Courrier International | Jules Verne | Le Monde diplomatique | National Geographic | Time Magazine |

"Big Pharma", ou la corruption ordinaire


How big pharmaceutical companies control medicine

--> --> --> --> --> --> --> --> --> --> --> --> --> --> --> --> --> --> --> --> --> --> --> --> --> --> --> --> --> --> --> --> --> --> --> --> --> --> --> -->
1.

LE MONDE DIPLOMATIQUE - octobre 2003 - Page 8

1.

Le Monde diplomatique - November 2003

2.

« Big Pharma », ou la corruption ordinaire

2.

How big pharmaceutical companies control medicine - Case notes on corruption

3.

Par Philippe Rivière

3.

By PHILIPPE RIVIERE (Translated by Gulliver Cragg)

4.

Quand il s’agit des turpitudes du marigot politique, la presse adore monter à la « une » les affaires de pots-de-vin. Pourtant, quand Glaxo SmithKline (GSK) fait l’objet, en Italie, d’une gigantesque enquête de police, concernant 2 900 médecins, c’est un silence médiatique quasi absolu : à l’exception du British Medical Journal (BMJ ) et du Guardian de Londres (13 février 2003), on ne trouve à peu près rien sur cette énorme affaire. Et pourtant, 37 employés de GSK Italie et 35 médecins ont été inculpés pour « corruption » ; 80 visiteurs médicaux accusés de versements illégaux à des médecins pour qu’ils prescrivent les produits de cette firme plutôt que leurs équivalents génériques.

4.

THE media just loves stories about bribery and corruption in the corridors of political power. Yet when GlaxoSmithKline (GSK) was under scrutiny, as it was in Italy earlier this year, the media was almost silent about it. The Italian police investigated 2,900 doctors : 37 employees of GSK Italy and 35 doctors were indicted for corruption, while 80 medical visitors were accused of making illegal payments to doctors who agreed to prescribe GSK products rather than generic equivalents. The only reports on this massive scandal were in the British Medical Journal (BMJ) and the Guardian.

5.

Au cours de son enquête, la police a mis au jour un système informatique élaboré, dénommé Giove (Jupiter), qui permettait aux représentants commerciaux de la firme de suivre, à travers les commandes en pharmacie, les prescriptions des médecins qu’elle avait payés. Et, d’après le BMJ, 13 000 heures d’enregistrements téléphoniques montraient une relation étroite entre les prescriptions et le montant des cadeaux obtenus par les médecins : visites « médicales » au Grand Prix de Monte-Carlo ou aux Caraïbes, versements en liquide de sommes allant jusqu’à 1 500 euros, etc. L’Italie, cas isolé ? Des affaires similaires ont fait surface aux Etats-Unis et en Allemagne...

5.

During the investigation, the police set up an elaborate computer system - Giove (Jupiter) - showing how GSK commercial representatives could track prescriptions made by doctors in their pay. According to the BMJ, 13,000 hours of phone taps give a clear picture of the relationship between prescriptions issued and the value of presents received by the doctors. Gifts included “medical” trips to the Monte Carlo Grand Prix or to the Caribbean, and cash payments of up to $1,700. Similar occurences have been discovered in the United States and Germany.

6.

En avril 1993, le docteur Nancy Olivieri, de l’Hôpital des enfants malades de Toronto, signe avec la société Apotex Research Inc. un protocole de recherche sur une nouvelle molécule, la défériprone, qui promet d’aider les patients atteints de thalassémie (maladie du sang héréditaire) à éviter les accidents cardiaques dus à une surcharge en fer. Elle est alors loin de se douter que son « cas » fera l’objet, huit ans plus tard, d’un rapport d’enquête de plus de 500 pages.

6.

IN APRIL 1993 Dr Nancy Olivieri of the Sick Kids Hospital in Toronto signed a deal with Apotex Research Inc to test a new compound, deferiprone, which promised to help patients suffering from thalassaemia (a hereditary blood disorder) avoid heart problems caused by excess iron. She did not suspect that her case would be the object of an inquiry and 500-page report.

7.

Deux ans après le début des essais thérapeutiques et la publication de premiers résultats encourageants, elle suspecte ce médicament d’aggraver la fibrose hépatique de certains de ses malades. Elle décide alors de faire signer à ses patients une nouvelle lettre de consentement, afin qu’ils soient informés des risques potentiels d’effets secondaires, et soumet celle-ci à sa hiérarchie. Aussitôt, le laboratoire met fin au contrat (sans annuler les recherches en cours dans d’autres hôpitaux) et menace le médecin de poursuites si elle enfreint la clause de confidentialité qu’elle avait imprudemment signée. Ignorant les pressions, au nom de son devoir envers ses patients, elle présente ses résultats lors d’un colloque.

