéfiants. Presque toujours, les premiers délits sont liés à la drogue, et de plus en plus de femmes sont arrêtées et condamnées pour ces motifs ».

31.

The offences women are convicted for are revealing : they are frequently crimes involving money or domestic disputes, seldom violent crime. Photographer Jane Evelyn Atwood, who has worked with women in prison in Europe, Russia, and the United States since 1989, says that there are more women in prison today because drugs legislation and penal policy have changed. In the US, 89% of women who are jailed have committed non-violent crimes : bounced cheques, stolen chequebooks, false credit cards, drug use or dealing. First offences are almost always related to drug use, and increasing numbers of women are arrested and convicted for these reasons.

32.

Les femmes emprisonnées sont jeunes : une sur quatre a moins de 25 ans et une sur deux moins de 30 ans. Elles ont été très fortement marquées par des bouleversements dans leur milieu d’origine : décès, séparations, divorces, placements ou situations d’alcoolisme et de violence. 20 % d’entre elles sont illettrées et 50 % ont un niveau d’instruction primaire, selon l’Observatoire international des prisons. Un grand nombre ont été suivies pour troubles psychiatriques avant leur incarcération. Elles sont plus nombreuses que les hommes à prendre - et se voir proposer - des psychotropes : 45 % contre 18 %.

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Women in prison are young. One in four is under 25 and one in two under 30. They have been traumatised by death, separation, divorce, foster homes, or situations of violence or alcoholism. Around 20% are illiterate and 50% have only primary education, according to the International Prison Observatory. Many have suffered psychiatric troubles before prison. They are much more prone than men - 45% against 18% - to take and be offered anti-depressants and tranquillisers.

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Pour elles, le sentiment de honte et de culpabilité lié à la détention est plus intense, le corps devient le premier lieu d’expression de la plainte : elles somatisent, tombent malades, connaissent des troubles alimentaires ou digestifs. Elles n’ont plus de règles, parfois durant toute leur détention. La question de la violence se pose davantage pour elles-mêmes que pour les autres. Les états de prostration ou de dépression grave, les taux de suicide ou d’automutilation sont très élevés. Une centaine de suicides sont annuellement répertoriés par l’administration pénitentiaire, un chiffre en augmentation constante, deux fois plus important qu’il y a quinze ans. Dans certains établissements, les tentatives de suicide sont souvent sanctionnées de mises au mitard, provoquant désespoir et récidives, amplifiant ce qui est déjà vécu comme une véritable torture mentale.

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The sense of shame and guilt linked to detention is stronger for women, and their grief shows in their bodies, as they develop psychosomatic ailments, fall ill, have eating and digestive disorders. They stop menstruating, sometimes for the length of their sentence. They commit violence against themselves - deep depression, suicide, or self-mutilation are all at very high rates. Around 100 suicides a year are recorded by the prison administration, a figure constantly rising and twice what it was 15 years ago. In some prisons, suicide attempts are punished with solitary confinement, causing more despair and more attempts, and amplifying the mental torture.

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En cherchant à mettre des visages et des histoires sur ces femmes en prison, on découvre qu’elles sont moins nombreuses que les hommes, mais plus nombreuses que jamais. La durée moyenne des détentions, dans leur ensemble, a progressé de 50 % en quinze ans, et le taux de récidive reste à un niveau record - environ 70 %. La prison fonctionne comme un simple instrument de gestion des inégalités et entraîne une rupture toujours plus grande des liens sociaux. Elle est « privation de liberté mais aussi d’humanité », comme l’indiquait déjà le rapport du Sénat et de l’Assemblée nationale du 5 juillet 2000 s’alarmant du « nombre important de personnes n’ayant pas leur place en prison : toxicomanes, malades "psy", étrangers en situation irrégulière, personnes très âgées ou malades en phase terminale, jeunes majeurs, prévenus... ».

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Trying to put faces and stories to statistics makes you aware there are now more women in prison than ever. The average sentence has increased by 50% over 15 years, and the rate of repeat offences, around 70%, is at a record level. Prison works as a simple inequality management tool and leads to ever greater rifts in society. It is “denial of freedom, but also of humanity,” as the French Senate and National Assembly report of 2000 indicated, alarmed at the “high number of people not belonging in prison : drug addicts, psychiatric patients, illegal aliens, the very old or terminally ill, youths of legal age, and accused awaiting trial”.

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Alors que les biens de consommation leur sont inaccessibles et étalés avec toujours plus d’ostentation, comment imaginer que, cloîtrées durant des mois ou des années, dans une passivité constante, des femmes qui ont fui dans la transgression leurs difficultés à exister, leurs blessures affectives et leur absence de perspectives sociales vont être rendues à la société dans de nouvelles dispositions ?

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Women resort to crime to escape difficulties in surviving, emotional hardship and lack of social prospects. Outside the prisons, consumer goods are ever more ostentatiously displayed and yet remain inaccessible. So when the prisoners are returned to society, after being locked away for months or years in a state of permanent submission, what are their real chances of making a fresh start ?

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