7.

Two years after trials began and the first encouraging results were published, Olivieri suspected that deferiprone was aggravating hepatic fibrosis among some patients. She decided to have them sign a new consent form informing them of the potential risk of side- effects, and submitted the form to her employers. The laboratory immediately terminated the contract (without cancelling research in other hospitals), and threatened to prosecute her if she breached a confidentiality clause she had imprudently signed. She ignored the pressure and, as a duty to her patients, presented findings at a conference.

8.

Elle ne sera soutenue, dans ses six années de déboires judiciaires et professionnels, que par l’Association canadienne des professeur(e)s d’université (Acppu). Le directeur d’Apotex, l’un des « philanthropes » les plus influents de Toronto, avait, il est vrai, proposé un don de 20 millions de dollars à l’université de cette ville pour la construction d’un nouveau bâtiment... A force de ténacité, le docteur Olivieri a toutefois fini par obtenir gain de cause. Réintégrée dans son service, avec une compensation pour les années de recherche perdues, elle a également obtenu que la Commission européenne annule l’autorisation de mise sur le marché de la défériprone, en faisant valoir qu’aucune étude scientifique n’était venue lever les craintes qu’elle avait signalées.

8.

Her only support over the six years of judicial and professional disappointments that followed came from the Canadian Association of University Teachers. The head of Apotex, one of the most influential “philanthropists” in Toronto, offered $20m to the city’s university for the construction of a new building. Because of her tenacity, Olivieri ultimately won her case and was reinstated, with compensation for lost years of research. She also ensured that the European Commission annulled its authorisation for the sale of deferiprone, arguing that no scientific study had looked into the issues she had raised.

9.

Pour une otite fulgurante, un médecin a prescrit à Roselyne un antibiotique de troisième génération. Deux jours plus tard, elle se traîne chez elle, la tension au plus bas. Consulté, un autre généraliste lui dit avoir « déjà eu des problèmes avec cet antibiotique » et lui conseille de suspendre le traitement. Le surlendemain, ses forces sont revenues. L’incident est bénin, et rien ne prouve qu’il soit lié à ce médicament. Tant mieux ! Car le généraliste ne dispose, de toute façon, d’aucun moyen de le signaler. Depuis l’avènement de la carte Sésame-Vitale, la Sécurité sociale lui impose pourtant à chaque prestation une connexion à Internet. Mais aucun site ne recense ce type d’observations qui, mises en commun, permettraient aux épidémiologistes de détecter des risques passés inaperçus avant la procédure d’agrément. Les appels du collectif Europe et médicament pour que l’on associe plus les patients à la pharmacovigilance n’ont, pour le moment, pas été entendus par la Commission européenne.

9.

A DOCTOR prescribed a patient a third generation antibiotic against acute otitis. Two days later, her blood pressure was unnaturally low. A different doctor then told her there had been “problems with this antibiotic before”. Two days after that, she regained her strength. The incident was not serious, and there was no proof of a link to the antibiotic, which was lucky because the doctor had no means of noting the case. Since the Sésame-Vitale card (3) was introduced, doctors have to connect to the net at each consultation. But there is no site on which to record observations. If there were, the information might allow epidemiologists to detect risks before products received market authorisation. Appeals from the Medicines in Europe Forum for patients to be more involved in “pharmaco-vigilance” have been ignored by the European Commission.

10.

L’association de lutte contre le sida Act Up-Paris a longtemps déploré l’absence de financement pour affiner les posologies des trithérapies pour les femmes (les cohortes de patients suivis lors des essais thérapeutiques comprenaient principalement des hommes). Il n’existe, après l’autorisation de mise sur le marché (AMM), aucune obligation légale de continuer à évaluer les produits ou d’assurer le suivi d’un certain nombre de personnes sous traitement. Sans législation contraignante, les essais post-AMM, dits « de phase IV », ne se font donc qu’au bon vouloir des laboratoires. Toujours à court de fonds publics, certains médecins et chercheurs s’enrôlent ainsi dans ce qu’on nomme parfois des « essais marketing ».

10.

AIDS organisation Act Up-Paris has long deplored the lack of funding for the refinement of HAART dosages for women. Most of the patients in the original HAART tests were male. Once a product has been authorised for sale, there is no legal obligation to continue testing it or even to monitor a sample of patients in treatment. With no legislation to make post-authorisation testing (“phase four”) compulsory, laboratories choose whether to do it. The danger is that funding will only be available for tests that boost sales of a new product. Always short of public funds, doctors and researchers sign up to “market trials”.

11.

« Nous, on n’est pas trop embêtés par la pub ! confie en riant un rédacteur du magazine L’Infirmière. Contrairement à la quasi-totalité des publications professionnelles du secteur médical, nous n’intéressons aucunement les laboratoires. Nos lecteurs ne sont ni demandeurs ni prescripteurs de médicaments. Au moins, nous sommes assez libres d’écrire sur les sujets qui nous intéressent : la relation avec le patient, l’état des hôpitaux dans le tiers-monde, les difficultés de la profession... » En dehors de quelques publications comme Pratiques (un trimestriel) ou Prescrire (qui offre un regard critique sur les médicaments mis sur le marché), les journaux destinés aux médecins, bien souvent unique outil d’information (et de formation !) au cours de leur carrière, sont, eux, saturés d’annonces publicitaires.

11.

“WE’RE not bothered about advertising,” says an editor of L’Infirmière (Nurse) magazine. “Unlike almost all other professional journals in the medical sector, we are of no interest to the labs. Our readers are neither consumers nor prescribers of medicines. We’re reasonably free to write about what interests us : relations with patients, the state of hospitals in the third world, the profession’s problems.” Medical journals are often the only source of information and even of instruction for doctors during their careers. Yet apart from a few publications such as the quarterly Pratiques, or Prescrire, which looks critic ally at drugs on the market, most journals aimed at doctors are stuffed with advertising.

12.

Suzanne, journaliste, avait quitté Paris pour le sud de l’Angleterre, où elle espérait vivre de piges, ce qui s’avère plus difficile que prévu. Mais voilà qu’elle reçoit, par courriel, une proposition alléchante : « Nous souhaiterions que vous participiez à la rencontre médicale du 22 janvier à Londres, et que vous écriviez un article pour la presse française. L’objectif est d’informer le public à propos d’une maladie prévalente mais relativement inconnue, et des nouvelles avancées thérapeutiques dans le domaine. » Suit un descriptif détaillé de cette « maladie » , et des excellents résultats du nouveau traitement. « Conscients que vous ne pouvez garantir la publication de cet article, nous vous verserons la somme de 500 livres pour participer à cette journée, écrire l’article et le proposer à l’Agence France-Presse, au Monde ou au Quotidien du médecin , par exemple. »

12.

A JOURNALIST from Paris moved to England to work as a freelance - and work was harder to get than she had anticipated. She received, by email, this proposition : “We would like you to attend and write about a medical meeting in London for the French media. The aim is to inform the public about a prevalent but relatively unknown disease and about the breakthroughs in treatment.” There followed a detailed description of the disease and the new treatment’s excellent results. “You will receive £500 for attending the one-day meeting and for writing and submitting the article. I am aware that you can’t guarantee to have your story placed. However, I must stress that it is the aim and that I expect you to do your best. The procedure will be firstly to attend, write your story and contact editors. Then you submit your story to interested editors and tell us who they are. You will have your freedom to chose any relevant French publication, medical journals (Santé, Le Quotidien du Médecin), news papers, agencies such as Agence France Presse, or popular medical websites.”

13.

Intriguée, Suzanne demande quelques précisions. « Je vous rassure, c’est une pratique très courante : il y aura là dix journalistes britanniques et quatre viendront de Scandinavie. » La copie d’un confrère est glissée en pièce jointe, à titre d’exemple... ou de modèle. « Bien sûr, si vous réussissez à faire publier cet article, il sera plus facile pour moi de vous réinviter par la suite. »

13.

Intrigued, the journalist asked for further information and was told : “This is quite a usual practice in the sense that we would like to increase awareness about diseases that we work on. You are free to write the article in the best way possible, we will not have any influence on the way that it is written. None of the other journalists are from France. About 10 are from the UK and four from Scandinavia.” Another writer’s work was attached as a model and the email ended : “If you can publish the article, it will be easier for me to invite you to attend and write about other meetings that we have.”

14.

Médecin généraliste et romancier, Martin Winckler donne, dans sa chronique radiophonique sur France-Inter, son avis sur tout. Mais, le 15 mai 2003, il ose évoquer le dernier livre de Philippe Pignarre, ancien cadre de l’industrie pharmaceutique, qui décrypte la « crise » vécue, selon lui, par les laboratoires : leurs perspectives de développement de nouveautés thérapeutiques majeures s’amenuisent, compromettant à terme la rentabilité financière _ jusque-là exceptionnelle _ du secteur. Sur la chaîne de service public, cela ne fait pas bon ménage avec la publi-information du syndicat patronal des entreprises du médicament (LEEM), pour qui « la recherche avance, la vie progresse » (une campagne déclinée sur France-Info et Radio Classique ainsi que sur les trois chaînes de France Télévisions). Le 4 juillet, la chronique est remplacée, sans explications, par un interlude musical. Le 11, un « droit de réponse » du LEEM s’en prend aux « accusations sans fondements » de Winckler. Depuis lors, face aux questions répétées des auditeurs, les explications des responsables de la chaîne paraissent bien embarrassées.

14.

NOVELIST and doctor Martin Winckler is well-known for his opinions on the France-Inter radio programme. On 15 May 2003 he mentioned the latest book by Philippe Pignarre, a former pharmaceutical industry manager, which describes what Pignarre calls the crisis in the laboratories - their chances of producing major innovations are decreasing, threatening the sector’s exceptional profitability. On a public service radio station, this does not mix well with info-ads from the employers’ organisation Les Entreprises du Medicament (LEEM), as for them “Research advances, life progresses” according to a campaign on France-Inter, Radio Classique, and on France Télévisions’ three channels. On 4 July Winckler’s broadcast was replaced, with no explanation, by a musical interlude. On 11 July LEEM invoked its right to respond to his “unfounded allegations”. France-Inter’s management then had to give awkward explanations to puzzled listeners.

15.

A la surprise générale, c’est M. Randall Tobias, l’ancien PDG d’Eli Lilly - heureux fabricant du Viagra -, que M. George Bush a désigné pour diriger le fonds américain de lutte contre le sida (15 milliards de dollars sur cinq ans). « Ses connexions avec l’industrie pharmaceutique ont suscité des craintes : M. Tobias s’engagera-t-il à assurer l’accès aux médicaments génériques à bas coûts , s’interroge The Lancet , un des principaux journaux de recherche médicale, dans son éditorial du 12 juillet 2003, ou achètera- t-il des versions sous brevet, protégeant ainsi les intérêts des firmes des Etats-Unis ? »

15.

TO WIDESPREAD surprise President George Bush put Randall Tobias, former CEO of Eli Lilly - lucky makers of Viagra - in charge of the US anti-Aids fund ($15bn over five years). The leading medical research journal The Lancet pointed out the worrying nature of this appointment on 12 July 2003 : “His connections with the pharmaceutical industry have led to concerns about whether Tobias is committed to providing access to low-cost generic Aids drugs, or whether he will purchase patented versions so protecting the interests of US drug companies.”

16.

Le formidable bras de fer commercial sur les brevets pharmaceutiques, qui oppose depuis plusieurs années certains pays du Sud à la triade Etats-Unis - Union européenne _ Japon (88 % de la consommation totale de médicaments dans le monde), s’est achevé, à la veille de la réunion de l’Organisation mondiale du commerce à Cancun, par la victoire des « Big Pharma », emmenées par la firme américaine Pfizer ; le chapelet de contraintes qui entourera le commerce des génériques leur garantit un contrôle étroit sur ce marché.

16.

The argument over pharmaceutical patents and the rigid rules governing them, which for three years pitted Southern nations against the US, the European Union and Japan (who together consume 88% of the world’s medicines) ended, on the eve of the World Trade Organisation meeting in Cancun, with a victory for “Big Pharma”, led by the US company Pfizer. The restrictions on trade in generic drugs ensure the large firms will keep tight control of the market.

17.

A Washington, le vote du 23 juillet 2003 à la Chambre des représentants était très attendu : le projet de loi visant à autoriser l’importation de médicaments vendus moins cher à l’étranger qu’aux Etats-Unis transcendait l’habituel clivage politique. Quatre-vingt-sept républicains s’étaient joints à 155 démocrates pour approuver ce qui constituait un défi aux laboratoires - des médicaments aussi courants que l’Augmentin pouvant coûter, aux Etats-Unis, le triple de leur prix en Europe. Editeur de Capital Eye.org (une lettre spécialisée dans l’analyse des contributions électorales), Steven Weiss n’éprouve guère de difficultés à reconstituer les camps politiques : entre 1989 et 2002, les élus qui ont voté « non », conformément aux intérêts des firmes pharmaceutiques, avaient reçu de la part de celles-ci des contributions de campagne trois fois supérieures, en moyenne, à ceux qui ont voté « oui ». En 2002, et si l’on regarde uniquement le camp démocrate, les élus qui votèrent « non » avaient reçu cinq fois plus de dons que les autres ! De qui sont-ils les représentants ?

17.

ON 23 July 2003 the House of Representatives in Washington held a highly anticipated vote on a bill proposing to authorise imports of drugs sold at lower prices abroad than in the US (drugs as common as the antibiotic Augmentin can cost up to three times more in the US than in Europe). The bill transcended the usual party political divisions : 87 Republicans joined with 155 Democrats in approving this serious challenge to the laboratories. Steven Weiss, editor of CapitalEye.org, which specialises in analysing electoral contributions, explains who voted how. Between 1989 and 2002 those who opposed the change, as the pharmaceutical companies wanted them to, received on average three times more campaign funding from the companies than those who supported it. In 2002 those Democrats who voted against received on average five times more than the others. Just whom do they represent ?

18.

Bombardés de slogans assimilant « la recherche » et « la vie » , on s’interroge rarement sur le lien réel entre les besoins sociaux de santé et les priorités de développement de tel ou tel nouveau médicament. Les maladies tropicales ne figurent plus sur le radar des laboratoires depuis la décolonisation. Quelles recherches indispensables à la vie mais ne disposant pas en aval d’un marché suffisant sont-elles sacrifiées à la débauche de frais de promotion qui entourent les « blockbusters », ces médicaments à plus de 1 milliard d’euros de chiffre d’affaires ?

18.

BOMBARDED with slogans equating research with life, people rarely question the real links between society’s health needs and the priorities given to the development of products. Tropical diseases have been forgotten since the end of the colonial era. How much research is sacrificed because it cannot produce a big enough market, while money is spent on promoting blockbuster drugs that make more than $1bn ?

19.

La puissance publique, qui forme les médecins pour les abandonner ensuite à un travail souvent solitaire, sans guère d’outils indépendants pour maintenir à jour leurs connaissances, porte une lourde responsabilité dans cette dérive ; mais elle fait face à un lobby puissamment organisé, jouant sans hésiter du chantage (à l’emploi ou à l’arrivée des nouveautés thérapeutiques) et de l’intimidation. Le patient, quant à lui, ne dispose d’aucun moyen pour se forger une opinion informée (en dehors de la publicité). L’éventuelle légalisation, par l’Union européenne, de la publicité directe auprès du public risque d’accroître encore la confusion.

19.

Public institutions deserve to be blamed for much of the degradation in research standards and priorities. They train doctors and then leave them to get on with the job, often in isolation, with few independent sources of information to update their knowledge. However, these state institutions face a powerful and highly organised lobby that does not hesitate to use blackmail (over the use and delivery of new treatments) and intimidation. The patient has no means other than advertising of forming an informed opinion on the relative benefits of a treatment. The EU proposes to legalise direct advertising to the public, which could make the situation even worse.

20.

Cette mise à l’écart du politique (qui n’est que l’autre nom du « trou » de la Sécurité sociale) n’est pas irrémédiable : diverses propositions permettraient de réintégrer patients et médecins dans les choix de santé - comme l’ont fait, sans attendre d’invitation, les malades du sida. Il faudra en premier lieu faire sauter les verrous intellectuels solidement mis en place par les laboratoires, qui assurent la carrière des chercheurs scientifiques leur ouvrant des marchés et répriment les autres, achètent la bienveillance ou la complicité de certains médias, flattent les « bons prescripteurs » et se défient des médecins « passéistes » qui se contentent de donner de bons vieux médicaments éprouvés... L’industrie - mise en coupe réglée par la finance et disposant de fabuleuses réserves de cash - fait régner, sur l’ensemble des protagonistes, une effrayante police de la pensée. La petite corruption ordinaire instillée par ces pratiques a fini par gangrener, à tous les échelons, le contrat social signé autour de la santé publique.

20.

There have been schemes proposed for the renewed involvement of patients and doctors in health choices, following the example of Aids sufferers, involved through their own initiatives. The first task is to eliminate the solid intellectual barriers that the laboratories have established by promoting scientists who develop markets while holding others back ; by buying the support or complicity of media outlets ; by flattering good prescribers and denouncing as old-fashioned doctors happy to prescribe tested older drugs. The industry, in bed with finance and in control of vast cash reserves, polices medical thought. The petty corruption caused by these practices has infected all levels of the social contract for the protection of public health.

Courrier International | Jules Verne | Le Monde diplomatique | National Geographic | Time Magazine |
© UP | EA3816 Laboratoire FORELL - Maison des Sciences de l'Homme et de la Société, 99 avenue du Recteur-Pineau 86000 Poitiers
..:: Contact : Webmaster ::..